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Raees


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Laila Main Laila
Zaalima
Udi Udi Jaye
Dhingana
Enu Naam Che Raees
Saanson Ke
Ghammar Ghammar
Halka Halka

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La critique de Fantastikindia

Par Gandhi Tata - le 22 février 2017

Note :
(5.5/10)

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Depuis toujours, le cinéma indien a su revisiter et décliner presque tous les genres cinématographiques — façon masala — avec l’inévitable touche musicale. Le polar mafieux n’y a pas échappé, et on peut même dire qu’il est particulièrement prisé à Bollywood depuis la sortie de Deewaar en 1975. D’ailleurs, Amitabh Bachchan fait partie des rares acteurs à avoir exploré le sujet de fond en comble. Du drame familial au film d’action, en passant par le thriller politique, Big B a incarné presque tous les types de gangsters, du plus sympathique au moins recommandable. Tout acteur prétendant prendre sa suite, se doit de l’imiter, voire de lui rendre hommage.


La plus grande star du cinéma hindi, Shah Rukh Khan, a fait mieux en lui tirant sa révérence de la plus belle des manières. Avec Don — The Chase Begins Again en 2006 et Don 2 : The King is Back, cinq ans plus tard, King Khan a dépoussiéré le classique en proposant un reboot aux faux airs de remake qui a relancé la franchise de 1978. Les choses ont bien changé depuis, puisque le Shah semble avoir perdu de sa superbe avec quelques faux pas (Dilwale, Happy New Year), survenus depuis 2014, et annonciateurs pour certains de ses fans du déclin de sa carrière à l’approche de la cinquantaine.


De son côté, l’acteur a visiblement fait le même constat en amorçant une phase clé de sa carrière où il s’est attelé à se recentrer en tant qu’acteur. Shah Rukh Khan a fait mieux que se ressaisir, car il a surpris les cinéphiles avec des films aussi étonnants qu’exigeants pour la seule année 2016. En effet, après le très complexe Fan, qui sonnait comme une remise en question de l’acteur par rapport à sa célébrité et son métier, il a littéralement ressuscité l’interprète qui sommeillait en lui avec l’excellent Dear Zindagi, dans un second rôle en or, taillé pour lui ! Après le moment de doute, et celui de sa dissipation, il est désormais temps pour lui de raviver l’aura de la star, et en 2017, le roi de Bollywood nous revient en parrain de la mafia dans Raees. Après avoir été le « Don », dans un diptyque testostéroné, qui tenait plus du thriller d’action que du film de gangsters, Shah Rukh Khan est Raees, une petite frappe de quartier devenue l’une des figures les plus redoutées du banditisme de la région du Gujarat.


La prohibition est instaurée dans l’état du Gujarat et de ce fait, la vente et la consommation d’alcool, y sont sévèrement réprimées. Cependant, ces lois répressives ne découragent pas les truands les plus farouches, qui y voient même une formidable opportunité de faire du business souterrain. Parmi eux, Jairaj sévit à Fatehpur, en dépit d’une présence importante et d’un contrôle resserré de la police locale. Dans la même ville vit un gamin binoclard, quelque peu chétif, prénommé Raees. Sa mère affronte toutes les difficultés et humiliations pour subvenir aux besoins de sa famille, en ramassant des déchets recyclables. Malgré son jeune âge, Raees est ambitieux et aspire à être bien plus qu’un des petits guetteurs de l’armada de Jairaj, qui surveillent les rues pour lui. Un jour, le sale gosse ne laisse pas passer sa chance d’impressionner le contrebandier, et parvient à passer une barrière policière avec de l’alcool dissimulé dans son sac d’école. C’est le début d’un parcours criminel qui va le voir grandir, non seulement pour devenir un homme, mais aussi dans la hiérarchie de la mafia locale, où il ne tarde pas à briguer la place de son mentor…


Raees est un polar mafieux réalisé par Rahul Dholakia, récompensé en 2007 pour Parzania qui revenait sur les violences entre hindous et musulmans au Gujarat en 2002. Dholakia est un réalisateur touche à tout qui, après s’être essayé à la romance, au drame, au thriller d’action et même au court-métrage, car il a participé à l’anthologie de films courts Mumbai Cutting, s’est attaqué cette fois, au film de gangsters avec un acteur ayant incarné le personnage culte de Don, modèle de presque tous les truands peuplant le cinéma Bollywoodien.


