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Kabali


LangueTamoul
GenresPolar, Mélodrame / Romance, Film de gangsters
Dir. PhotoG. Murali Vardhan
ActeursRajinikanth, Nasser, Kishore, Radhika Apte
Dir. MusicalSanthosh Narayanan
ParoliersKabilan, Arunraja Kamaraj, Roshan Jamrock, Uma Devi, Vivek
ChanteursSwetha Mohan, Gaana Bala, Pradeep Kumar, Ananthu, Arunraja Kamaraj, Santhosh Narayanan, Roshan Jamrock, Rajinikanth, Lawrence Raghavendra
ProducteurKalaippuli S. Thanu
Durée152 mn

Bande originale

Ulagam Oruvanukka
Maya Nadhi
Veera Thurandhara
Vaanam Paarthen
Neruppu Da

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Fiche IMDB
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La critique de Fantastikindia

Par Gandhi Tata - le 3 août 2016

Note :
(5/10)

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Chaque nouveau film de la Superstar Rajnikanth est un moment de célébration pour ses fans et pour les amateurs de cinéma tamoul. Par conséquent, lorsque Kabali fut mis en chantier, il est devenu pour beaucoup, le plus grand blockbuster tamoul de 2016, même avant la fin du tournage. Côté promotion, avec une « marque » comme Rajnikanth, les producteurs n’ont pas eu à se fouler en inondant la télévision et le web de multiples extraits et de teasers en tous genres. Il a suffi d’une courte bande-annonce, d’une durée d’une minute et six secondes, pour marquer les esprits et battre des records de vues sur YouTube pour un film asiatique : 23 701 493 vues en un mois seulement ! Avec un teaser totalisant plus de 20 millions de vues, on s’attendait tous à un véritable déferlement à la sortie du film… Est-ce que Kabali a conjuré le sort en effaçant le très mitigé Kochadaaiyaan ou le fiasco de Lingaa ? Réponse en deux temps dans cette critique qui parlera essentiellement du film, sans pour autant éluder toutes les polémiques autour du plus grand phénomène cinématographique tamoul de l’année 2016.


De quoi ça parle ?

Après avoir purgé une peine de 25 ans de prison, Kabali, un gangster vieillissant, est libéré par les autorités malaisiennes qui le pensent définitivement hors course. De retour sur le terrain de ses premiers faits d’armes, il doit prendre sa revanche sur ses ennemis, renouer avec son entourage, constater les dégâts commis en son absence, remettre de l’ordre dans ses affaires et découvrir ce qui est arrivé à sa famille. Jadis, il fut le porte-parole et le dernier rempart des travailleurs opprimés de la diaspora tamoule du pays, établie par l’empire colonial britannique avant l’indépendance de l’Inde. Recruté ensuite par Tamilnesan, le leader local de la contestation tamoule qui trempe aussi dans le gangstérisme, Kabali passe rapidement de la lutte sociale au crime organisé. Mais son ascension fulgurante à la tête du syndicat du crime est très mal perçue par les gros bonnets du milieu, qui partagent encore moins son code d’honneur, incompatible avec les mutations du métier. Ses rivaux, Tony Lee et Veerasekaran, désireux de développer la prostitution et le trafic de drogue en Malaisie, décident de l’éliminer pour s’enlever une épine du pied. Mais leur tentative d’assassinat échoue en virant au massacre. Kabali s’en sort in extremis mais assiste impuissant à l’exécution de son épouse, Kumudavalli. Détruit par ce drame et arrêté par la police, le voilà de retour dans un monde qui a bien changé depuis. Les luttes de pouvoir et l’appât du gain ont pris le pas sur les revendications sociales des tamouls qui n’ont pas les mêmes droits que les autres communautés de l’île.


Un polar mal maîtrisé…

Kabali marque la rencontre de Rajnikanth avec le jeune réalisateur Pa. Ranjith. Les deux hommes s’apprécient beaucoup, et pour cause, la Superstar avait adoré le dernier film de Ranjith — Madras —, et après les résultats catastrophiques de Lingaa ils ont décidé de travailler ensemble sur le projet de Kabali. Ce film est le grand retour de Rajnikanth dans un polar mafieux, genre qui lui avait énormément réussi dans les années 90, on se souvient notamment des deux classiques de l’acteur : Bashaa et Thalapaty. Malheureusement ou heureusement, Pa. Ranjith a choisi de ne pas s’inscrire dans la lignée de ses prédécesseurs pour suivre sa propre voie. Sauf que là où on s’attendait à une approche singulière, un film authentique et ancré dans la réalité, comme Madras qui dressait un portrait sans concession des quartiers nord populaires de Chennai, Kabali s’est aventuré en terrain inconnu, pour s’y perdre.


