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Interview de Ketan Mehta et Nawazuddin Siddiqui

Publié samedi 19 avril 2014
Dernière modification lundi 21 avril 2014
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Par Brigitte Leloire Kérackian

Rubrique Entretiens
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Interview réalisée en octobre 2013, pour le film Manjhi, the Mountain Man (date de sortie prévue en 2014).
Bombay - Filmcity

Arrivée à Bombay en octobre 2013, j’ai pu contacter Nawazudin Siddiqui suite à mon interview au Festival de Cannes. A cette période, il est sur place et nous pouvons nous rencontrer à Film City. Sans son introduction, impossible de franchir l’entrée des célèbres studios. Ce jour-là, je peux avoir un entretien avec lui et son metteur en scène Ketan Mehta pour leur dernier long métrage.

Parmi les films les plus célèbres de Ketan Mehta, on distinguera en particulier Bhavni Bhavai (National Film Award 1981) Maya Memsaab (adaptation de Madame Bovary en 1993 avec Shah Rukh Khan et Deepa Sahi) et surtout le plus universellement admiré : Mangal Pandey, the Rising (la Révolte des Cipayes avec Aamir Khan en 2005).
Son prochain film Manjhi, the Mountain Man, décrit la vie réelle d’un homme qui a creusé une montagne seul pendant 22 ans de 1960 à 1982. Dashrath Manjhi, à la suite du décès de son épouse qui n’a pas pu accéder aux soins de l’hôpital car il fallait parcourir 75 km, se révolte contre cette injustice et ne veut pas qu’un drame similaire se reproduise. Il entreprend alors de creuser la paroi dans les collines de Gahlour, district de Gaya, dans le Bihar pour créer un passage qui réduit la distance à 15 kilomètres et ainsi accéder plus facilement au centre de soins. Cette histoire motivée par un amour immense et une foi infaillible a bouleversé toute l’Inde au moment de la disparition de Dahsrath Manjhi en 2007.

Brigitte Leloire Kérackian à Nawazuddin Siddiqui : Comment vous êtes vous préparé pour incarner ce rôle ?
Nawazuddin Siddiqui : Avec l’aide de Ketan Mehta, j’ai commencé ma préparation. C’est un rôle totalement différent de tout ce que j’ai pu faire dans le passé. Entre les rôles de jeune timide, de gangster, d’employé mal assuré, j’avais envie de donner une autre impulsion à ma carrière et cette opportunité m’a plu.
Bien entendu, j’avais vu les films de Ketan Mehta dans ma jeunesse et je l’admire depuis très longtemps. J’avais vu Mirch Masala, Maya Memsaab, Yeh hai India, Mangal Pandey, Bhavni Bhavai et tous ses films quand j’étais acteur de théâtre. Maintenant, travailler avec lui pour ce film est un rêve devenu réalité.

BLK : Etait-ce difficile physiquement de jouer ce rôle ?
NS : Oh oui ! C’est le rôle le plus dur de toute ma carrière, je dois dire ! Il y avait le rôle physique, mais aussi psychologiquement, vous devez atteindre son état d’esprit intérieur ! Et il était absolument nécessaire que je m’identifie à son état d’esprit intime. Il creuse la montagne continuellement pendant 22 ans. Vous ne pouvez pas l’imaginer mais, en tant qu’acteur, vous devez vous projeter pour le restituer avec justesse !

BLK : Durant le tournage, vous entriez dans une sorte de vie monacale et solitaire pour faire vivre ce personnage ?
NS : Les phases les plus difficiles ont été de passer d’une période de sa vie à l’autre. Le matin, je jouais le personnage à 23 ans et le soir-même, j’endossais le rôle âgé de 65 ans. Entre temps, il faut jouer une scène où Manjhi a 40 ans. Dans la même journée, je jouais 3 périodes différentes de sa vie. En tant qu’acteur, le jeu doit s’adapter subtilement à chaque état d’esprit.
Ketan Mehta : J’ajoute que ce sont de étapes extrêmement différentes de sa vie. Le héros évolue tellement entre chacune de ces périodes. A la fin de sa vie, il devient quasiment un sage. D’un jeune insouciant, il devient un sage à la fin d’un parcours unique.
Ce qui est fascinant avec Nawaz, c’est que, en un claquement de doigts, vous avez juste à lui dire : "Voici l’état dans lequel tu te trouves ! Tu as 22 ans !" et il se met au diapason ! "Maintenant, tu as 60 ans, et il a le ton juste ! " (claquement de doigts !) Quelle expérience géniale !

BLK : Est-ce que cette personnalité vous correspondait au moment où vous avez accepté de jouer le rôle ?
NS : Absolument ! Pendant le tournage, lorsque nous étions dans les montagnes, les lieux authentiques, je me tenais debout, j’entrais dans son univers ! Il a réalisé l’impossible et je l’admirais tellement. Et mon réalisateur Ketan Mehta me donnait cette impulsion. Je n’étais capable de jouer ces 3 périodes de sa vie que parce que c’était lui, cette personnalité unique !
On peut dire que pout tout acteur, un tel personnage est un rôle de rêve où vous vous dépassez.

