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La critique de Fantastikindia

Par Adeline - le 27 février 2012

Note :
(7/10)

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Le 28 février 2002, une foule d’hindous extrémistes attaquait la Gulbarg Society, un quartier musulman d’Ahmedabad. Tout l’état du Gujarat était alors en proie à de violentes tensions inter-communautaires qui causèrent la mort de plusieurs centaines (voire de plusieurs milliers) de personnes, en majorité musulmanes. Ce jour-là, dans le chaos causé par l’incendie du quartier, un jeune garçon parsi* disparaissait. C’est l’histoire de sa famille que raconte Parzania.


Parzan Pithawala, dix ans, ne rêve que de cricket. Il a d’ailleurs inventé, avec sa petite sœur, un pays imaginaire, Parzania, où il ne serait pas interdit d’écouter les matchs à la radio pendant les cours. Il est choyé par ses parents, Cyrus, projectionniste (Naseeruddin Shah), et Shernaz (Sarika, actrice populaire des années 80 et ex-femme de Kamal Haasan). Cyrus se lie d’amitié avec Allan, un jeune Américain venu faire sa thèse sur Gandhi, et qui espère trouver en Inde, pays de la spiritualité et de la non-violence, une certaine paix intérieure. Mais le 28 février, le monde de la famille Pithawala s’écroule. Shernaz et les enfants sont piégés dans leur immeuble pris d’assaut par la foule. Elle parvient à s’enfuir avec sa fille, mais sans Parzan. Cyrus va désormais consacrer toute son énergie à tenter de retrouver son fils. Ailleurs dans la ville, Allan est lui aussi témoin d’atrocités qui le bouleversent et menacent son équilibre mental.


Les massacres de 2002 sont toujours un sujet sensible dans le Gujarat. Les débats font rage pour déterminer la responsabilité de chacun. Pour résumer brièvement, les violences anti-musulmanes faisaient suite à l’incendie d’un train de pèlerins hindous à Godhra, qui avait coûté la vie à 58 personnes. Le gouvernement de l’état, qui appartient à un parti nationaliste hindou (le BJP), est accusé d’avoir utilisé ce prétexte pour s’en prendre à la communauté musulmane en encourageant les violences. L’absence d’intervention de la police a aussi été critiquée.


Dans ce contexte, même le film le plus neutre, le moins engagé, aurait probablement déclenché une polémique. Or Parzania, premier film réalisé sur le sujet, prend clairement position. Rien d’étonnant donc à ce que les cinémas du Gujarat aient refusé de le projeter. Officiellement, il s’agissait d’éviter de déclencher de nouveaux troubles. Mais il est probable que l’une des raisons de cette censure soit le regard porté par Rahul Dholakia sur les violences. Le film dans son ensemble est en effet un réquisitoire contre l’attitude du gouvernement du Gujarat, du BJP et de la police de l’état, résumé par le discours très dur que Shernaz tient devant la commission d’enquête venue faire la lumière sur les événements. Le film met très clairement en cause le Chief Minister** Narendra Modi, toujours en poste. Son nom n’est pas cité, mais les propos particulièrement ambigus qu’il a prononcés après l’attaque de Godhra sont repris, et le jeu de l’acteur qui interprète Modi ne laisse aucun doute sur ses intentions. Par ailleurs Dholakia défend la thèse selon laquelle les massacres de musulmans avaient été prévus et préparés bien avant l’attaque de Godhra, en nous montrant par exemple des militants du BJP faire du porte-à-porte pour identifier la religion des habitants du quartier où vit Allan. Quant à la police, jamais elle ne vient à l’aide des personnages.