Je ne suis pas un expert en sociologie malaisienne pour juger du travail de reconstitution de Pa. Ranjith sur Kabali, mais je pense avoir le discernement suffisant pour distinguer un boulot fignolé reposant sur des recherches et du vécu, d’un travail bâclé et factice, ne tenant pas debout. Autant Madras m’avait offert de véritables tranches de vie, avec les us et coutumes inhérentes à ce milieu, autant dans Kabali le réalisateur n’a fait que reproduire des clichés sur la diaspora tamoule de Malaisie. Certes, on peut noter quelques efforts d’authenticité, çà et là, comme des références à la gestuelle des mafieux locaux, leur jargon, quelques rituels religieux propres à la communauté tamoule, mais tout cela est malheureusement saupoudré de manière artificielle sans véritable liant. Pourtant l’idée de départ est intéressante, et on sent que Pa. Ranjith était armé de bonnes intentions. Il est regrettable qu’il ne se soit pas donné les moyens de ses ambitions, car si vous retirez ces quelques ersatz censés accroître la véracité de cet univers, l’histoire aurait très bien pu se dérouler au sein du D-Company du Bombay, de La Cosa Nostra italienne, du Cartel mexicain ou des triades chinoises…


Justement, en parlant de l’organisation criminelle chinoise, on peut évoquer la touche Pa. Ranjith complètement engloutie par une réalisation tapageuse et grossière, qui emprunte presque tout, tant visuelle que thématiquement, au cinéma hongkongais (HK) des années 80 et 90. Les sujets chers à John Woo comme l’importance du code d’honneur, le respect de la parole et des aînés, la trahison, l’amitié, la reconnaissance ou encore la vengeance, sont tous présents dans Kabali. Mais là où le maître du polar HK savait magnifier avec maestria et sensibilité chaque scène, Pa. Ranjith se contente d’empiler les thèmes comme un écolier… son cinéma bégaye pathétiquement .


Car le jeune cinéaste avait brillamment démontré dans Madras son aptitude à savoir mettre en scène les relations humaines, d’amour ou d’adversité, et filmer avec intensité les scènes d’affrontement. Faire ce qu’on sait faire de mieux ou tenter d’imiter l’inimitable ? Le réalisateur a clairement tenté de se la jouer John Woo, mais sans avoir une once de son talent. Les séquences de fusillade sont pauvrement mises en image, avec très peu de cohérence et sans aucun esthétisme. On est loin des gunfights de The Killer ou À toute épreuve, où on était davantage proche du ballet chorégraphié, certes violent mais pas aussi brutal et sauvage que dans Kabali. La violence excessive et totalement gratuite de certaines scènes aurait pu être proscrite, car elle n’apporte absolument rien au récit.


Enfin, il faut être deux dans un duel, et Kabali est tristement seul dans son combat, bien qu’étant opposé à deux adversaires manquant cruellement de charisme. En effet, Tony Lee et Veerasekaran, pourtant incarnés par de bons acteurs comme Winston Chao et Kishore, sont des antagonistes très mal écrits et presque parodiques de ce qui se fait de pire dans le cinéma tamoul. Aucune intelligence ou perversité dans leurs méfaits, ce sont de véritables brutes épaisses, bêtes comme des balais dont l’issue ne fait aucun doute. En l’absence d’une opposition digne de la stature du héros, le film perd tout son intérêt et se conclut par une baston finale aussi bordélique que lamentable. Si la promesse du polar n’a pas été tenue, celle de la conclusion dantesque non plus.


