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Earth

Traduction : Terre

LangueHindi
GenreDrame
Dir. PhotoGiles Nuttgens
ActeursAamir Khan, Nandita Das, Kulbhushan Kharbanda, Kitu Gidwani, Rahul Khanna, Maia Sethna
Dir. MusicalA. R. Rahman
ParolierJaved Akhtar
ChanteursSadhana Sargam, Sukhwinder Singh, Srinivas, Hariharan, Sujatha
ProducteursAnne Masson, Deepa Mehta
Durée101 mn

Bande originale

Banno Rani
Dheemi Dheemi
Ishwar Allah
Raat Ki Daldal Hain
Ruth Aa Gayee Re
Yeh Jo Zindagi Hain
Piano Theme (Instrumental) [Earth]
Theme Music (Instrumental) [Earth]

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La critique de Fantastikindia

Par Soniya - le 10 mars 2009

Note :
(9/10)

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Earth (aussi connu sous le titre 1947 : Earth) est le second film de la trilogie de Deepa Mehta, commencée en 1996 avec Fire et terminée en 2005 avec Water. Cette adaptation du roman de Bapsi Sidhawa, Cracking India*, est une montagne russe d’émotions, qui laisse le spectateur lessivé et bouleversé à sa toute fin : retour avec cette critique sur le chef-d’œuvre de la réalisatrice.

Nous sommes à Lahore, quelques mois ou semaines avant la partition des Indes britanniques qui va donner naissance à deux pays distincts, le Pakistan et l’Inde.

Lenny est une petite fille boiteuse (atteinte de polio comme l’a été la romancière Bapsi Sidhawa, elle-même âgée de 9 ans lors de la partition) mais intelligente et choyée par sa famille aisée parsie, et par son Ayah adorée (c’est-à-dire sa nourrice), la belle Shanta.

Celle-ci est le centre d’attention d’un groupe d’amis composé d’hindous, de musulmans et de sikhs, et est plus particulièrement courtisée par Hassan, le masseur, et Dil, le vendeur de glaces. Tout ce petit monde se voit souvent, notamment au parc de Lahore, et Lenny assiste avec plaisir à ces réunions où elle observe, sans toujours le comprendre, le jeu des adultes.
Face aux tensions religieuses montantes, le groupe d’amis semble d’abord se souder autour de Shanta et Lenny, mais lorsqu’arrivent les premiers réfugiés et que commencent les premiers massacres, l’harmonie du groupe se fissure, les plaisanteries habituelles s’enveniment, alors que parallèlement les relations amoureuses se déclarent et essaient de s’épanouir, dans ce contexte troublé.

Dévoiler plus en détail l’intrigue de Earth serait ôter au spectateur une grande partie de l’émotion que peut apporter ce film. Le scénario exploite brillamment deux partis pris de départ : se mettre à hauteur d’enfant (l’une des premières scènes se déroule d’ailleurs sous une table où Lenny et son cousin espionnent une conversation d’adultes), et alterner les scènes légères avec des moments beaucoup plus sombres.
Quelquefois c’est au sein d’une même scène que la grande Deepa Mehta réussit à combiner naïveté de l’enfance, légèreté et gravité, comme lorsqu’un petit réfugié musulman propose à Lenny et son cousin de jouer aux billes tout en racontant l’assassinat de sa mère en Inde : une scène casse-gueule que la cinéaste réalise avec subtilité et talent.
Un autre de ces moments est la scène du « téléphone d’Allah ». Mister Ice Candy (ses amis disent alors de lui « Personne n’a autant de joie ! ») fait le pitre déguisé en maître soufi qui prédit l’avenir en parlant à Allah à travers un vieil appareil téléphonique. Mais lorsqu’un musulman et un hindou veulent savoir ce que sera l’avenir de leur pays, l’atmosphère se fait plus lourde.

Si la réalisatrice se place à hauteur d’enfant, aucune mièvrerie dans cette posture, rien n’est épargné à « Lenny-baby ». La famille de Lenny est parsie, c’est-à-dire qu’elle est considérée comme « neutre » par les autres communautés religieuses, et ne risque a priori aucune attaque en ces temps troublés. Alors que la maison parsie tend à être un îlot de paix au milieu du tumulte, avec ses domestiques de religions différentes mais vivant en bonne entente, Lenny capte des signaux d’événements menaçants. Son père ramène une arme à la maison, la fille du balayeur, sa petite compagne de jeu, est mariée à 10 ans par son père à un chrétien, considéré également comme une religion « neutre ». Shanta dit alors à la petite Lenny : « La crainte fait faire à des personnes des choses folles de nos jours ». Si tout cela reste abstrait pour Lenny, elle réalise à son niveau que son monde est en train de changer, elle intègre comme elle le peut les événements de l’histoire, et ses jeux d’enfant deviennent plus graves.

