]]>

interview Hubert Laot - partie II

Publié samedi 11 juin 2005
Dernière modification lundi 27 juin 2005
Article lu 764 fois

Par David Roussé (Meldon), Maguy

Dossier Auditorium du Musée Guimet
◀ Interview Hubert Laot - partie III
▶ interview Hubert Laot - partie IV

Vous ne considérez pas que vous faites de la vulgarisation. Vous faites du Culturel ?

Oui. On parlait du cinéma indien, par exemple. Il y a en ce moment une mode du Bollywood. Il y a des associations qui font la promotion du style Bollywood, c’est très bien, il faut montrer ça, mais nous, nous ne sommes pas là pour ça. Il y a une histoire du cinéma indien qui est très forte et qui remonte à l’époque des frères Lumière. Aujourd’hui, il y a encore de très, très grands réalisateurs dans la plupart des régions de l’Inde. Il existe au sein de la plus grande démocratie du monde un cinéma d’auteur d’une richesse incroyable. C’est ces films-là que nous souhaitons montrer. Bollywood, tout le monde en parle, il y a une promotion terrible dans la presse. C’est très bien de montrer cette forme particulière du cinéma populaire, mais ce n’est pas précisément la mission du Musée Guimet.

Ne pensez-vous pas que voir « autant » de Bollywood va détourner des gens qui auraient pu être intéressés par un cinéma plus « d’auteur » ?

Non, non, non. Au contraire, je pense que Bollywood peut faire venir des gens chez nous. On l’a déjà vu d’ailleurs, des spectateurs qui ne connaissaient pas l’ancienneté du cinéma indien, qui ne savaient pas que le cinéma indien datait du début du XXe siècle et qui ont découvert des films des années 50 absolument fabuleux. Avec un regard très étonné. Mais ils sont venus là par le cinéma de Bollywood.

Martine Armand, lors de notre interview, avait bien insisté là-dessus. Alors que nous considérions le cinéma comme un amusement de salon, eux tournaient déjà des films « commerciaux ».

Absolument, oui. Ils n’ont jamais arrêté de tourner des films commerciaux, comme dans tous les pays d’Asie. Nous rendons actuellement hommage au cinéma coréen. Des réalisateurs comme Lee Doo-yong ont toujours fait du commercial à côté de leur création, de ce qu’on appelle du cinéma d’auteur. Ils ont toujours fait les deux, en fait. C’est étonnant d’ailleurs, ce sont des gens, on pourrait les prendre pour des intellos, pour des penseurs… Ils ont toujours eu une activité commerciale à côté. Peut-être qu’effectivement dans certains pays comme l’Inde, où le cinéma est très développé, certains réalisateurs ne font que du commercial, mais dans d’autres pays comme la Corée, où le cinéma est apparu plus tard, ils ont fait les deux, peut-être parce qu’il fallait bien aussi qu’ils mangent (rires). Le cinéma commercial payait leurs créations, ça c’est intéressant. Je crois que la barrière n’est pas si marquée que chez nous entre le cinéma d’auteur et le cinéma dit commercial.

JPEG - 21.8 kio
Affiche de "l’été indien" 2004


Justement, ici, quand vous faites votre programmation, vous vous adressez à quel public ? On a un peu l’impression que c’est exclusivement du cinéma d’auteur.

On ne présente pas que des films d’auteurs. C’est ça aussi qu’il faut bien regarder, on programme aussi des films en s’intéressant à l’histoire du cinéma. Quand on passe le premier film du Livre de la Jungle de Zoltan Korda qui est un film assez moyen (rires), on voit très bien qu’il a été tourné au Cambodge et non en Inde, c’est aussi pour montrer comment les Occidentaux ont abordé l’Asie pendant des années, de manière globale et fantasmée. On a passé d’autres films de ce genre, des films anglais, des films américains, etc. Il y a 45 ans, les Occidentaux avaient une vision totalement délirante de l’Asie, qui n’avait rien à voir avec la réalité. Aujourd’hui, on a effectivement la chance de pouvoir passer des films qui nous viennent réellement d’Asie. À une époque, ce qu’on voyait de l’Asie n’était que le fruit de réalisateurs occidentaux. C’est intéressant de voir et de montrer le regard qu’on pouvait avoir de l’Asie.