Un mélo qui sait toucher la corde sensible…

Alors tout est à jeter dans Kabali ? Bien heureusement non ! Si Pa. Ranjith s’est méchamment planté en voulant s’imposer comme le prochain Ram Gopal Varma (dans sa meilleure période), on l’a pleinement retrouvé dans Kabali, le mélo. Car si le film pêche au niveau de l’exécution par moment, avec une vision outrancière et quelques inexactitudes, on ne peut pas lui retirer ses qualités d’écriture : sur le papier Kabali était un film très bien conçu, dont chaque moitié était consacrée, à la guerre des gangs et à la vie personnelle de Kabali.


Et, justement, ce qui sauve le film de Pa. Ranjith du naufrage total c’est l’histoire d’amour de Kabali et Kumudavalli. En recouvrant sa liberté, le vieux gangster retrouve surtout sa mémoire et un peu de son humanité personnifiée par son épouse. Le spectateur découvre progressivement, au fil des flashbacks, la très belle relation que partageaient les personnages. Pa. Ranjith filme avec subtilité et de manière intimiste les échanges entre Kabali et Kumudavalli. Ce regard tendre et sensible du réalisateur nous relie émotionnellement aux personnages et à leur douleur. Personnellement, je me suis surpris à verser quelques larmes lors d’un échange de regards entre eux. On pouvait mesurer lors de cette scène, tout le poids de ce qu’ils éprouvent mutuellement et la peine de Kabali de ne pouvoir caresser que les souvenirs de son amour. Le jeune réalisateur parvient à nous émouvoir, sans pathos, en dépeignant avec émotion le regard nostalgique et tendre d’un vieil homme sur son passé.


Il faut aussi avouer que Pa. Ranjith est aidé par un duo d’acteurs en état de grâce. Tout d’abord, Radhika Apte est totalement habitée par le personnage de Kumudavalli. De son sari traditionnel, en passant par sa coiffure, typique de cette époque, sa gestuelle et son jeu d’actrice, tout est parfait. Même si le film est peuplé d’une myriade d’individualités, le rôle de Kumudavalli — qui n’est qu’un caméo étendu — est tellement fort et profond que son impact est aussi puissant que le celui de Kabali dans l’esprit du spectateur. La présence de Radhika Apte est formidable, même si elle est très limitée en durée à l’écran. Sa prestance, son interprétation lumineuse de Kumudavalli et l’alchimie qu’elle partage avec Rajnikanth sont autant de points positifs qui apportent beaucoup au film.


Avec une carrière qui s’étend sur plus de quatre décennies (1975-2016), Rajni est une légende à l’instar d’Amitabh Bachchan. L’acteur qui a débuté comme méchant s’est progressivement mué en anti-héros avant d’accéder au rang de héros populaire et de devenir la plus grande Superstar du sud de l’Inde. En général, ce qui est au menu d’un film de Rajnikanth c’est sa classe qui surclasse tout, son style unique, ses punchlines détonantes, ses mimiques drôles ou incroyables et sa présence électrique qui fait frissonner. Plus qu’un acteur, il est devenu un véritable demi-dieu qu’on vient aduler. Croyez-le ou non, Rajni n’a rien à envier à une rockstar, puisque chacun de ses films a la capacité de transformer une salle obscure en salle de concert dont les décibels peuvent aisément rivaliser avec ceux de Bercy.


Était-il possible de concilier la démesure d’une figure comme Rajni à la vulnérabilité d’un personnage au crépuscule de sa vie ? Oui, et Pa. Ranjith a réussi au passage le tour de force de ressusciter l’acteur de composition qui sommeillait en Rajnikanth depuis 25 ans. De mémoire de spectateur, c’est chez Mani Ratnam et dans Thalapaty en 1991, qu’on a vu pour la dernière fois le formidable interprète qu’il était. Depuis, la Superstar n’a joué que dans des masalas qui lui ont offert des rôles certes iconiques, mais sans substance.

Avec Kabali, Rajnikanth rappelle à notre bon souvenir ses talents d’acteurs et dépoussière sa palette d’émotions restée trop longtemps au vestiaire. Il est tout bonnement exceptionnel dans un rôle touchant, où la dureté de sa carapace de parrain impitoyable tranche complètement avec son cœur meurtri par le chagrin d’amour. Je m’apprêtais à assister à un show Rajni, mais quelle ne fut pas ma surprise en découvrant un super-acteur derrière la Superstar, capable de passer d’un air menaçant à un regard désarmé, de la stupéfaction de voir son épouse en vie, avant de réaliser avec déception qu’il s’agit d’un souvenir qui s’évanouit.