Fidèle à sa réputation, Dholakia livre un film très bien écrit, soigneusement découpé et savamment pensé. Sur papier, ça avait déjà de la gueule et à l’écran, le résultat est, comme attendu, efficace. La mécanique voulue par le réalisateur ne s’enraye à aucun moment et les évènements s’enchaînent, avec la précision d’une horloge suisse. Alors que peut-on bien reprocher à la plume de Dholakia ? Paradoxalement, la plus grande qualité de Raees s’avère être son pire défaut, car cette écriture sans faille avec une chronologie millimétrée, prive le spectateur de toute surprise. En plus de respecter tous les codes du genre (ce dont il aurait dû se contenter), Raees compile les épisodes clés de la vie d’un gangster, qu’on a vu dans d’autres films. Ainsi on est témoin de l’ascension, de la chute, du parricide, des complots politiques et des nombreux combats qui vont jalonner la vie de Raees. Tout ou presque se devine, et je dirai même, s’attend, étant donné que le film pille allègrement les classiques du genre.


Cela commence dès la police de caractère du titre, que Raees emprunte à Deewar et Don. En poursuivant avec ces deux films cultes, le face à face de Raees et Majmudar, n’est pas sans rappeler l’affrontement de Vijay et Ravi Verma (les frères dans Deewar), ou même la filature de l’inspecteur Da Silva pour coincer Don. Les nombreuses astuces imaginées par Raees pour tromper la vigilance des policiers est une référence directe à Nayakan de Maniratnam, où Velu Nayakan protège son trafic maritime de la même manière pour échapper aux perquisitions des douaniers. D’ailleurs, la devise de la mère de Raees sur les affaires est dans le même esprit que celle d’Hussain Bhai, le père adoptif de Velu Nayakan. Enfin, les machinations politico-mafieuses qui rythment la seconde partie, sont des thèmes chers et récurrents dans le cinéma de Ram Gopal Verma (Sarkar). Tous ces clins d’œil font de Raees, un véritable guide du polar mafieux indien pour les nuls. Si en tant que cinéphile, cette multiplication de références est jouissive, le spectateur en moi, a tendance à penser que Rahul Dholakia ne s’est pas foulé. Hommage ou pillage, chacun se fera sa propre idée, mais d’un point de vue général, on sent dans le traitement du sujet, une véritable passion du cinéaste, pour ce style et ces grands films des années 80-90 qui ont dû bercer sa jeunesse.


Côté direction d’acteurs, c’est impeccable, mais avec un plateau d’artistes composé de Shah Rukh Khan, Nawazuddin Siddiqui, Atul Kulkarni ou encore Narendra Jha, on ne pouvait s’attendre qu’au meilleur. Néanmoins, on peut regretter, comme dans tous les grands divertissements du cinéma indien, l’omnipotence du héros qui ne laisse que peu d’espace pour les autres personnages. On aurait préféré un meilleur rapport de force entre tous les protagonistes, comme c’est le cas entre Raees et Majmudar. Selon moi, la relation entre les deux hommes constitue, la seule et unique attraction du film. Chacune de leurs rencontres, amène son lot de répliques détonantes et drôles. Le contrebandier et le flic partagent un lien étonnant, entre fascination et hostilité, et à chaque fois, malgré la ruse et la malice déployées, leur opposition est toujours de bonne guerre. Rahul Dholakia a eu la formidable idée d’avoir conçu le personnage de l’inspecteur Majmudar, comme une sorte de frère ennemi et Némésis de Raees. Je trouve que l’antagonisme entre eux, nourrit et contribue pleinement à la formidable alchimie qu’ils partagent. C’est tout le contraire de celle que Raees est censé avoir avec sa femme Aasiya, mais qu’on ne remarque jamais. Ironiquement, le couple qui fonctionne, c’est celui des ennemis et non des amoureux.



