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Martine Armand, spécialiste des cinémas de l’Inde Part. II

Publié mardi 5 octobre 2004
Dernière modification jeudi 7 octobre 2004
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Par Eulika, Maguy

Dossier L’Été indien 2004 : Première édition
◀ Interview Martine Armand, programmatrice de l’Été Indien au musée (...)
▶ Int. Martine Armand : Avenir du cinéma d’auteur indien part. III…

Fantastikasia : Comment avez-vous connu le cinéma indien ?

Cela fait presque vingt ans que je fais l’aller - retour entre la France et l’Inde. Même si je n’ai pas d’origines indiennes, l’Inde est fortement ancrée en moi. J’ai découvert les films indiens assez tard du fait du manque de distribution. Il fallait habiter à Paris ou avoir une cinémathèque près de chez soi, mais je vivais en province et c’était difficile. Aujourd’hui encore la province reste pénalisée par rapport à Paris en matière de diffusion de cinéma, même s’il y a des progrès considérables depuis quelques années. J’ai de ce fait découvert le cinéma indien quand je faisais déjà du cinéma, alors que je travaillais comme assistante de réalisation en France. J’ai découvert les grands auteurs : Satyajit Ray, Guru Dutt, Ritwik Ghatak…, j’ai également vu des films dans des festivals, des films parfois très pointus qui n’ont jamais été distribués. Par exemple je me rappelle le premier film de Mani Kaul que j’ai vu au Festival de Cannes en 1981, il n’y avait presque personne dans la salle…et quatre personnes sont restées jusqu’à la fin de la projection !
C’est un cinéma qui m’a tout de suite parlé, malgré sa lenteur et tout ce que vous pouvez entendre dire sur le cinéma indien par des personnes qui ne l’aiment pas. C’est alors que j’ai décidé de prendre une année sabbatique pour travailler sur le cinéma indien. Je suis allée à l’école nationale de cinéma de Puna où je suis restée en fait plusieurs années. J’y ai donné quelques cours et j’ai eu la chance d’y rencontrer des étudiants qui depuis sont devenus des cinéastes très connus. Sur place il y a aussi les archives nationales du cinéma, j’ai ainsi pu voir de très nombreux films classiques. Certains ont été présentés dans des festivals, comme récemment « Vous avez dit Bollywood », mais la plupart avaient déjà été projetés lors de la très grande manifestation sur le cinéma indien en 1983 au centre Pompidou.
Ma rencontre avec le cinéma indien fut déterminante….et je ne m’en suis jamais remise ! Depuis je travaille surtout pour des co-productions de films franco-indiens ou dans l’assistanat. Parallèlement à cela, je travaille à la programmation de films indiens pour des festivals ou des manifestations. J’ai organisé la première rétrospective intégrale de Satyajit Ray en 1992 pour la cinémathèque française, ce vaste projet fut mis en place avant qu’il ne décède. J’ai aussi été rédactrice en chef du Festival international de films de Fribourg pendant plusieurs années, le festival le plus important en Suisse après Locarno, et je travaille avec le Festival international des cinémas d’Asie de Vesoul, le premier festival spécialisé sur le cinéma asiatique en France et le plus important aussi (environ 70 films présentés chaque année).

Fantastikasia : Vous avez une préférence entre les films du nord et ceux du sud de l’Inde ?

Martine Armand : J’ai une préférence pour les bons films. D’ailleurs le centre du cinéma le plus au nord géographiquement est Bombay, qui est considérée par certains comme une ville du sud ! En revanche, il y a beaucoup d’auteurs, dont des documentaristes qui viennent du nord… Rajan Khosla par exemple est de Delhi, il a fait ses études à Puna mais sa famille est originaire du Cachemire. Son film,"La danse du vent" sera présenté à l’Auditorium du Musée Guimet. Par contre un certain nombre d’acteurs actuellement viennent de la plus grande école d’art dramatique en Inde située à Delhi, la National School of Drama. Mais il n’y a pas véritablement de production cinématographique au nord. Les trois pôles, Mumbai, Madras, et Calcutta aux quels il faut ajouter Trivandrum et Hyderabad restent les grands centres de production cinématographique.

Fantastikasia : Avez -vous tourné dans les studios de Bombay ?

Martine Armand : Je n’ai pas travaillé pour le cinéma commercial, j’ai travaillé pour le cinéma d’auteur, donc je n’ai pas tourné dans les studios de Bombay. Cependant je les connais car il est très intéressant de voir comment cela se passe. Il n’y a plus de studios en France qui puisse fonctionner comme cela. Les studios en Inde sont absolument uniques ; même Hollywood a changé de méthode. Mais j’ai travaillé dans les studios de Calcutta, moins représentatifs maintenant… Et j’y ai tourné avec Satyajit Ray. Il a contribué à mettre en place le cinéma d’auteur en Inde, et a joué un rôle de la même importance que le néoréalisme en Europe. Un cinéma tourné dans des décors naturels avec des acteurs professionnels et non professionnels, alors que le cinéma indien ne se tournait pratiquement qu’en studio. De nombreux auteurs lui doivent beaucoup car Satyajit Ray les a encouragés à faire un cinéma qui est différent. Mais sur ses trois derniers films, il avait un pacemaker, il était très malade et ne pouvait plus tourner en décors naturels, ni être derrière la caméra puisqu’il avait une mobilité réduite. Nous avons donc tourné dans les studios de Calcutta relativement désaffectés parce qu’il n’y avait plus de cinéma bengali populaire comme il y en eut à une époque.

