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Dev. D

Publié mardi 2 juin 2009
Dernière modification vendredi 2 juillet 2010
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Par Jordan White

Rubrique Albums
◀ Oy !
▶ Hum Aapke Hain Koun… ! (1994)

Amit Trivedi n’est pas très connu pour le moment. Il a pourtant signé la musique (réussie) d’Aamir, une des surprises de l’année dernière. Ayant rencontré Anurag Kashyap, probablement un des réal’ les plus conspués aujourd’hui par la presse spécialisée, ce dernier lui a livré dix-huit morceaux pour son nouveau film, Dev. D. Lequel est une adaptation de Devdas, dans laquelle on retrouve bien sûr les personnages de Paro et Devdas, les deux héros tragiques. L’idée d’Anurag étant d’en faire une comédie noire qui par ses promos promet un univers décalé et provocateur. La BO, elle, est un coup d’éclat. Coup de bluff ou coup de génie ? Dev. D va en tout cas faire beaucoup parler de lui en bien ou en mal.

Au commencement, au cinéma, d’après le livre au titre éponyme, il y eut, entre autres adaptations, le classique de Bimal Roy en 1955 avec Dilip Kumar, et plus récemment le Devdas de Sanjay Leela Bhansali. Dev. D en 2009 débute avec un synthé organique et un beat électro nous plongeant dans l’urgence, dans une psyché perturbée avec Aankh Micholi et son refrain dynamique. Amit assure lui-même les vocaux sur ce premier titre intriguant qui est une excellente introduction à un disque qui mélange bhangra, dance, pop, acid jazz, techno, rock nerveux, ballade. Bref, un grand nombre de genres musicaux qui trouvent une cohérence et une texture générales passionnantes. Surtout, aucun des dix-huit titres ne se ressemble, fait assez rare pour être souligné. Chacun possède son ambiance, son style et sa nervosité propre. Les deux thèmes qui suivent, instrumentaux, sont aussi des variations subtiles sur le thème principal repris ici en deux variantes : Dev Chanda Thème I et II.

Cramponné à son casque, l’auditeur peut rapidement tomber sous le charme de cette BO qui propose une tonalité anxiogène mais aussi terriblement attirante et ludique. La force d’un morceau comme Dhol Yaara Dhol provient du choix de l’instrumentation traditionnelle (sarangi, tabla, harmonium) et des instruments à cordes tout comme celui de la voix de Shilpa Rao pour sublimer un morceau qui rappelle le meilleur de Dor (une BO de référence que l’on peut citer à l’envi). En 2008 avec Khuda Jaane Ke la chanteuse avait déjà touché en plein coeur ses fans, et ici sa douceur n’a d’égal que son investissement émotionnel. Un morceau qui démontre aussi que le choix des instruments traditionnels crée toujours des titres émouvants, sans doute plus que ceux qui ne privilégient que l’électronique (bien qu’il ne s’agisse pas non plus de la bannir des BO).

Seule fausse note quasiment, même si on peut trouver çà et là des moments un peu moins puissants en terme de composition, des refrains moins évidents. La seule note moins flamboyante concerne celle de Dil Mein Jaagi qui sent la parodie volontaire, du coup la parodie trop consciente de ses effets. Le piano d’intro l’atteste, de même que le refrain haut perché. Des effets recherchés dans le deuxième couplet qui réussissent difficilement à rendre le tout sympathique, même si paradoxalement les variations de tons proposent quelque chose d’assez étonnant. L’avantage du titre c’est d’être court.

Amit se rattrape très vite avec Duniya, qui est aussi une des premières promos musicales du film. Morceau imposant, très rock dans l’esprit, avec un cachet électro/masala qui prend son sens et son envol dans le refrain. Si cela reste finalement basique, c’est néanmoins entraînant et très efficace.

Voilà qu’arrive Ek Hulchul Si, sa guitare tranchante d’intro, sa batterie haletante et son refrain qui semble crier au désespoir. Joli travail vocal de Joi Barua qui porte le morceau sur ses épaules grâce au refrain entêtant qui ralentit volontairement le rythme pour laisser s’exprimer la complainte par un rythme qui s’étale. Le morceau semble avoir été enregistré dans l’urgence, avec un son brut, capté live (les claps de mains qui résonnent comme si on était en concert).

