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La critique de Fantastikindia

Par Angus, le rédacteur de l’ombre
Publié le 1er mai 2005

Note :
(3/10)

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Mira Nair… C’est en partie "à cause" d’elle que tout a commencé… C’était un soir d’hiver 2001, il faisait froid, et un petit "Ovni" réchauffait le cœur des spectateurs français… C’était Le mariage des moussons.

La documentariste et réalisatrice bénéficie, à juste titre, d’une très bonne réputation et ses multiples récompenses semblent témoigner de la qualité de son travail.
Aussi, après un si beau Mariage, lorsque j’ai mis la main sur les DVD des précédents films de la Dame, je savourais par avance l’idée de les regarder : Kama Sutra (dont il faut avouer que la jaquette ne m’inspirait pas beaucoup… mais il faut savoir dépasser ses premières impressions), et Salaam Bombay !

Kama Sutra nous plonge dans l’Inde du 16ème siècle pour nous raconter l’histoire de Tara (Sarita Choudhury), une princesse, et de Maya (Indira Varma), une servante : les cinq premières minutes du film nous présentent Tara et Maya enfants, assez complices, mais si Maya est plus douée que Tara (notamment pour l’art de la danse), cette dernière ne manque pas de rappeler à Maya sa condition de servante.

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Enfants, la servante Maya (à gauche) et la princesse Tara (à droite) dansant ensembles


Nous retrouvons Tara et Maya une bonne dizaine d’années plus tard alors qu’elles sont devenues des jeunes femmes. La servante est toujours plus douée et sensuelle que la princesse et celle-ci, malgré l’apparente amitié qui liait les enfants, n’a pourtant cessé d’humilier sa servante.
Un mariage est organisé entre Raj Singh (Naveen Andrews), un grand prince, et la princesse Tara.
Mais, afin de se venger d’une nouvelle humiliation, Maya la servante décide de se donner corps et âme au futur époux de la princesse, et ce, le soir-même de la cérémonie… avant de s’empresser de tout dévoiler à Tara.
Biki (Khalid Tyabji), le frère de Tara, une espèce de Quasimodo de vingt ans son aîné que Maya a refusé d’épouser, la fait alors chasser du palais en dénonçant à leurs mères la traîtrise de la servante.
Quant à Raj Singh, totalement envoûté par Maya, il ne peut l’oublier au grand dam de Tara qu’il finit par délaisser au profit de courtisanes, comme il délaissera les affaires du royaume en sombrant dans la luxure.

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Maya devenu une des courtisane de Raj Singh


De son côté, Maya qui a rencontré Jai Kumar (Ramon Tikaram), un sculpteur du Raja dont elle deviendra la muse, est accueillie par Rasa Devi (Rekha) qui lui apprend les arts du Kama Sutra (massage, danse…).
Lorsque le Raja retrouve Maya et en fait sa courtisane principale, toutes les pièces sont en place pour le drame : Tara se retrouve confrontée à son amie et rivale de toujours, alors que le sculpteur et le Raja se disputent l’amour de l’ancienne servante devenue reine du Kama Sutra… le tout sur fond de conflit "politique".

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Raj Singh et Jai Kumar s’affontent pour Maya


Dès les premières images, le contraste avec les autres films de Mira Nair est frappant : l’histoire se déroule dans un cadre historique, avec palais gigantesques, costumes, éléphants… Nous avons droit à tout le faste bollywoodien… enfin, presque, et c’est là que le bât blesse.

Quand on connaît l’œuvre de Mira Nair, et notamment son intérêt quant au rôle des femmes dans la société, on n’est pas surpris de voir que Kama Sutra est centré sur le destin de deux femmes.
Mieux, l’idée de départ pouvait permettre à la réalisatrice de nous montrer comment le poids de la société et des traditions peuvent corrompre l’innocence, l’amitié de deux enfants inséparables et briser leur destin de façon irréversible.

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Maya et Tara enfants, ou une pureté qui ne resistera pas au temps et aux conventions


Et c’est à travers l’histoire de Maya et Tara que la réalisatrice va tenter de faire passer ses messages. Nous avons donc deux enfants qui ont passé leur jeunesse ensemble, joué ensemble aux mêmes jeux… bref, étaient comme des frères (ou plutôt des sœurs en l’espèce)… Mais sous le poids de la société, de son organisation, de ses traditions… les petites remarques et vexations se sont transformées au fil du temps en humiliations et jalousies… en haine.