L’image et la mise en scène du film sont une réussite. Les couleurs sont magnifiques, Deepa Mehta nous l’a toujours prouvé à travers ses films, c’est une esthète de l’image, et Earth bénéficie de plans à la lumière travaillée et d’une belle reconstitution d’époque. Les scènes plus graves de la fin se déroulent presque toutes le soir ou la nuit, de manière à faire ressentir au spectateur que l’avenir des personnages s’assombrit.

Aamir Khan (le marchand de glaces) est magnifique, déchirant et…glaçant. Lenny adore son Mister Ice Candy et le spectateur a du mal à ne pas faire de même, tant l’acteur fait de son personnage un être extraverti et généreux au début, dont le charme se teinte de douleur et de colère au fil de l’histoire. Les yeux cernés de khôl, l’acteur est dans son rôle le plus ambigu et peut-être le plus marquant, traduisant en un regard, en une posture, le changement de pensée de son personnage.

Face à lui la petite Maia Sethna (Lenny) compose avec talent son personnage de petite fille perdue dans un monde d’adultes, notamment lors du face-à-face final avec Aamir, l’objet de son amour et admiration enfantine. Nandida Das (Shanta) est absolument adorable en jeune femme entière, et Rahul Khanna (Hassan) joue avec subtilité un rôle plus en retrait, mais ne manque également pas de charme.

Surtout, la réussite du film tient pour beaucoup aux personnages secondaires, tous parfaits : esquissés en quelques scènes, ils nourrissent l’intrigue et on s’attache à chacun d’entre eux, on tremble pour eux. Je ne peux résister à l’envie de vous citer la scène où le grand Kulbhushan Kharbanda, qui joue le cuisinier musulman de la maison parsie, préfère jurer sur Allah et mentir pour sauver une vie, alors qu’une foule haineuse invoque le même dieu pour tuer : en quelques secondes, ce personnage devient le plus pieux, et donc le plus juste, de l’histoire.

La musique, traditionnelle, se met au service des scènes. A.R. Rahman en est l’auteur, et s’il n’y a qu’une scène chantée et dansée (Bano Rani lors de la scène du mariage), elle est omniprésente et souligne brillamment les émotions, lorsque par exemple les premiers réfugiés arrivent à Lahore tels une armée de spectres, ou lors de la magnifique scène d’amour (Yeh Jo Zindagi Hai).

D’ailleurs cette séquence, monument de sensualité qui a dû choquer plus d’un spectateur indien, donne l’occasion à la réalisatrice de faire sa maligne dans une brillante mise en abîme du spectateur et de deux autres voyeurs, Lenny et Mister Ice Candy : cette scène-clé du film, charnelle et lumineuse, est orchestrée avec brio.

Alors que tout s’y prêtait, l’histoire ne laisse pas la place à de longs discours fanatiques ou à une lourde charge anti-anglaise. Lorsque l’un des personnages dit « les politiciens parlent des langues tordues, ils nous donnent l’indépendance imbibée du sang de nos frères », un autre ajoute : « Quand nos amis veulent nous tuer, nous avons peu de choix », ce qui recentre l’histoire collective de la partition sur des destins individuels. La réalisatrice nous montre le groupe d’amis autour de Lenny comme un microcosme au sein duquel l’intolérance et la haine montent crescendo, sous la pression d’événements extérieurs horribles. Mais elle émet aussi l’idée que l’individu peut faire le choix de résister, et que les décisions prises par une personne sont souvent le fruit de sentiments simplement humains comme la confiance, l’amitié, l’amour et la jalousie. Et Deepa Mehta est maligne : jusqu’à la toute fin elle nous fait partager l’espoir d’une lumière au milieu de toute cette obscurité, avec une force vitale qui continue à animer ses personnages.

« Hindous, sikhs, musulmans, nous sommes tous des animaux » déclare le marchand de glaces. Quelle que soit leur religion, tous les personnages du film ont l’air à la fois horrifiés et résignés face à l’Histoire en marche : personne ne s’en sortira vraiment indemne, personne n’aura ce qu’il désire, et même les enfants perdront leur innocence.

Personnellement j’ai vu Earth un nombre inavouable de fois : connaître les rebondissements de l’histoire ne m’a jamais empêché d’apprécier à chaque vision toute la subtilité du scénario et l’intensité dramatique des acteurs. Alors bon, je vais quand même vous parler de la dernière scène du film : les années ont passé, nous sommes pratiquement à notre époque et Lenny, à présent une dame âgée, nous avoue à travers la belle voix-off de Shabana Azmi, avoir perdu une grande partie d’elle-même au cours de l’année 1947. Earth est pour moi de ces films qui élèvent le spectateur en expliquant l’Histoire sans y minimiser le rôle de l’individu, et de ses choix. Un film si bouleversant ne peut-il pas pousser celui qui le voit à faire preuve de plus de compréhension face aux conflits religieux actuels, et plus de tolérance dans sa vie de tous les jours ?

* publié en 1991, disponible en français chez Actes Sud sous le titre Mister Candy, et publié à l’origine en anglais sous le titre Ice Candy Man.

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