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Le "vrai" Narendra Modi

Il est intéressant de remarquer que le film est en anglais, et s’adresse avant tout à un public international, qui ne connaît pas forcément bien l’Inde. Il en résulte une certaine simplification, et une volonté dans la première partie du film de présenter clairement la situation politique et religieuse du Gujarat qui donne parfois l’impression au spectateur d’être en cours d’histoire-géo. Cette volonté de ne pas perdre le public occidental est aussi la seule raison d’exister du personnage d’Allan, destiné à guider le spectateur occidental à travers le film. Le procédé n’est pas rare, et serait efficace, si Allan n’était pas un personnage insupportable. Il est peu crédible (le type est en doctorat d’histoire, mais prend une représentation de Zarathoustra, le fondateur de la religion pratiquée par les parsis, pour une image d’Allah ?), ses problèmes (alcoolisme, enfance difficile…) sont terriblement clichés, et son attitude très immature, le rend peu sympathique. Il barbouille par exemple de cendre le mur de sa chambre, comme un gamin capricieux, pour exprimer son mal-être et sa révolte devant toutes les horreurs qu’il a vues. Le contraste avec la dignité de la famille de Parzan est frappant. Corin Nemec fait ce qu’il peut pour rendre intéressant un rôle mal écrit, et son interprétation est tout à fait honorable, mais c’est peine perdue : les scènes où Allan apparaît sont les moins bonnes du film. Surtout, dès qu’il apparaît, le film s’éloigne de son vrai sujet, qui est la disparition de Parzan et ses conséquences sur sa famille. Dommage que le réalisateur n’ait pas jugé cette histoire suffisamment forte et universelle pour se passer de ce genre de ficelles.


Un exemple particulièrement marquant. Quelques jours après la disparition de son fils, Cyrus va demander l’aide de la police. Il tend à l’agent son portefeuille, contenant une photo de Parzan. Sans un regard pour la photo, le policier empoche l’argent qu’il renfermait, et sans montrer la moindre compassion, dirige Cyrus vers la cour. Celui-ci s’arrête sur le pas de la porte, horrifié : la cour fait office de morgue en plein air. Commence alors l’éprouvante recherche du corps de son fils. La séquence est particulièrement marquante. Mais voilà, Rahul Dholakia nous fait abandonner Cyrus au milieu des cadavres pour retrouver Allan, ivre, qui provoque bêtement des militants hindous en brûlant des affiches. Mettre ainsi sur le même plan la douleur d’un père qui cherche son fils et la crise existentielle de touriste d’Allan est assez maladroit. Et étirer de la sorte le suspense sur le sort de Parzan, en insérant cette scène inutile, n’est pas du meilleur goût.


Mais dès qu’Allan disparaît, et que Rahul Dholakia se concentre sur Cyrus, Shernaz et leur petite fille, le film retrouve tout son intérêt. Les personnages et leurs évolutions sont finement dépeints. Naseeruddin Shah est excellent, mais la vraie surprise vient de Sarika, qui s’approprie un rôle difficile et donne chair à un beau personnage de femme et de mère. Shernaz, malgré la douleur, continue à vivre et à faire vivre sa famille, et, au-delà, trouve même la force de témoigner pour l’ensemble des victimes, alors que Cyrus, perdu dans son chagrin, ne parvient pas à faire face.


L’intrigue de Parzania, la perte d’un enfant, est universelle. Mais le film est original en ce qu’il décrit un milieu particulier, rarement représenté au cinéma, la communauté parsie. La famille de Parzan pratique le zoroastrisme, une religion pluri-millénaire venue d’Iran. Rahul Dholakia utilise ce contexte pour exprimer très concrètement, très physiquement, l’évolution du personnage de Cyrus : c’est en pratiquant un épuisant rituel de purification censé faire revenir son fils (neuf jours de privation de nourriture, de boisson et de sommeil, isolé, la pensée entièrement tournée vers Dieu) qu’il finit par accepter sa disparition.


Il est tentant de comparer Parzania à Firaaq. Ce sont actuellement les deux seuls films à parler des massacres de 2002. Parzania n’en sort pas gagnant. Il est nettement plus formaté que le film de Nandita Das, et souffre des défauts que j’ai évoqués. Mais c’est un film sincère, porté par l’indignation de son réalisateur, par sa volonté de faire savoir au monde ce qui s’est passé, à Ahmedabad, à la fin du mois de février 2002.

* Une communauté originaire d’Iran installée depuis des siècles en Inde.

** Chief Minister : chef du pouvoir exécutif dans un état de l’Inde. C’est dans chaque état le poste le plus important.


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