Fantastikasia : Comment avez-vous fait la connaissance de Satyajit Ray ?

Martine Armand : J’étais en Inde depuis 1983 et lorsque je l’ai rencontré il avait terminé "La maison et le monde". Il ne tournait plus de films car il venait d’avoir une opération suite à un problème cardiaque. Son fils préparait une série pour la télévision, basée sur des histoires de son père. J’ai d’abord beaucoup parlé de cinéma avec lui, mais c’est son fils qui tournait. Nous nous sommes ainsi rencontrés régulièrement pendant deux ans. Lorsqu’il a repris les chemins des studios de Calcutta, j’ai eu la chance d’être à ses côtés sur ses trois derniers films : « Un ami du peuple », puis « Les branches de l’arbre » coproduit par Daniel Toscan du Plantier et Gérard Depardieu et « Agantuk » que l’on a traduit par « Le visiteur » mais qui signifie « L’étranger »…

Fantastikasia : Satyajit Ray vous a-t-il influencée ?

Oui, en tant que cinéaste, mais c’est surtout l’être humain qui m’a influencée.

Fantastikasia : Et vous avez aussi travaillé avec Shaji N. Karun, un réalisateur reconnu du cinéma Malayalam …

Martine Armand : Je connaissais Shaji N. Karun parce qu’il a été le directeur de la photographie d’un grand réalisateur du Kerala, Aravindan, aujourd’hui disparu. J’avais rencontré Aravindan quand j’étais en Inde dans les années 1985. J’ai donc suivi les débuts de Shaji N. Karun comme réalisateur, son premier film a été montré à Cannes et dans d’autres festivals (NDLR : le film "Piravi" a eté sélectionné pour la caméra d’or)
Pour son troisième film "Vanaprastham" (La dernière danse), une coproduction franco-indienne s’est mise en place. Le producteur côté français, Pierre Assouline, m’a demandée de travailler avec eux. C’est peut être le fait d’avoir travaillé avec Satyajit Ray qui m’a amenée jusque là. C’était une expérience passionnante, avec une équipe française à l’image. Renato Berta , le directeur de la photographie, a travaillé avec Godard, Louis Malle, Alain Resnais, pour ne citer que quelques noms. Nous avons utilisé une caméra Panavision, la plus grosse caméra qui existe, dans des endroits très reculés et parfois sans électricité. Il est vrai que je serais ravie de participer à d’autres coproductions de ce type !

Fantastikasia : Quel est votre rôle au Festival de Vesoul ?

Martine Armand : J’y suis conseillère artistique et fais également des traductions et des sous-titrages qui sont de plus en plus nombreux car la démarche consiste à montrer le plus possible des films inédits. D’ailleurs, l’un des prix remis au Festival des cinémas d’Asie est le prix Emile Guimet et une partie de la programmation du festival de Vesoul est présentée à l’Auditorium du musée Guimet chaque année. Le festival de Vesoul offre des films rares venus d’Asie dans le sens géographique, incluant par exemple l’Iran. Ainsi, j’ai fait de grandes et belles découvertes d’œuvres du cinéma asiatique. A mon sens le cinéma asiatique est le plus vivant de tous à l’heure actuelle. Le cinéma iranien est par exemple devenu un cinéma extrêmement important. C’est une autre sensibilité pour chaque cinématographie. Je ne peux pas dire que j’aime plus une cinématographie qu’une autre. J’aime des auteurs parce qu’ils me parlent en tant qu’individus.

Fantastikasia : A priori vous vous y connaissez également en cinéma coréen. Songez vous à programmer une rétrospective sur ce cinéma ?

Martine Armand : J’ai participé à un festival de courts métrages à Pusan, dans ce cadre j’ai écrit quelques articles. Et j’ai aussi travaillé avec un réalisateur sud coréen, Jeon Soo-il sur un projet de coproduction avec la France qui s’est terminé il y a un an. Mais je ne connais pas vraiment le cinéma coréen, je ne connais que quelques cinéastes coréens. Organiser une programmation, pourquoi pas… il y a des œuvres du cinéma coréen que j’aime vraiment beaucoup. Cela dépend dans quel esprit : sur le cinéma d’auteur coréen, oui. Mais pour une vision plus large qui intégrerait le cinéma "mainstream"…je ne pense pas.

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