Son étonnante longévité a posé quelques problèmes, puisqu’il a été reproché plusieurs fois à l’acteur sexagénaire de jouer des rôles de « jeunes » ou de trentenaires, et de pousser la chansonnette avec des comédiennes qui ont l’âge de ses deux filles, Soundarya et Aishwarya Rajnikanth. Même en étant fan, il faut admettre que les 65 ans de Rajni pèsent beaucoup sur son visage buriné et le maquillage ne parvenait plus à réduire son âge dans ses derniers films. Il en est de même pour son look et sa gestuelle qui étaient totalement en décalage avec son physique de vieil homme. Si dans les séquences de flashbacks, revenant sur les jeunes années de Kabali, tous ces défauts font grimacer, Pa. Ranjith a eu la bonne idée d’accorder plus d’importance au gangster vieillissant et faire jouer à l’acteur un rôle de son âge.

Enfin ! Il était temps ! C’est ce qu’on se dit en voyant évoluer Rajni à l’écran. Il est totalement à l’aise et complètement inspiré. Le plaisir qu’il a pris à endosser ce rôle, se ressent dans sa formidable complémentarité avec Radhika Apte et son interaction avec les autres. On n’avait pas revu autant de spontanéité et de romantisme chez la Superstar depuis bien trop longtemps. Si on doit retenir une chose de Kabali, c’est la résurrection de Rajnikanth, l’acteur. Si le film s’inscrit visiblement dans cette démarche de l’acteur, de passer à la suite et amorcer la prochaine phase de sa carrière, en acceptant des rôles de son âge, est-ce que ses films suivants seront dans la même veine et lui permettront de poursuivre sur ce chemin ? Seul l’avenir nous le dira.


Pour conclure…

Pour le reste, Kabali alterne le bon et le moins bon, pour un résultat assez mitigé. À côté des têtes d’affiche, où seuls Rajni et Radhika Apte livrent des performances extraordinaires, le reste de la distribution est composé de réguliers de Pa. Ranjith ayant déjà joué dans Madras. La plupart des comédiens ont dû seulement se contenter de faire de la figuration aux côtés de Rajni pour remplir le champ. Ce qui est fortement regrettable, car ils sont très bons et pour certains même chevronnés. On retiendra quand même la prestation musclée de Dhansika qui incarne Yogi, une mystérieuse tueuse à gages, l’émouvante Riythvika dans le rôle d’une toxicomane un peu dérangée, en quête de rédemption, et enfin le sympathique John Vijay qui joue le premier lieutenant et meilleur ami de Kabali. Au rayon des déceptions, on ajoutera Attakathi Dinesh, acteur fétiche du réalisateur qui a hérité ici, d’un étrange personnage prénommé Jeeva. Homme de main un peu gauche, Jeeva voue un véritable culte au vieux gangster, au point de mettre sa vie en danger pour lui. On aurait aimé en savoir plus sur cet individu à la gestuelle robotique et à la psychologie impénétrable. Connaissant l’immense talent de Dinesh, qu’on a notamment vu dans Cuckoo, il méritait bien mieux.


Si techniquement Kabali est un film plaisant à voir, c’est essentiellement dû à son chef opérateur G. Murali et à la bande-son mémorable de Santhosh Narayanan. Demandez à n’importe quel caméraman de Kollywood sur la photogénie de la Superstar et il vous répondra que l’objectif aime Rajnikanth. Kabali ne déroge pas à cette règle, et l’acteur y est rayonnant, malgré ses 40 ans de carrière sous le capot. G. Murali livre une photo assez sobre qui ne l’a pas empêché de composer des plans monstrueux de Rajni en action, ou saisir avec justesse, la beauté des mystérieuses rues malaisiennes de nuit, éclairées au néon.


Enfin, Santhosh Narayanan, fidèle acolyte de Pa. Ranjith, et qui compose pour la première fois la bande-son d’un Rajni, n’a pas déçu. Le thème principal Neruppu da est furieusement efficace et à chaque fois qu’il est joué dans le film la scène décolle complètement en galvanisant les spectateurs. La bande-son est électrisante et parfois bouleversante, en fonction des situations et de l’atmosphère de la scène. Même si j’adore A.R.Rahman, qui a signé la plupart des musiques des derniers Rajni, je trouve que ses compositions étaient tellement formatées et produites pour booster l’aura de la Superstar, que ça en devenait presque un spot de promotion à sa gloire. Le son de Santhosh Narayanan est rafraîchissant et cette première collaboration avec l’acteur fait partie des choses positives qu’on retient de Kabali.

