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Interview : Mawra Hocane, héroïne de Sanam Teri Kasam

Publié vendredi 15 juillet 2016
Dernière modification lundi 18 juillet 2016
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Par Brigitte Leloire Kérackian

Rubrique Entretiens
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Âgée seulement de 24 ans, Mawra Hocane est une actrice pakistanaise qui fait ses débuts à Bollywood en 2016 dans un film romantique, Sanam Teri Kasam. Elle a démarré sa carrière en tant qu’animatrice d’émissions pour le jeune public à la télévision pakistanaise. Les réalisateurs Radika Rao et Vinay Sapru connaissent depuis longtemps ses talents d’actrice et lui ont proposé le rôle de Saru dans leur film sorti en février 2016. Toute la presse a salué son jeu dans ce drame où elle excelle pour restituer la fragilité et l’obéissance d’une jeune fille traditionnelle et de caste brahmane.

Brigitte Leloire Kérackian : Vos premières expériences devant la caméra sont celles de VJ , pourriez-vous nous donner des détails sur ce type d’activité ?
Mawra Hocane : VJ signifie Video Jockey. Au cours d’une émission, on invite des jeunes à chanter leurs chansons préférées et les plus grands hits. Quand j’avais 16 ans j’étais l’animatrice d’une d’émission à la télévision pakistanaise, et cela a duré jusqu’à mes 18 ans. C’est là où j’ai appris mon métier d’actrice. Quand Priyanka Chopra est devenue Miss Monde j’avais 8 ans, et j’ai dit à ce moment-là à ma mère que je voulais faire la même chose. Je ne connais personne d’autre à part elle qui soit aussi self- made (auto-entreprenante).

BLK : Est-ce facile au Pakistan de devenir actrice, de jouer dans des pièces ou de paraître sur les plateaux télévisés ?
Mawra Hocane : L’important c’est de déterminer ce que vous voulez vraiment faire et quel est votre engagement pour atteindre cet objectif. Par exemple, quand j’avais dit que mon premier film serait un film Bollywood, il y a eu des personnes qui m’annonçaient que j’aurais peut-être un rôle mais sûrement pas le rôle principal. Si j’avais cru ces personnes je n’aurais jamais joué dans un film comme Sanam Teri Kasam. Au fond, c’est très bien qu’ils m’aient annoncé un futur échec, car cela a déclenché quelque chose en moi. J’ai juste envie de continuer, de leur montrer qu’ils ont tort et de démontrer les capacités dont je dispose.

Je suis certaine que lorsque Priyanka Chopra a débuté, elle a dû rencontrer plein de gens qui lui déconseillaient de réaliser son projet. Je voudrais aussi que les gens sachent que même en étant une jeune fille pakistanaise traditionnelle il n’y a pas d’opposition avec un vocation d’artiste. Un artiste porte avec lui sa tradition et sa culture, sans opposition. Quand je parle ourdou en Inde, ils sont fascinés par le fait que je parle un hindi aussi élaboré.

BLK : J’aimerais vous demander quelques précisions sur votre rencontre avec les réalisateurs Radikha Rao et Vinay Sapru .
Mawra Hocane : En fait, au Pakistan la télévision est juste à l’opposé des films indiens. Les films indiens ont la plus grande part du marché du divertissement en Inde, alors qu’au Pakistan la télévision domine et elle est très populaire. Leur équipe a vu mes émissions et m’a contactée. Ils m’ont envoyé le scénario et m’ont demandé si je voulais participer au projet. Ils avaient vu mon travail et m’ont dit très gentiment que je représentais tout ce qu’ils voulaient voir dans Saru.

BLK : Quelle a été votre impression à la première lecture du scénario ?
Mawra Hocane : Je trouvais qu’il y avait beaucoup de rêves, de larmes et beaucoup d’émotions. La société indienne et aussi ma communauté accepteraient ce point de vue très traditionnel des relations, ainsi que le sort d’une jeune fille du sud de l’Inde. Ces éléments étaient sécurisants.

