]]>
La critique de Fantastikindia

Par Didi - le 15 juin 2009

Note :
(8/10)

Article lu 1734 fois

Arindam Chatterjee (Uttam Kumar), star du cinéma commercial bengali, doit se rendre à New Delhi pour recevoir une récompense prestigieuse. N’ayant pu réserver de vol, le voilà rendu à la capitale en train. Un long voyage s’annonce depuis Calcutta, presque deux jours de train, ce qui n’est pas pour arranger son humeur, déjà passablement maussade : son dernier film a flopé et les titres de la presse montent en épingle une altercation qu’il a eue avec un quidam. Dans le wagon-restaurant, il rencontre Aditi (Sharmila Tagore), une jeune journaliste qui tente de promouvoir une presse féminine de qualité. Aditi, archétype de la femme moderne et cultivée, est loin d’être sous le charme de la star, elle éprouve plutôt du mépris pour la vanité que représente, selon elle, cet acteur. Elle décide alors de l’interviewer subrepticement afin de révéler à ses lectrices le vrai visage de la star. Au cours d’une série de conversations, Arindam et Aditi se prennent à leur propre jeu : lui, se dévoile plus que prévu en révélant ses craintes (la peur de l’échec commercial) et les démons qui le hantent (les trahisons - à l’encontre de son maître, de son art et de ses collègues - qu’il a dû commettre pour arriver en haut de l’affiche) ; elle, reconsidère son jugement sévère…

Nayak, "le héros", est le quinzième film de Satyajit Ray. Si le film n’atteint pas les sommets dramatiques de certains opus antérieurs comme la trilogie d’Apu (Pather Panchali, Aparajito, Apur Sansar), Devi, Mahanagar ou Charulata, le maître bengali n’en livre pas moins une réflexion intéressante sur la vanité du statut de star et, par là même, sur les mirages du cinéma commercial.

Le prétexte scénaristique du voyage en train est la clef de voûte de la narration de Nayak. Au plan symbolique, ce voyage a un sens métaphorique : il représente une plongée dans l’âme de Arindam qui se fait par la parole et par l’image. Les nombreux flash-backs et les séquences de rêves scrutent la conscience de Arindam et dévoilent un homme torturé par la culpabilité d’avoir renoncé aux enseignements artistiques de son guru, d’avoir laissé dans la solitude des amis dans le besoin, d’avoir sacrifié ce qu’il était vraiment sur l’autel de la gloire, du succès aussi fulgurant qu’éphémère. Coupable, Arindam ne l’est pas qu’à ses yeux, il l’est aussi pour Aditi, qui le scrute sévèrement derrière ses lunettes noires, coupable de vanité, coupable d’incarner un monde illusoire pour ceux qui n’y ont pas accès. Au fur et à mesure que le train avance, la narration, en forme de puzzle, compose un retour sur la vie de Arindam, livrant une image de l’homme complètement distincte de celle de la star que l’on voyait au début du film, affairée avec ses attachés de presse et ses assistants. Cette image d’homme payant chèrement son succès finit par émouvoir la sévère Aditi (et le spectateur). La franchise avec laquelle se livre Arindam force aussi son respect et l’amène à reconsidérer son jugement. Arindam et Aditi sortent transformés de ce voyage en forme d’examen de conscience. En arrivant à Calcutta, Arindam s’est libéré de ses démons et est prêt à affronter son statut (recevoir son prix), avec ses joies et ses peines. Aditi apprend aussi qu’un travail de journalisme de qualité ne se fait pas aux dépens de la déontologie.

Au plan réaliste, le voyage en train sert de prétexte au réalisateur pour construire un microcosme social. Dans la promiscuité du train, Arindam se trouve confronté à son public et à ses fans. Si les passagers sont représentatifs de la classe moyenne indienne de l’époque, les badauds, qui se pressent contre les vitres aux arrêts en gare, représentent la multitude des plus humbles, ceux qui vont voir les films de Arindam dans l’espoir de glaner un peu de rêve. Si les premiers peuvent côtoyer la star le temps d’un voyage, les autres sont exclus de ce monde par la séparation symbolique de la vitre. Ils sont spectateurs où qu’ils soient : au cinéma, dans la gare, devant le train…

Le casting est l’autre atout de ce film très bien construit dans sa narration. Uttam Kumar, dont c’est la première collaboration avec Satyajit Ray, est lui-même une star du cinéma commercial bengali de l’époque (1966). La sensibilité avec laquelle il incarne son personnage nous ferait presque croire que c’est sa propre vie qui se joue devant nos yeux. Il livre une prestation tout en contrastes qui met en valeur le conflit intérieur du personnage de Arindam. Sharmila Tagore nous compose le personnage d’une femme forte, obnubilée par sa carrière de journaliste et pas le moins du monde impressionnée par la star ou son statut, mais capable aussi d’humanité en dépit de l’air sévère que lui donnent les grosses lunettes noires qui cachent ses yeux de biche.

Les face-à-face entre Arindam et Aditi dans le huis clos du train font l’attrait du film qui confronte deux points de vue sur le cinéma. À travers le regard critique de Aditi, on devine que c’est le réalisateur, maître du cinéma d’auteur indien, qui juge le star-system et le cinéma commercial. Le verdict peut sembler sévère, a priori, mais le jugement est beaucoup plus nuancé, à l’image de l’heureux dénouement qui clôt les confidences entre Arindam et Aditi.
Nayak fut présenté au Festival de Berlin en 1966 où il obtint une mention spéciale du Jury. Satyajit Ray reçut pour ce film le Silver Lotus Award, la récompense nationale, pour la réalisation en 1967.

Commentaires
8 commentaires