Pour ne pas rendre le discours indigeste et en hommage au cinéma Bollywood, Mira Nair situe son histoire dans un contexte historique et y mélange un certain nombre d’ingrédients : un triangle amoureux (et même deux), des personnages au passé ou destin tourmenté, de l’action, une petite dose d’humour et de tragédie, sans oublier l’apprentissage du dit Kama Sutra.

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Rasa Devi et ses disciples du Kama Sutra


Mais, malheureusement, la sauce ne prend pas. Mira Nair manque le coche, car, même s’il est reproché à Bollywood d’être répétitif, d’utiliser toujours les mêmes ficelles, il n’est pas donné à tout le monde de réaliser un bon film du genre (piège dans lequel il semblerait que soit également tombée Deepa Metha avec son Bollywood Hollywood…). De plus, si la réalisatrice, elle, maîtrise parfaitement sa caméra, elle ne traite pas son idée de départ aussi sérieusement qu’elle aurait pu le faire.

Pour ce qui est du spectacle, les costumes ne sont pas très convaincants (et je ne parle même pas des turbans posés à la va-vite sur la tête des acteurs !!!), les décors font carton-pâte et les tons sont exagérément forcés.

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Une magnifique utilisation des reflets dans l’eau


Quant aux personnages, Mira Nair n’ayant pas su lors de leur présentation susciter un intérêt et donc un lien d’affect avec les spectateurs (la première partie avec les enfants aurait vraiment mérité un traitement plus approfondi), les rebondissements romantiques ou dramatiques qui vont suivre tomberont à plat !!! A l’exception d’une seule et unique scène qui arrive à nous toucher, la tentative de suicide de Tara, superbement filmée (le sang qui se mélange à l’eau, la réaction de Maya et aussi et surtout un discret flash-back).

Au passage, je signale ce qui, à mon avis, est une erreur de casting importante : en accentuant à peine le trait, Indira Varma (que l’on a pu voir récemment dans Bride & Prejudice) et Sarita Choudhury, des actrices anglo-américaines d’origine indienne, m’ont fait davantage penser à Andie MacDowell et Béatrice Dalle avec décolleté pigeonnant, qu’à des jeunes femmes indiennes !!!
Quant aux acteurs, leur prestation n’est guère plus convaincante, à l’image d’un Naveen Andrews (que l’on a pu voir lui aussi dans Bride & Prejudice) inexpressif au possible.
Seuls Ramon Tikaram et Rekha (exceptionnelle dans Umrao Jaan, touchante dans Koi Mil Gaya ou surprenante dans Bhoot) s’en sortent honorablement.

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Bain de sang pour des retrouvailles tardives


A la partition musicale, nous retrouvons Mychael Danna, le futur complice de Mira Nair pour Le mariage des moussons, avec une participation de L. Subramaniam qui avait assuré la musique de Salaam Bombay.
Le résultat est intéressant, la musique sachant même se faire discrète parfois pour laisser une place plus importante à l’histoire. On regrettera juste par moments un petit côté répétitif.

Après la musique, la danse, et si je n’en ai pas encore parlé, c’est qu’il n’y a pas de scènes dansées dans Kama Sutra, ni dans la plus pure tradition de Bollywood, ni même dans une version plus "moderne" comme ce sera le cas dans Le mariage des moussons.
Tout juste assisterons-nous à quelques secondes de danse de Maya et Tara enfants (ainsi que lors de la transition à l’âge adulte) et à quelques instants d’un cours dispensé par Rekha.

Enfin, et vous vous en doutez, il est aussi question de charme dans ce film, notamment les apparitions de Rekha qui, quinze ans après sa prestation inoubliable dans Umrao Jaan, a conservé toute sa grâce et son charme, dans un rôle de grande prêtresse du Kama Sutra.

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Un joli effet de lumière et de transparence


Et si Mira Nair nous dispense quelques très belles images avec des jeux de reflet de paysages sur l’eau, de lumière à travers des voilages… mais aussi des images d’une très grande sensualité (Maya se lavant les cheveux, se rinçant les pieds, ou Rekha préparant les fleurs pour la Puja), elles sont hélas ternies par un certain nombre de scènes "érotiques" dont elle aurait pu nous dispenser et qui d’ailleurs rendent le film interdit au moins de 16 ans (je viens tout juste de le découvrir en consultant les spécifications techniques au dos du DVD !).

En conclusion, si le film, malgré de belles images, est très décevant, c’est peut-être aussi hélas parce que la talentueuse Mira Nair n’est pas allée jusqu’au bout de sa démarche et nous livre donc un film embryonnaire qui, bien que n’étant pas vraiment un Bollywood, n’en est plus pour autant un film d’auteur.

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