Si on doit relever une défaillance technique dans ce film, elle se situe au niveau du maquillage de Rajni, pas du tout à la hauteur d’un tel projet. On se souvient de Endhiran – The Robot où le travail pour rajeunir l’acteur était très impressionnant, et à côté de ça on reste un peu confus devant l’incompétence des maquilleurs de Kabali qui l’ont complètement loupé sur les flashbacks. Sa perruque, sa moustache, son visage, tout est raté. Même si on ne peut pas raisonnablement leur demander de lui retirer 30 ans, ils auraient pu soigner leur travail pour le rendre crédible. Lorsque 25 ans plus tôt, Kabali a l’air d’en avoir déjà 50, on reste dubitatif.


Quel est à présent mon sentiment en tant que spectateur, au-delà des yeux du critique ? J’ai passé un bon moment et j’ai revu un Rajinikanth que je désespérais de voir depuis des lustres. J’ai applaudi à chaque réplique culte de la Superstar et frémi devant son jeu intense. Cependant, je n’ai pu m’empêcher de grincer des dents devant un résultat mi-figue mi-raisin et une impression de gâchis. Car Kabali aurait pu être meilleur, du moins il en avait toutes les qualités sur le papier. À commencer par son réalisateur, Pa. Ranjith, qui avait surpris tout le monde dès son premier film, Attakathi, plébiscité à la fois, par le public et les critiques pour son humour et sa justesse. Il s’était ensuite confirmé avec Madras, très apprécié pour son authenticité. Avec un CV aussi impressionnant, on espérait un tout autre traitement, avec une véritable reconstitution d’une certaine façon de vivre de la diaspora tamoule de Malaisie.


En choisissant, un cadre aussi atypique, Pa. Ranjith s’était lancé le défi de mettre en avant une identité culturelle et retranscrire fidèlement le quotidien de cette communauté en évitant les clichés. Mais au lieu de cela, le réalisateur nous livre une réalité hyperbolique, truffée de poncifs, d’énormités et d’imprécisions.

Par exemple, Kabali est farouchement opposé aux activités comme la prostitution ou le trafic de drogues, mais on nous vend un parrain puissant à la tête d’un immense empire criminel qui fait dans le social et la réinsertion de jeunes délinquants. Mis à part son véto aux affaires glauques, on ne saura jamais de quoi vivait le vieux gangster et d’où provenait sa manne financière. Sérieusement ? Kabali, c’est Oui-Oui au pays de la mafia barba papa ? On a du mal à admettre l’idée, surtout que dans d’autres films comme Thalapaty ou Baasha, aucune impasse n’était faite sur l’argent sale du héros, provenant par exemple des activités d’extorsion ou d’enlèvement.


Ensuite, le film est supposé retracer un pan de l’histoire de la communauté tamoule, des années 70 à aujourd’hui. Mais on cherche à nous faire gober qu’ils se sont émancipés grâce à l’influence grandissantes des mafieux tamouls et qu’aujourd’hui de nombreux malaisiens d’origine tamoule seraient dealers de drogue, petite frappe, prostitué ou camé… Sérieusement ? Il n’y avait aucun représentant légal ou élu, et des criminels tamouls ont dû se soulever face à l’oppression de la communauté chinoise pour l’émancipation des pauvres tamouls exploités.

Même si l’idée d’une adversité entre les deux communautés est plausible, y avait-il besoin d’y insuffler du communautarisme et de l’intolérance, en stigmatisant les chinois de Malaisie et en leur prêtant des intentions néfastes à l’égard des Tamouls ? En revanche, l’idée de la discorde entre un mafieux de la vieille école, ancien activiste social et cultivant un code d’honneur, et des crapules de petite vertu, sans foi ni loi, était bonne.


