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La critique de Fantastikindia

Par Kendra - le 10 août 2009

Note :
(7.5/10)

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Nina Paley a eu deux gros chocs dans sa vie : la découverte du Râmâyana, cette épopée légendaire en sanskrit, l’un des écrits fondamentaux de l’hindouisme, et son divorce. Sita sings the blues est simplement la rencontre de ces deux événements pour une réinterprétation toute personnelle de sa rupture, mise en abîme avec celle de Sita et Rama.
Vous l’aurez compris, Sita sings the blues n’est pas une énième adaptation du Râmâyana sous forme d’animation, mais une revisite de l’histoire selon la réalisatrice, comme en témoigne le sous-titre décalé "La plus grande histoire de rupture jamais contée"…

Normalement, le Râmâyana n’est pas du tout centré sur Sita, mais bien sur le personnage de Rama, 7ème avatar de Vishnou, évoquant les multiples étapes et turpitudes de sa vie. Pourtant, Nina Paley s’attarde plutôt du côté de Sita et de tout ce qu’elle accepte d’endurer au nom de l’amour. Elle met en parallèle à cette épopée l’histoire de ce que l’on comprend rapidement être son propre couple, et tout ce qu’elle a accepté pour l’homme de sa vie.
Si on peut se demander où elle veut en venir, Nina Paley fait simplement remarquer à sa manière, que la rupture est aussi vieille que l’amour et offre une analyse douce-amère des relations hommes-femmes depuis la nuit des temps.

La réalisatrice utilise différentes techniques d’animation pour séparer et identifier les différentes parties du film.
Le théâtre d’ombres est utilisé pour habiller les narrateurs du film, trois jeunes Indiens qui discutent à bâtons rompus du Râmâyana, plus exactement de leurs souvenirs du Râmâyana. Les dialogues sont totalement improvisés, Nina Paley ayant simplement réuni quelques connaissances à elle (dont Manish Acharya, le réalisateur du très bon Loins of Punjab presents), mis un enregistreur sur la table, et les a laissé débattre sur le sujet en toute liberté. Elle a ensuite utilisé cette conversation comme base de sa narration, amenant à ce film ce qu’il faut d’auto-dérision et de distance. Les narrateurs se trompent, s’embrouillent ou apportent quelques commentaires bien modernes à l’épopée, tout cela mis en images dans le fond et rendant le tout absolument délectable et hilarant.

Les épisodes du Râmâyana à proprement parler sont représentés par la peinture Râjput du XVIIIe siècle, le fond est totalement statique, seuls les personnages bougent, les mouvements étant réduits à leur plus simple expression.
Les passages chantés de Sita sont représentés par des dessins naïfs, faisant penser à ceux de Betty Boop, à l’animation elle aussi minimale, parfaitement synchronisée avec les chansons.
L’histoire contemporaine de Nina, est mise en images grâce à la technique du Squigglevision, les lignes et les formes bougent sans cesse, rendant l’image très dynamique sans un gros effort de production. Avouons-le, c’est cette dernière méthode qui rebute le plus, heureusement il n’y a pas beaucoup de plans comme ça (le mal des transports est presque garanti avec !).
Enfin, une scène de danse magistrale, utilisant le rotoscope (technique visant à transformer une scène filmée en dessin animé) vient illustrer la rupture amoureuse.

Sita, ce n’est pas moins de cinq années de travail acharné de la part d’une seule femme, Nina Paley. Elle a tout assuré de A à Z, de l’écriture du scénario au dessin et à l’animation, bien entendu. La réalisatrice a souvent dit que l’idée lui était venue en entendant Annette Hanshaw, chanteuse de jazz américaine des années 20, qui chantait sa déception de la gent masculine.
Le film a cependant connu beaucoup de difficultés. Nina Paley a reçu une quantité innombrable de menaces de mort pour avoir osé, elle, une femme américaine de surcroît, reprendre une épopée indienne pour en donner sa vision, que ce soit de la part de l’extrême-droite indienne, ou encore l’extrême-gauche qui l’accuse même de néocolonialisme…
Honnêtement, voilà une preuve de plus de l’étroitesse d’esprit de certains, et de leur volonté de faire feu de tout bois (c’est vraiment du même acabit que la barbe trop bien taillée de Saif Ali Khan dans Love Aaj Kal par exemple…).

Pour ne rien arranger, la réalisatrice doit payer des droits d’auteur faramineux pour avoir utilisé les chansons d’Annette Hanshaw, qui pour d’obscures raisons juridiques, ne sont pas toutes entièrement tombées dans le domaine public, ce qu’ignorait Nina Paley.
Après s’être battue pour sortir le film en DVD, la réalisatrice a finalement décidé d’offrir son film à la diffusion libre. Vous pouvez donc le voir en ligne en streaming, le télécharger sur le site de Sita en toute légalité, ou encore l’acheter sur le site si vous pouvez et voulez soutenir Nina Paley.

Sita n’est pas parfait, bien que durant seulement 1 h 22, certaines scènes sont parfois un peu longues. Pour peu que le jazz des années 20 vous passionne autant que la polka néo-classique lituanienne, les dernières chansons risquent d’être une torture, semblant arriver les unes derrière les autres. Malgré tout, Nina Paley réussit là son pari, proposer une lecture féministe du Râmâyana, accessible à tous, même à ceux qui n’ont aucune idée de qui est Sita ou Hanuman. Preuve en est, les nombreuses récompenses qu’elle a reçues, comme le Cristal du long-métrage 2008 au Festival International du film d’animation d’Annecy ou un Ours de cristal "mention spéciale" au Festival de Berlin 2008.

A noter qu’Eurozoom doit distribuer le film dans (quelques) salles françaises dès le 12 août 2009 !

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