BLK : Dans le personnage de Saru qu’est-ce qui vous a personnellement touchée ?
Mawra Hocane : : Je suis très émotive et sensible. Parfois, je ressens probablement trop intensément certaines situations, mais je n’avais pas encore traversé des bouleversements à ce niveau d’amplitude. Au démarrage du tournage de Sanam Teri Kasam j’étais encore immature et je ne comprenais pas l’amour, la perte, la vie, la mort. Aujourd’hui, après avoir traversé dans le film tous ces sentiments d’amour, de perte, de disparition, cela me rend reconnaissante d’avoir la vie que j’ai avec des gens qui m’aiment. Cela a fait naître aussi le souhait de vivre un tel amour, de rencontrer une âme sœur.

Sur le plan personnel je vivais pour la première fois hors de la maison de mes parents, dans un pays dont j’avais une vision superficielle, et j’ai découvert une réalité qui m’a fait l’aimer. Donc, l’apprentissage s’est fait à plusieurs niveaux. J’ai mûri en tant qu’actrice et en tant qu’être humain, je suis devenue plus compréhensive à l’égard de notre pays voisin. À la suite de mon travail, les gens m’ont montré tellement d’affection et de respect… Je me sens si reconnaissante et j’attend impatiemment d’y retourner. Avant ce film, je ne savais pas que les Indiens étaient si amicaux et chaleureux.

BLK : L’intensité émotionnelle de certaines scènes est tellement puissante, comment avez-vous géré ces émotions ? Comment vous en êtes-vous sortie ?
Mawra Hocane : Je pense que je n’en suis pas encore sortie et que je ne m’en suis pas rendue compte. Pendant le tournage, je me disais « je m’en sors », mais en fait non. Sur le plateau je pleurais et je n’utilisais pas d’artifices (Vicks ou de la glycérine) pour montrer mes larmes. J’essaie de ressentir la souffrance du personnage ou bien de me remémorer des moments douloureux de ma vie.

BLK : Il est surprenant de voir Saru aussi obéissante vis-à-vis de son père. On le voit très en colère quand il la découvre dans l’appartement d’Inder, tôt le matin. Elle accepte sa colère. Pour un public occidental, cela peut paraître difficile à comprendre. Trouvez-vous que cette attitude soit commune en Inde ou au Pakistan ?
Mawra Hocane : Je ne l’ai pas constaté et je n’en ai pas fait l’expérience (dans la vie). Quand ma réalisatrice me racontait l’histoire, je lui posais la question : « Est-ce qu’il l’a vraiment rejetée et mise dehors parce qu’elle se trouvait dans l’appartement du voisin ? » Je pensais que ce n’était pas une situation où on pleure parce que je trouvais qu’elle n’avait commis aucune faute. Mais il faut savoir que la famille de Saru est du Sud et extrêmement traditionnelle. Elle ne sort jamais de chez elle, sauf pour aller travailler. Elle est très introvertie et ne vit que selon les normes établies par son père. Son immense respect suffit pour qu’elle considère toutes ses paroles comme parfaites. Il n’était plus question de « juste ou faux », c’est plutôt la question du respect d’une fille pour son père. Quand mon père me dit quelque chose, je l’écoute car je le respecte. Cependant, je suis aussi une fille plus moderne et donc je demanderais à mon père une raison et une explication. Mais je suis aussi quelqu’un qui écoutera ses parents.

BLK : Comment avez-vous rencontré votre partenaire à l’écran Harshvardhan Rane ? Il nous a expliqué que son recrutement avait été décidé seulement quelques jours avant le tournage effectif.
Mawra Hocane : J’étais déjà en Inde car mes réalisateurs avaient prévu des séances de répétitions en préparation des scènes dansées. Ils m’avaient annoncé un nom comme partenaire et je devais le rencontrer un ou deux jours plus tard. J’ai confiance en mes réalisateurs et j’étais persuadée qu’ils feraient un bon film de cette histoire. Ils m’ont alors annoncé que le héros pourrait être joué par quelqu’un d’autre, car ils avaient fait passer une audition la veille. Ils m’ont dit qu’il serait recruté pour ce film, mais ils ne m’ont pas donné son nom tout de suite.

