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Matru Ki Bijlee Ka Mandola


Bande originale

Matru Ki Bijlee Ka Mandola
Oye Boy Charlie
Khamakha
Lootnewale
Shara-Rara-Ra
Badal Uthiya
Chaar Dina Ki
Chor Police
Nomvula
Badal Uthiya (Reprise)
Lootnewale (Reprise)

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La critique de Fantastikindia

Par Mel - le 31 décembre 2013

Note :
(8.5/10)

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Harry Mandola (Pankaj Kapoor) est un homme riche. Pas juste un peu riche, non, si riche que le village rural d’Haryana dans lequel se situe son vaste château s’appelle aussi Mandola, et qu’il se fait conduire en limousine quand il ne pilote pas lui-même son avion personnel. Mais Harry Mandola a un problème de boisson. A jeun, c’est un homme d’affaires retors et un autocrate cynique qui dirige ses affaires d’une main de fer. Lorsqu’il a bu au contraire, c’est un homme généreux et affable avec le cœur sur la main. Conscient que l’alcool peut lui jouer des tours, il a engagé Matru (Imraan Khan) pour contrôler ses propres débordements.

Harry est veuf et élève seul sa fille unique Bijlee (Anushka Sharma). Elle a fait des études en Angleterre d’où elle est revenue largement tatouée. Bijlee est un peu fofolle et se prépare joyeusement à épouser Baadal (Arya Babbar), le fils de Chaudhari Devi (Shabana Azmi), une femme politique importante. Le mariage arrangé de Bijlee avec Baadal, prévu de longue date, sert les intérêts de Chaudhari Devi et d’Harry Mandola qui voient dans l’alliance des deux familles des avantages aussi bien politiques qu’économiques. Leur projet principal consiste à transformer la région de Mandola en zone économique défavorisée (SEZ ou Special Economic Zone) où ils pourront faire pousser des usines à la place des céréales, même si cela veut dire exproprier toute la population de petits paysans…

Si l’on exclut son premier film avant tout destiné aux enfants, Matru Ki Bijlee Ka Mandola est la seule réalisation dont Vishal Bhardwaj revendique la paternité de l’histoire. Maqbool et Omkara étaient des adaptations brillantes de MacBeth et d’Othello respectivement. Kaminey est issu d’un scénario original de l’écrivain kenyan Cajetan Boy. Quant à 7 Khoon Maaf, il est dérivé d’une nouvelle de Ruskin Bond. Dans les bonus du DVD, Vishal Bhardwaj cite tout de même, du bout des lèvres, un moment des Lumières de la Ville de Charlie Chaplin comme source de son inspiration. Puis, il lâche comme dans un souffle : « Il est venu à mes oreilles que ce passage a aussi inspiré Brecht pour Maître Puntila et son valet Matti ».

L’auteur indien est très en dessous de la vérité car la pièce écrite en exil en 1940 et le film de 2013 présentent des ressemblances frappantes, ainsi que trois personnages principaux très similaires : Puntilla/Mandola, Matti/Matru et Eva/Bijlee. Ce sont toutes deux des farces politiques truculentes destinées à un large public. Mais il est aussi vrai que leurs cheminements comme leurs sujets diffèrent. La pièce de Brecht traite de la relation ambiguë entre un maître et son valet — comprendre le capitaliste et le prolétaire — pour finir par l’émancipation du serviteur : « Il est temps que tes valets te tournent le dos. Un bon maître, ils en auront un, dès que chacun sera le sien. ». Matru Ki Bijlee Ka Mandola est en revanche une fable fataliste où la révolution n’est pas possible, avec des serviteurs/serfs qui en viennent à épouser la cause de leur maître, pour leur bien naturellement…

Vishal Bhardwaj s’est sauvé de l’infamie de l’appropriation indue en réinventant la pièce du dramaturge allemand. Il a ainsi agi à la manière de Tigmanshu Dhulia qui a recréé avec Saheb, Biwi Aur Gangster une œuvre très différente de celle de Guru Dutt, tout en conservant la même base initiale. Pourquoi ne pas avoir cité Berthold Brecht, même en tout petit, au générique du film ? On ne le sait pas. Peut-être Vishal Bhardwaj voulait-il éviter d’admettre un lien fort entre son film et une pièce destinée à l’édification des masses, ou plus simplement s’épargner une polémique stérile…