Brigitte Leloire Kérackian à Ketan Mehta : Comment avez-vous entendu parlé de Dashrat Manjhi et qu’est-ce qui vous a conduit à choisir Nawazuddin Siddiqui pour jouer le rôle principal de Mountain Man ?
Ketan Mehta : J’ai entendu parlé de Dashrath Manjhi il y a environ 6 ans, au moment de son décès, par des articles de journaux. J’ai senti instantanément que son histoire devait être racontée ! A cette époque, j’avais un film en cours et dès que je l’ai terminé, j’ai commencé la préparation de Mountain Man. A partir de 2009, j’ai fait mes recherches qui m’ont pris environ 2 ans, puis a commencé le développement du scénario etc…
A mon sens, Manjhi, the Mountain Man, est basé sur une histoire vraie tout à fait unique. Avec juste un marteau et un burin et pendant 22 ans de sa vie, il a brisé la montagne pour creuser un passage en mémoire de sa femme et par amour. C’est l’histoire véritable d’une vie extraordinaire, inimaginable, incroyable mais vraie ! L’histoire d’un pauvre homme d’un village reculé du Bihar.
Nous étions à la recherche d’un acteur disposant d’une palette de jeu permettant de représenter le personnage à 22 ans et aussi à 60 ans. Capable aussi de porter ce film sur ses épaules ! Je dois dire que Nawaz a eu un parcours absolument remarquable ces 10 dernières années. J’ai vu son travail récemment et j’ai su immédiatement qu’il était l’acteur idéal pour ce projet. Il est doté de multiples talents, une vaste gamme de jeu, il est très expérimenté, très instinctif et concentré ! Voici donc les qualités requises pour représenter ce personnage et réussir à le porter à l’image !
Je suis ravi de son travail et de sa performance exceptionnelle sur le tournage !

BLK : Peut-on dire que c’est une histoire d’homme solitaire ?
KM : C’est une histoire d’amour incroyable des rejetés de la terre, des pauvres parmi les pauvres ! Un monument d’amour ainsi que des réalisations fascinantes inspirées par l’esprit humain !
Nous avons tourné dans le Bihar, dans des sites naturels, dans une zone un peu perdue sans infrastructures, ni connexions. Le tournage a été l’un des plus pénibles de nos vies ! On se levait tous les matins à 3h30, après 1h30 de trajet où il fallait nécessairement porter tout le matériel et l’installer sur la montagne. Ce fut une expérience mémorable qui a duré 45 jours.
On voit Manjhi en relation avec des villageois et il parle à la montagne ! Puis on voit ces flashbacks, ce qui permet d’explorer sa vie et son parcours.
Le rôle féminin est tenu par Radhika Apte, une merveilleuse actrice. Elle joue ici son troisième film. Elle joue l’épouse. Le héros, en son souvenir, va briser cette montagne ! Donc, leur relation amoureuse devait être montrée pour comprendre comment l’histoire se crée. L’étincelle entre eux est magnifique !

BLK : Est-ce que c’est la nostalgie des souvenirs que vous donnez à voir ou bien le sentiment amoureux qui perdure ?
KM : On commence à le voir en train de casser la roche et ensuite arrivent des flashbacks, et des souvenirs qui traversent son esprit !

BLK : Si je me réfère à un film comme Mangal Pandey où les personnages prennent leur vie en main et décident de leur sort. En quoi ce film nous montre-t-il une autre facette de l’homme ?
KM : Ici, il est construit autour des hommes les plus pauvres parmi les pauvres ! La caste la plus basse parmi les castes inférieures, pratiquement personne en fin de compte ! Mais il choisit de prendre sa vie en main et de lui donner un but ! C’est une personne héroïque ancrée dans la terre !

BLK : On parle peu des basses castes dans le cinéma indien. Est-ce un message sur la condition sociale ?
KM : Dans la période récente, cela change. Je dirais qu’au delà du message social, le message de la vie est le plus important dans mon film ! Il a transformé sa vie en explorant les limites de l’esprit humain ! Il a accompli l’impossible ! Il a rendu l’impossible possible.
Cette histoire n’est pas que le périple d’un homme, c’est aussi l’histoire de l’Inde après l’Indépendance. En parallèle de sa vie, on découvre l’histoire de l’Inde dans ses différentes phases.
Donc il y a des macro-événement et une micro histoire au même moment !

BLK : Comment qualifiez-vous ce film parmi l’ensemble de vos réalisations ?
KM : C’est une étape décisive de ma carrière aussi. La force de cette histoire m’a inspiré car je la ressens intimement !
J’ai fait un certain nombre de film jusqu’ici et j’ai même fait une coproduction française ! Mon film Maya est basé sur le roman Mme Bovary. Ce film est très différent de mes précédentes réalisations et c’est vraiment réjouissant !


Interview réalisée et traduite par Brigitte Leloire Kérackian.

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