Pas grand-chose ne nous prépare au choc des morceaux suivants qui constituent le point d’orgue de l’album alors que nous n’en sommes qu’à un tiers.

D’abord grâce au morceau plein d’humour, d’absurdité, improvisé, qu’est Emosonal Attyachar. Un morceau de transition qui permet au disque de prendre un second souffle et de dévoiler ses compositions appuyées par des interprétations de tout premier ordre. Sa version rock, alternative pour le coup et portant bien son nom est un morceau impressionnant, au refrain brutal et à la tessiture agressive. La structure est inchangée mais c’est le rythme qui s’en trouve bousculé et retourné. On a le sentiment que la caisse claire et les toms sont sur le point de céder. Excellente production qui donne un cachet circus et roots aux deux chansons.

Hikknaal est un petit bijou bhangra. Les joueurs de dhols se régalent et nous régalent. Un morceau qui rappelle un peu Makhana de Heroes. Mais c’est peut-être encore meilleur, la punjabi touch est respectée et le titre est emballant d’un bout à l’autre. Après le crime de lèse-majesté de Victory, voici un morceau authentique et touchant. Superbe interprétation de Labh Janjua.

Mahi Mennu n’est pas mal non plus dans son genre. Une nouvelle fois gros travail de Labh Janjua et instrumentation classique qui se conjugue parfaitement avec l’électronique (les petites touches au synthé sont bienvenues). Ces deux morceaux rappellent aussi la réussite que constituait Singh Is Kinng dans la musique bhangra.

Un des morceaux les plus intenses suit avec Nayan Tarse. L’intro avec la prise jack branchée directement sur l’ampli, les échos, la saturation, l’arrivée des violons constituent une ambiance de plus en plus pressante soulignée par les quelques saxos. Puis le beat qui semble traduire une perte progressive de repères temporels (et sans doute spatiaux) permettent au morceau de s’envoler dans un virevoltant refrain qui prend la tonalité du début à contre-pied : guitare énergique, voix avec des choeurs s’époumonant. Travail d’orfèvre encore une fois.

Paayaliya tranche radicalement en revenant à une instrumentation classique (sitar). Voix douce et anklets se mêlent à un beat qui met à l’honneur l’interprétation féminine. Fouillé, le morceau fait naître des petits détails (violons, triangle) qui participent à une ambiance cotonneuse, comme couvée et couvant un drame.

Pardesi joue à nouveau la carte de la modernité et de la tradition. Un croisement de piano-bar tamisé et de performance vocale vintage, très typée 80’s. Pas le morceau le plus exaltant, mais l’exécution, elle, est réussie.

Les trois titres qui referment l’album sont très beaux en raison de leur simplicité voire de leur épure.

Ranjhana (à nouveau merci Shilpa Rao). Echo frappant à son morceau précédent Dhol Yaara Dhol, Ranjhana sonne comme un qawali sans harmonium. Un poème troublant d’une durée très courte (1min 47 s) qui annonce un moment probablement déterminant dans le film (comme Tujh Mein Rab Dikhta Hai version féminine dans Rab Ne Bana Di Jodi).

Saali Kuhshi est une nouvelle preuve du talent vocal d’Amit Trivedi. L’intro fait penser à du Atif Aslam.

Enfin, Yahi Meri Zindagi déconcerte autant qu’il surprend. Morceau de belle au bois dormant, d’une tendre simplicité, il tourne ensuite au trip pop/disco superbement construit qui montre surtout la capacité d’Amit à mélanger les univers les uns aux autres pour nous secouer et nous émouvoir.

Dix-huit titres, c’est assez énorme, quasiment l’équivalent d’un double album. Il faut réécouter Hum Aapke Hain Koun (1994) et ses quinze chansons pour retrouver un tel nombre. Un disque qui va faire beaucoup parler de lui, tout comme le film. Alors, coup de génie et film poignant, ou fumisterie de petit malin ? Anurag est prêt à créer la surprise, espérons qu’elle soit bonne.

La bande-annonce du film :


Année : 2009

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