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Aagey Se Right

Publié vendredi 4 septembre 2009
Dernière modification vendredi 18 septembre 2009
Article lu 947 fois

Par Jordan White

Rubrique Albums
◀ Kaminey
▶ Kanden Kadhalai

Aagey Se Right est le genre de production très discrète sortant avec un minimum de promos, même si son producteur n’est nul autre que Ronnie Screwvala, un des pontes de l’industrie hindi. Sa discrétion et son apparente humilité ne doivent pas vous écarter de l’écoute d’un disque contenant plus d’une surprise.

Alors que la mélodie ne semble plus être la priorité numéro un des compositeurs qui font de plus en plus appel à une forme de facilité électronique et aux samples pour toute dynamique (quand ce n’est pas de la repompe punjabie), la BOF d’Aagey Se Right qui vient apporter un vent de fraîcheur inattendu fait le pari inverse, en allant même proposer des sonorités héritées des années 90 comme pouvait l’être par intermittence celle de Luck (une des plus réussies de l’année dans le genre rock fm 80’s-90’s rétro) mais aussi en s’attachant à rester dans la musique traditionnelle. Les musiciens du sud nous proposent régulièrement des mélodies vraiment superbes (Mickey J Meyer avec Happy Days ou Kotha Bangaru Lokam et ses chansons accrocheuses et mélodiques, Devi Sri Prasad avec quelques-uns de ses derniers morceaux, le maestro Illayaraja qui donne un souffle carnatique avec Naan Kadavul, ou encore les chansons pop réussies de Mani Sharma (pour Ready entre autres). Harris Jayaraj nous avait époustouflés avec sa déjà légendaire BOF de Vaaranam Aayiram mais nous déçoit avec Aadhavan.
Les choses sont plus compliquées au nord. Les BOF manquent de variété et semblent appliquer le même schéma : "rythmes et hinglish basiques". Certains trustent même les places depuis des mois, Pritam notamment. Néanmoins, Sajid-Wajid, habitués des productions de Salman Khan, nous offrent des petits moments de détente avec Wanted. Et présentement Amartya Rahut avec son originale Aagey Se Right.

Quelques claps de doigts et un air vaguement "westernien" accompagnent d’entrée la voix sublimée de Shilpa Rao pour ce qui se révèle être le titre d’ouverture, Maahi Ya. Un léger riff rétro voire vintage et quelques notes de synthé entraînent l’auditeur dans ce qui semble être un délire semi-parodique de chanson pop. Sans le cynisme. La voix de Shilpa procède par quelques modulations. Très douce et enveloppante, elle se permet de pousser légèrement dans les aigus sans toucher au trémolo classique (on sent qu’elle pousse un peu sa voix, et ce d’une façon délicieuse avant le dernier refrain). La chanteuse joue de concert avec Clinton Cerejo. Le pont est marqué par une présence aiguë de la basse (une ligne parfaitement claire) avant que le retour à l’harmonie de base nous emballe derechef. Un morceau très efficace et surtout mélodique ce qui mine de rien n’est plus vraiment une donne obligée aujourd’hui.

Dans un registre très différent, proche du hip-hop avec son intro tout en flow et son rythme binaire, Daav Laga, une fois les premières paroles de Sona Mohapatra (impressionnante), flirte avec la pop égyptienne, la musique panarabique en général. Mélange de modernité frappante, entre les Black Eyed Peas pour la rythmique, un soupçon là encore rétro (les notes planantes de synthé et de violon) et de sons "hindustani", ce morceau s’apprécie également pour son refrain maîtrisé, poussé par les choeurs masculins, ce qui n’est pas si courant. Un mix réussi d’Orient et d’Occident en quelque sorte, qui donne une certaine idée de ce que pourrait être la rencontre entre la pop/funk d’Elephunk, celle de la Libanaise Nancy Ajram, un léger zeste de Bengü du côté de la Turquie ou encore le Hips don’t lie de Shakira, toutes proportions gardées. Et la durée du morceau, 3 min 02 s, en fait un single idéal. Bien que ce rôle semble avoir échu à Maahi Ya.

Désireux de se classer aussi à sa manière dans les charts des clubs, avec ironie et second degré, d’où la tonalité de la chanson, Aagey Se Right sur un rythme de dancefloor nous propulse sur cette même scène avec Hippie Tu Jhoom, titre dansant qui ne se prend vraisemblablement pas au sérieux. Ce qui n’empêche nullement de laisser quelques subtilités s’intaller au fil de son écoute : les violons tziganes, les dhols d’inspiration indienne durant le pont, bref un mélange de folklores qui laisse respirer une basse une nouvelle fois bel et bien présente. C’est cette alternance entre rythmes percutants et ligne harmonique qui redonne du souffle aux BOF avant les passages obligés par les morceaux romantiques (qui à l’instar des morceaux bhangra ont pris une place de plus en plus importante dans la musique contemporaine, même si du temps de RD Burman, Bappi Lahiri, Op Nayyar et autres musiciens de légende, les morceaux romantiques des années 70 étaient bien entendu une part prépondérante de la production). Le pont de 1 min 40 s à 2 min 16 s remet même les pendules à l’heure : en trente secondes, il y a plus d’inventivité que sur l’intégralité de Dil Bole Hadippa.