Au final, il est quand même étrange que pour un polar mafieux, les seuls moments transcendants et réussis du film, appartiennent à la vie sentimentale et familiale de Kabali, plutôt qu’à son passé de criminel. Polar raté, mais mélo réussi, c’est le verdict d’un spectateur lambda qui ne boudera pas son plaisir devant la magie de la Superstar, en dépit d’un récit faiblard sur la quête de vengeance d’un papy revanchard.


Kabali - La polémique

Produit par Kalaipuli S. Thanu, à qui l’ont doit le Raison et Sentiments tamoul, Kandukondain Kandukondain (2000) avec Aishwarya Rai (pas encore Bachchan à ce moment) et Tabu, et plus récemment Theri qui a explosé tous les records d’entrées cette année, Kabali était destiné à devenir le blockbuster qui allait mettre la barre très haut. Après quelques semaines d’exploitation le film a rapporté beaucoup d’argent en dépassant les chiffres établis par les précédents Rajni. Mais ce succès commercial n’en est en fait, pas un… Virtuellement Kabali a engrangé les billets pour devenir le plus grand carton de l’année, mais cela est essentiellement dû aux prix exorbitants des tickets de cinéma et non au nombre d’entrées qui a été fortement affecté par la polémique de la flambée des tarifs.

C’est simple, chaque distributeur a établi sa propre grille tarifaire, soit pour en tirer le maximum de profit ou tout simplement rentrer dans leurs frais. Pour comprendre les raisons de cette anarchie, il faut remonter jusqu’aux (supposées) pratiques douteuses de son producteur Thanu, connu pour faire flamber les prix et créer le chaos. Nous ne disposons pas d’éléments tangibles qui attestent de la cupidité de Kalaipuli S. Thanu, mais les remous que cette affaire a générés se sont fait ressentir jusque dans nos contrées où notre partenaire Aanna Films, distributeur du film en France a essuyé de nombreuses critiques et fait face à de vives protestations à ce sujet.

Si le cinéphile ne voit que la réalité de son porte-monnaie, un distributeur ayant acquis les droits d’un film pour une somme astronomique, doit pouvoir sortir la tête de l’eau et pérenniser sa structure. Car rappelons-le, chaque investissement est une prise de risque pour une boîte de distribution et lorsqu’elle traite avec ses homologues indiens, la seule règle qui existe est celle du profit. Nous ne souhaitons pas désigner des coupables ou couper des têtes, mais simplement rappeler que cette polémique est partie de très haut dans l’échelle de l’exploitation, avec une absence totale de régulation de la part des entités compétentes de l’industrie du cinéma indien, qui n’ont pas joué leur rôle.

Le sentiment négatif produit par cette polémique a presque tué toutes les chances de ce film. En plus du nombre d’entrées qui n’est pas exceptionnel pour un Rajni, la fréquentation des salles a anormalement chuté dès la deuxième semaine. Pour couronner le tout, des copies illégales en très bonne qualité, ont commencé à circuler sur le net, à partir de la troisième semaine, ce qui est un fait rare dans le monde du piratage, où le délai est plus important, même pour un petit film. Kabali a cristallisé la défiance et le mépris d’une grande partie des spectateurs de milieux populaires, qui s’est senti exclue de la fête à cause d’une politique tarifaire sauvage et sans vergogne. Le tout s’est conclu dans un pugilat virtuel sur la toile, où les critiques assassines se sont multipliées (parfois sans fondement). De plus, les détracteurs et les soutiens à Kabali se sont opposés avec virulence sur YouTube et Facebook, avec des critiques filmées et autres montages parodiques.

S’il s’avère exact que Kalaipuli S. Thanu est à l’origine de toute cette affaire, ça serait alors un triste exemple d’auto-sabotage, où la cupidité d’un producteur véreux, voulant maximiser ses profits, aura définitivement tué la poule aux œufs en mettant au passage, quelques salles de cinéma dans l’embarras, face à la colère des spectateurs repartis bredouilles. Il est parfois désastreux d’avoir les yeux plus gros que le ventre, et ce sont malheureusement les derniers maillons de la chaîne, comme les petits distributeurs et les spectateurs, qui dégustent.

Bref, tout cela n’est que du cinéma, mais les tristes répercussions de cette affaire nous indiquent qu’il serait temps que le marché du cinéma indien qui s’est considérablement ouvert durant la dernière décennie, soit enfin régulé avec des règles justes, pour que chaque investissement soit viable pour les différentes parties concernées.


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