L’autre loupé du film, à côté de l’histoire d’amour, c’est le rapport privilégié, de Raees et Jairaj, qui a été honteusement survolé, alors que son meurtre est un tournant essentiel, dans la montée en grade de Raees, dans le syndicat du crime local. Du reste, la scène de son assassinat qui est particulièrement intense (aussi importante que la conclusion du long-métrage pour moi) démontre le poids de ce personnage dans l’histoire. C’est la mort dans l’âme que le héros réduit au silence, ce vieux gangster qui a été l’équivalent d’un père pour lui. Cette exécution a une véritable valeur de parricide. C’est aussi une étape clé dans la vie de Raees, car elle est annonciatrice du début de sa gloire, mais aussi indirectement de sa chute, car en franchissant cette ligne rouge, il amorce sa décadence morale et abandonne définitivement, l’éthique enseignée par sa mère.


Si le réalisateur a fait de son mieux pour diriger ses comédiens et obtenir d’eux, la meilleure performance possible, le résultat final n’est pas forcément synonyme de copie parfaite pour chacun. Comme d’habitude, l’héroïne du film jouée par Mahira Khan, ne sert à rien d’autre qu’à remplir le champ, jouer les potiches, faire un gamin, avoir "exceptionnellement" une idée lumineuse (car Bollywood a changé et la figure féminine peut briller aussi), se faire remonter les bretelles et verser quelques larmes pour nous en tirer (et ça ne marche pas en plus). Le personnage d’Aasiya fait partie de ces innombrables rôles féminins sacrifiés sur l’autel du masala commercial. Cette forme de misogynie dérobée qui m’a toujours insupporté est une des caractéristiques du film de commande avec un cahier des charges, dont l’une des lignes stipule que l’héroïne doit être soumise, belle, raisonnablement sexy, et surtout, soumise. Je souligne que c’est une tare inhérente aux grosses productions, car Rahul Dholakia est un réalisateur sérieux et engagé, qui a permis par le passé, à une actrice comme Sarika, de remporter le prix d’interprétation aux National Film Awards, pour Parzania. Triste monde qu’est Bollywood, comme le reste du cinéma indien, qui ressert les mêmes clichés, au lieu de faire avancer les mentalités.


La palme de l’interprétation revient sans aucun doute à l’excellent Nawazuddin Siddiqui qui livre une performance mémorable dans le rôle du truculent inspecteur Majmudar. Son incarnation est tellement habitée, qu’on a du mal à imaginer un autre acteur à sa place. Il parvient à insuffler une telle intelligence par son jeu, que ce policier, à la fois drôle, coriace et déterminé, apparaît comme le meilleur personnage du film devant Raees. Le facétieux Nawazuddin Siddiqui, par son humour et son exceptionnelle présence, vole littéralement la vedette à un Shah Rukh Khan qui fait tout juste le job. Le tour de force du bonhomme est d’avoir pu explorer pleinement son rôle et ses possibilités, dans le peu d’espace qu’il occupe dans le long métrage (il n’entre en scène que très tardivement).


Enfin, Sharukh Khan ne nous surprend pas, c’est la star du film, il tient son rang, en portant le film sur ses épaules. Il est certain qu’après la très bonne impression, qu’il nous a laissé dans Dear Zindagi, on s’attendait à quelque chose de plus complexe et d’épais. Seulement, on n’a pas grand chose à se mettre sous la dent, du fait qu’il se contente de faire du Sharukh Khan, à savoir, être classe et jouer de son charisme. Le rôle de Raees est tellement cliché, que presque n’importe quel acteur, avec du khôl dans les yeux et une monture de lunettes rétro, aurait pu se glisser dans la peau du gangster. Côté technique, la musique de Ram Sampath et la photo du chef opérateur, K. U. Mohanan, sont de très bonne facture.


Si Raees était l’occasion pour Shah Rukh Khan de regagner le cœur des masses avec un polar mafieux, à la sauce masala, la mission n’est que partiellement réussie. Le film ne s’aventure jamais sur les terres de Coppola ou Scorsese, et Rahul Dholakia n’a nullement l’intention de devenir le prochain Nayakan de Mani Ratnam, même si on note, ici et là, des influences du cinéma de Ram Gopal Varma (celui des meilleures années comme dans Sarkar ou Satya). Raees est avant tout un hommage au cinéma de divertissement des années 80 et à la figure du jeune homme en colère, immortalisé pour toujours par le grand Amitabh Bachchan.


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