Même quand la BOF semble en faire des tonnes et proposer des rythmes avant la mélodie, en gros baser les morceaux uniquement sur la présence des instruments plutôt que sur leur utilisation, Aagey Se Right nous propose une chanson qui ressemble à Hippie Tu Jhoom au niveau de sa construction (en moins trépidant) avec Love Flashback, qui fait sonner le son du funk et du disco 70’s couplé au son 80’s radio tout en prolongeant l’esprit humoristique déjà présent sur la chanson précédente. C’est fun et enjoué. L’intérêt de la chanson vient de son refrain transcendé par la voix de Suzanne D’Mello. Une forme d’innocence, de petite folie sonne sur ce morceau, mais aussi ce goût de l’enfance. Etonnant. Certes, Aagey Se Right n’est pas aussi traditionnelle dans l’âme que peut l’être Gulaal, mais Amartya signe une BOF énergique, qui se permet une conclusion sous forme de bossa-nova avec More Piya.

En dépit d’une promo minimaliste voire inexistante, qu’on se le dise : la BOF d’Aagey Se Right est une belle surprise à l’heure de la redite.


Année : 2009

Commentaires
4 commentaires
En réponse à Madhurifan - le 09/09/2009 à 08:49

J’évacue tout de suite Veer Zaara qui est à mes yeux le chef d’œuvre absolu en matière de BOF. La façon dont ont été conçues les musiques à partir de l’œuvre de Madan Mohan est phénoménale et on sent une passion, un amour et une affection là dedans qui sont au-delà des mots. Bref la BOF de VZ est pour moi LA BOF hindie du XX° siècle.

Sur l’évolution, je partage ton idée de l’intégration de sources multiples, ce qui n’est pas exceptionnel en matière de musique, c’est le moins qu’on puisse dire. Aagey Se Right, je le dis à nouveau, j’aime bien (de plus en plus, même) et je l’écoute avec plaisir.

Mais j’ai l’impression qu’on s’auto alimente. Par exemple, Mahi Ya me fait penser au Hei Junoon de New York, Daav Laga au Jogi Mahi (très hindi lui) de Bachna Ae Haseeno, Hippie Tu Jhoon à RNBDJ et Love Flashback au Vacancy de Golmaal Returns. Je ne parle pas de la bossa qui fait partie de la touche latino quasi obligatoire d’un disque moderne. Tout cela me laisse penser qu’il n’y a quand même pas beaucoup d’imagination. Petit à petit, à repartir de la base du copain qui était déjà parti de la base d’un autre copain, on perd des choses et on se retrouve avec un son "gris", un mélange de toutes les couleurs. Parfois c’est nul et parfois ça donne de bons résultats, comme ici dans ASR.

Est-ce à dire que c’est la bonne voie à suivre, je n’en suis pas si sur. Le risque n’est pas tant de créer quelque chose de nouveau (ça, c’est plutôt une chance), le risque c’est de voir disparaître ce qui est original (dans le sens de l’origine), un peu comme une tribu amazonienne.

Mais bon, c’est pas sur Fanta qu’on va changer ça…

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Jordan le 08/09/2009 à 19:31

Tu fais bien Madhurifan de te poser des questions quant à l’orientation des musiques de film, depuis 2005 environ à mon sens, c’est-à-dire la période post Veer-Zaara, le dernier chef-d’oeuvre pour moi de composition classique indienne, même si cette BOF est bien plus ancienne que la date de sortie de film, ce qui ferait à mes yeux de La Famille Indienne le film symbole pour les années 2000 après lequel de plus en plus de sonorités électroniques vont apparaître puis avoir une importance croissante. Je dirais néanmoins que la tendance actuelle est aussi à l’actualisation et à la tentative de modernisation de la musique punjabie, Pritam s’y collant par exemple depuis quatre ou cinq BOF. Sur la BOF de Mr Aur Mrs Khanna on peut même entendre un qawali…avec un son aussi électronique (ce qui était plûtot l’apanage des années 70 avec des morceaux comme celui très célèbre de dix minutes de Hum Kisise Kum Nahin de 1977)

Concernant Aagey se Right, les touches indiennes sont pour moi présentes dans la chanson Daav Laaga, les autres chansons ayant un côté easy-listening vraiment très agréable car très bien produit (l’écoute au casque sur Hippie Tu Jhoom chanson qui mêle plusieurs folklores ou encore de Maahi Ya et sa foule de petits détails sonores) et facilement "fredonnables". Je reste convaincu que les compositeurs sont très largement ouverts sur l’occident, vont rechercher autant dans la musique de Bob Sinclar que dans les recettes classiques de Ravi Shankar sans forcément les citer d’ailleurs. On a pu être habitués à huit ou dix grandes BOF au début des années 2000 (même des comédies mineurs avaient des morceaux sacrément dansants et extrêmement bien produits) et de nos jours il est devenu plus rare de trouver une perle rare…mais quand c’est le cas quel plaisir !