Vous n’avez pas l’impression qu’il y a une barrière culturelle qui est quand même très, très grande ? Que le public occidental n’est pas forcément « apte » à apprécier des films qui ne sont pas formatés pour lui, dont les codes peuvent parfois lui échapper ? En plus, l’Asie, c’est très grand, on a parlé de cinéma indien, mais les cinémas thaïlandais, indonésien, etc., font référence à leur culture.

Il faut savoir qu’il y a toujours eu des passerelles entre l’Europe et l’Asie, au niveau du cinéma d’auteur comme du cinéma commercial. Un réalisateur comme Satyajit Ray, par exemple, a assisté au tournage du fleuve de Jean Renoir et avait déjà vu des Lubitsch vers l’âge de 20 ans. Il a lui-même dit qu’il avait été très inspiré par Le voleur de bicyclette (NDLR : de Vittorio de Sica). Les schémas des films que l’on voit font partie d’un imaginaire mondial. Le langage cinématographique est presque sans frontières. Les vrais créateurs, ceux qui ont laissé une œuvre, ne souffrent pas de ce problème. Même s’il y a des différences culturelles, il y a suffisamment de choses communes dans le langage cinématographique entre tous les pays.

Je vais poser une question naïve : pour les Français, en étant réducteur, l’Asie, c’est l’ex-Indochine et les touristes japonais. Est-ce que, vous, vous avez une démarche visant à montrer une Asie différente ?

Nous allons même plus loin que ça. Nous présentons, par exemple, les films primés à Vesoul et le festival de Vesoul a cette particularité - en dehors d’être le plus ancien festival dédié à l’Asie en Europe - de tenir à montrer toute l’Asie. C’est pour ça qu’aujourd’hui on présentait un documentaire israélien. On a présenté deux films iraniens mercredi. Le reste de l’année, c’est vrai, nous essayons de coller aux collections du musée, donc aller de l’Afghanistan à l’Extrême-Orient, mais nous essayons aussi de sortir de « l’ordinaire ». On a présenté des spectacles de danse et de musique baloutche, tadjik, mongole… Il n’est pas question de s’arrêter à l’Extrême-Orient, au Japon et à la Chine, même si c’est comme ça que beaucoup d’Occidentaux voient l’Asie. Il est évident que l’on fera un jour un festival de films kazakhs puisque c’est un cinéma très riche. Il n’y aucune raison pour ignorer certains pays.

Pour rester sur Vesoul, comment est née la collaboration entre Guimet et Vesoul ?

Quand je suis arrivé ici, comme j’étais un peu profane en matière de cinéma asiatique, j’ai cherché des contacts avec différents festivals de cinéma en France et en Europe. J’étais naturellement attiré par le festival de Vesoul, déjà parce que c’était le plus ancien en Europe, et surtout parce qu’il a une particularité très forte : il a été créé par des bénévoles et il est toujours animé par des bénévoles. À Vesoul, nous ne sommes pas dans la logique d’une démarche commerciale où les choix peuvent être influencés par des producteurs, des sponsors, de grosses sociétés, des considérations financières. Par ailleurs, Vesoul est tout simplement un énorme succès. On s’imagine que Vesoul, c’est le bout du monde, que personne n’y va. Quand on sait qu’en une semaine, le festival arrive à accueillir 16 000 spectateurs en plein hiver, sous la neige…

Le fait de vous être associé avec Vesoul, cela a dû simplifier les démarches pour vous procurer les films, puisque ce festival a récupéré les bobines.