Je faisais mes répétitions de danse en attendant. Ensuite ils m’ont convoquée pour que je rencontre le héros du film. À ce moment-là, j’ai appris que Harsh avait été confirmé deux jours plus tôt. Cela paraît surprenant car le délai a été court. Et ensuite nous avons commencé les séances de photo pour la conception du poster.
Je vais vous dire quelque chose que je n’ai pas révélé à beaucoup de gens. Pendant le shooting du poster, celui avec la baignoire, je me sentais une extra-terrestre. C’était mon tout premier tournage avec l’équipe entière de 70 personnes que je n’avais jamais vu en Inde. Je ne connaissais aucun d’entre eux. C’était peut être le 4ème ou le 5ème jour loin de chez moi, de surcroît c’était ma première expérience entièrement seule. J’étais remplie de doutes : est-ce que les gens allaient m’accepter ? Est-ce qu’ils aimeraient mon film ? Je n’avais jamais revêtu de sari et c’était une première. Je vivais des moments totalement inconnus pour moi, et en plus on m’avait demandé de m’installer dans une baignoire avec un sari. J’avais un doute sur le bien-fondé de cette jeune fille en sari dans une baignoire. Pour le poster, je devais garder les yeux un peu humides, mais pas de larmes complètes. Mes pensées à ce moment-là étaient complexes. Je pleurais pour la scène, mais je pleurais aussi parce que j’avais le cœur lourd. Donc, je suis juste assise là. Harsh a sa main sur ma tête et agenouillé à côté de la baignoire. Je sentais juste sa main sur ma tête. Il a alors perçu que je vivais un bouleversement intérieur. Tout le monde a cru que je laissais couler mes larmes pour la photo mais il a été le seul à saisir ce qui se passait réellement : mon sentiment d’être une étrangère, d’être différente. Il l’a immédiatement compris. Il m’a alors demandé ce qui n’allait pas et j’ai dit que ça allait. Il a répondu OK. Il n’avait pas besoin de poser de questions, c’est le genre de personne qui est juste présente. C’est la toute première fois que je me suis sentie en sécurité grâce à la présence de Harsh.

Nous avons eu cette connexion à travers cette magnifique histoire d’amour. Pouvoir se reposer sur une personne si pleine de bonté pour votre premier film c’est formidable. Vous n’avez pas besoin de réfléchir avant de lui parler. Il est ainsi dans la vie réelle. C’est une personne si pure que vous pouvez constamment être vous-même. Grâce à lui je me suis vraiment sentie totalement à l’aise et en sécurité alors que j’étais si loin de ma famille. Je l’apprécie vraiment énormément.

BLK : Dans les scènes qui montrent le tournage de votre fameuse scène dans la baignoire, il est dit que vous êtes restée dans l’eau plus de 20 heures. Comment avez-vous supporté une scène si difficile ?
Mawra Hocane : Nous tournions à Cape Town à peu près au milieu du programme de tournage (en août ) donc c’était l’hiver sur place et la température n’était pas très élevée, c’est pourquoi l’eau se refroidissait si vite. Même en ajoutant de l’eau chaude régulièrement, elle se refroidissait. Je pense que plus vous franchissez des obstacles plus l’accomplissement sera élevé. Je crois que si Dieu me fait vivre des moments difficiles, il y aura une récompense par la suite. Quand cela devient trop facile, cela m’angoisse.
C’est quelque chose que je veux garder en moi pour toujours. Jusqu’ici, c’est le rôle de Saru dont je suis la plus fière. Quand je suis rentrée au Pakistan, je suis tombée malade. J’ai compris à ce moment-là que je ne m’étais détachée d’aucune scène. Ce rôle m’a entraînée à souffrir avec le personnage et c’est seulement à mon retour que j’ai mesuré l’impact de cette expérience. Ma scène préférée est celle de la salle de bains.

BLK : À part Priyanka Chopra, quelles personnes ou artistes vous inspirent au Pakistan ? Avez-vous des projets concrets et quels sont les réalisateurs avec lesquels vous aimeriez tourner ?
Mawra Hocane : Mahira Khan m’a beaucoup inspirée. Elle est une des plus célèbres actrices du Pakistan, elle a gagné de nombreux prix.
La musique de Rockstar est celle que j’étais en train d’écouter pendant que je tournais et j’aimerais tourner un jour pour le réalisateur Imtiaz Ali (retrouvez son interview ici). J’ai trouvé que Tamasha était magnifique. Des entreprises du monde de la mode sont invitées à Berlin en juillet et je vais participer aux événements qui y seront organisés.

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Capture d’écran de l’interview sur skype. Merci la technologie !

Propos recueillis et traduits de l’anglais par Brigitte Leloire Kérackian. Juin 2016.

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