Je formule l’hypothèse, la piste selon laquelle cette tendance à l’électro/au son club, très BPM est lié à l’ouverture sur un marché économique beaucoup plus grand, aux influences du cinéma et de la musique américaine (et vice-versa). Une (grande) partie de la population urbaine est très jeune, férue des multiplexes (comme l’est le public américain pour le ciné de genre notamment fantastique aux USA auprès duquel il cartonne) donc ça s’inscrit dans un mode de consommation, même si le sari demeure le vêtement roi (mais on peut aussi écouter de la techno en sari avec un Iphone). Ce qui me semble primordial c’est que les BOF produisent de bons morceaux même si tout n’est pas d’une grande tenue (ce qui était possible à l’époque des Jatin-Lalit et pas si loin de cela de nous de Vishal-Shekhar qui n’ont pas offert de BOF cette année).

Madhurifan le 09/09/2009 à 08:49

J’évacue tout de suite Veer Zaara qui est à mes yeux le chef d’œuvre absolu en matière de BOF. La façon dont ont été conçues les musiques à partir de l’œuvre de Madan Mohan est phénoménale et on sent une passion, un amour et une affection là dedans qui sont au-delà des mots. Bref la BOF de VZ est pour moi LA BOF hindie du XX° siècle.

Sur l’évolution, je partage ton idée de l’intégration de sources multiples, ce qui n’est pas exceptionnel en matière de musique, c’est le moins qu’on puisse dire. Aagey Se Right, je le dis à nouveau, j’aime bien (de plus en plus, même) et je l’écoute avec plaisir.

Mais j’ai l’impression qu’on s’auto alimente. Par exemple, Mahi Ya me fait penser au Hei Junoon de New York, Daav Laga au Jogi Mahi (très hindi lui) de Bachna Ae Haseeno, Hippie Tu Jhoon à RNBDJ et Love Flashback au Vacancy de Golmaal Returns. Je ne parle pas de la bossa qui fait partie de la touche latino quasi obligatoire d’un disque moderne. Tout cela me laisse penser qu’il n’y a quand même pas beaucoup d’imagination. Petit à petit, à repartir de la base du copain qui était déjà parti de la base d’un autre copain, on perd des choses et on se retrouve avec un son "gris", un mélange de toutes les couleurs. Parfois c’est nul et parfois ça donne de bons résultats, comme ici dans ASR.

Est-ce à dire que c’est la bonne voie à suivre, je n’en suis pas si sur. Le risque n’est pas tant de créer quelque chose de nouveau (ça, c’est plutôt une chance), le risque c’est de voir disparaître ce qui est original (dans le sens de l’origine), un peu comme une tribu amazonienne.

Mais bon, c’est pas sur Fanta qu’on va changer ça…

Jordan le 11/09/2009 à 20:58

En y repensant, je dirais que les deux dernières BOF de ces trois quatre dernières années avec des morceaux traditionnels qui m’aient vraiment marqué sont celles d’Aaja Nachle (le titre éponyme est formidable et Sunidhi parfaite dans son registre, même si elle a une voix moins variée que celle de Shreya Ghoshal ou encore de Shilpa Rao) et Dor (un chef-d’oeuvre signé Salim/Sulaiman). Mais j’avais beaucoup aimé ce qu’avait fait Chirantan Bhatt de l’électro/dance/funk/disco/hip-hop avec la BOF d’E.M.I.

Madhurifan le 07/09/2009 à 07:55

Excellent article, comme d’hab. Je trouve aussi que c’est une bonne surprise. Mais toutefois, le bémol que je mettrai c’est qu’on se demande vraiment ce qui est hindi là-dedans. J’exagère un peu mais globalement l’impression qu’on garde (ou plutôt que j’en ai gardé) c’est qu’on a un bon cd de world music, avec des influences diverses et une bonne technique. Rien à redire non plus sur l’orchestration ni les chanteurs. Tout cela est du beau travail. Mais je ne trouve pas de sensibilité hindie particulière, sorti des sonorités de la langue.

Il me semble qu’avec cette BOF, on glisse encore une fois ou encore un peu plus, selon son optimisme naturel, dans la variété internationale plutôt aspetisée et très agréable à entendre. En tout cas, un bon cd à écouter.