Absolument pas. C’est même souvent extrêmement difficile de faire revenir les bobines qui sont passées à Vesoul parce que, nous, nous les projetons deux ou trois mois après. Comme ce sont des films qui vont de festival en festival, ce n’est pas toujours facile. Story Undone, on a réussi à le récupérer parce qu’il était à Cannes. Mais il part à Sydney après la projection à l’auditorium. C’est très dur, parce qu’en plus nous n’avons pas le statut de festival, donc ça n’intéresse pas forcément les producteurs que nous passions le film. Si un festival demande le film à une date similaire, on n’aura pas le film même si on est un peu la vitrine de Vesoul sur Paris.

Le fait que vous projetiez les films durant la journée, vous ne pensez pas que cela peut vous desservir ?

Non. On s’est aperçu que ça marche beaucoup mieux en journée qu’en soirée. On a testé. Les premières programmations sur l’Indonésie, on accueillait de 7 à 48 personnes en soirée et souvent 250 à midi. On tourne à 220-230 spectateurs en moyenne à l’heure du déjeuner. Il n’y a aucune salle privée qui fait ça, de manière régulière, à l’horaire de midi quinze. De plus, nous sommes dans la fonction publique, et nos moyens sont limités. Quand on projette à midi, on le fait avec le personnel présent dans le musée. En projection le soir, il faudrait embaucher une dizaine de personnes, soit en heures supplémentaires, soit en extra. Nous ne pourrions pas faire de manière régulière ce que nous faisons en journée, notre budget ne le permettrait pas.

Justement, nous allions venir au budget. Le musée Guimet est une création privée, l’Association des amis du musée participe, il y du mécénat, etc. Vous dépendez toujours autant de l’État ?

Le musée est devenu établissement public, c’est-à-dire qu’il a des ressources propres. Mais nous restons quand même sous la tutelle de l’État avec des moyens qui sont ceux du service public… Actuellement, l’auditorium peut couvrir ses dépenses de production avec ses recettes de billetterie. C’est quelque chose d’extraordinaire. Ne restent à l’État que les charges de personnel et, au musée, les coûts de communication. Nous ne sommes pas au musée du Louvre, nous ne pourrions pas survivre si nous n’arrivions pas à couvrir nos dépenses de production.

JPEG - 62.5 kio
Photo extraite des collections du musée Guimet


Ainsi il y a vraiment une augmentation du public qui s’intéresse au musée Guimet ?

Depuis la réouverture du musée Guimet, il y a eu une grosse hausse de fréquentation parce que c’était nouveau, parce que les gens voulaient voir ce qui avait été fait, etc. Puis ça a chuté, le phénomène de nouveauté passé… L’auditorium a fait l’inverse. Nous avons ouvert la salle un an après l’ouverture du musée à cause de travaux complémentaires. Nous sommes en pleine croissance. On a commencé avec des salles de 30 personnes, maintenant, on refuse du monde.

Vous avez l’impression de démarcher des néophytes ou de vous adresser à la même nomenklatura, les gens qui tournent au Théâtre de la Ville (rires) ?

C’est un public très varié. On a les fidèles du musée Guimet, qui sont plus des amateurs d’art plastique, qui ont découvert par le biais de l’auditorium ce qu’on pouvait leur proposer en complément sur les civilisations asiatiques. Il y a aussi des gens qui souhaitent découvrir d’autres lieux que le Théâtre de la Ville, il y a aussi des artistes qui souhaitent passer ailleurs qu’au Théâtre de la Ville et qui ont entendu le plus grand bien de l’auditorium du musée Guimet (rires). C’est vrai aussi qu’on a un public qui a découvert l’auditorium, des jeunes qui sont venus par le bouche à oreille ou suite à quelques bons articles qu’on a eus dans la presse, par Internet qui est devenu un vecteur extrêmement important. Le public de l’INALCO, par exemple, ceux qui font les Langues O. Ils sont venus au départ pour voir un ou deux films, parce que c’était en V. O. dans la langue qui les intéressait, et ils se sont aperçus qu’il y avait aussi des spectacles.

Commentaires
Pas encore de commentaires