Le communisme est donc un des éléments centraux de Matru Ki Bijlee Ka Mandola. Matru se pique de révolution depuis l’université et cherche à convaincre les paysans illettrés qu’il s’agit d’une voie pour éviter de perdre leurs terres. Dans un moment très amusant, la harangue ressemble quasiment au discours d’un missionnaire qui débarquerait dans une région très reculée. Un Mao Tsé-Tung invisible y est presque présenté comme un dieu supplémentaire du panthéon indien. C’est peine perdue, le naxalisme ne passera pas par Mandola ; les fermiers sont à des années-lumière de pouvoir se plonger dans le petit livre rouge. En quelques scènes comiques, le film de Vishal Bhardwaj rejoint brillamment le pessimisme de Hazaaron Khwaishein Aisi, à l’opposé du style pompier d’un Prakash Jha dans Chakravyuh.

Matru, interprété par un Imraan Khan extrêmement séduisant, est dans une position intenable. Il est tiraillé entre ses idéaux révolutionnaires, son attirance pour Bijlee, et sa fidélité à Harry Mandola à qui il a été « vendu » par son père en paiement d’une dette. C’est presque un adolescent attardé qui attend son destin plutôt que de l’embrasser. Anushka Sharma est une merveilleuse Bijlee, déchirée et en proie aux doutes malgré son allure pétillante. Elle est la monnaie d’échange d’un contrat qui la dépasse et voit sa liberté ainsi que sa jeunesse lui échapper. Harry Mandola détient en réalité les clés de l’avenir du village comme celle de son serviteur et de sa fille. L’affronter ou attendre qu’il agisse dans leur sens, c’est le choix auquel sont confrontés tous les personnages du film. Malheureusement, il boit et son comportement est imprévisible.

Enfin, peut-être pas si imprévisible que ça… Harry Mandola est double, mais saoul comme sobre, il se construit un personnage qui cherche lui aussi sa voie. Au travers de ses coups de sang, de ses répliques assassines et de ses suppliques d’ivrogne, on le voit essayer de maitriser sa propre vie. Il tente de trouver l’affection de Matru, d’éviter de perdre l’amour de sa fille, et de comprendre ce qui l’amène à spolier tout son village. Ce grand écart schizophrénique, formidablement incarné par un Pankaj Kapoor au sommet de son art, est compliqué par le sevrage qui l’amène à voir des buffles roses. Cette hallucination désopilante pour nous, terrifiante pour lui, signe sa solitude abyssale et l’oblige à se dépasser.

Tout serait plus simple, s’il n’y avait pas la ministre Chaudhari Devi flanquée de son fils crétin. Pour elle, les choses sont évidentes : des usines à la place de champs, ça veut dire le développement économique de son état et plus d’argent dans ses poches. Du gagnant-gagnant ! Shabana Azmi est étourdissante de drôlerie et de finesse dans ce rôle qui va à l’envers de son personnage public, tandis qu’Arya Babbar joue à la perfection son fils imbécile. À eux deux, ils représentent le mal indien qu’est la corruption politique tout en nous offrant de sensationnels moments d’ironie.

Vishal Bhardwaj a su donner une âme à ses personnages ; aussi bien les cinq principaux que tous les personnages secondaires, comme Naseeban le travesti, ou Nainsukh le petit garçon aveugle. Ils sont si attachants que c’est un vrai plaisir de passer 2 h 30 en leur compagnie. Leurs joies sont les nôtres, leurs doutes nous émeuvent. Leurs dialogues font mouche et il faut être attentif pour ne pas rater les formules pleines de dérision ou les simples blagues potaches. Les images sont belles et la caméra par instants virtuose soutient une histoire particulièrement riche.

Mais ce n’est pas tout, Vishal Bhardwaj est aussi l’auteur de la musique dont certains morceaux s’écoutent en boucle. C’est le cas par exemple de la chanson titre jouée avant le générique de fin et qui se termine par le salut de toute la troupe. Il faut également citer Lootnewale qui accompagne formidablement la manifestation qu’Harry Mandola conduit contre lui-même. Étrangement Matru Ki Bijlee Ka Mandola invite la musique sud-africaine. Le mariage des sonorités et même de la chorégraphie est détonnant et ajoute un grain de folie à ce film qui n’en manque pourtant pas.

Avec Matru Ki Bijlee Ka Mandola, Vishal Bhardwaj nous offre une fable politique mémorable. Les acteurs remarquables, emmenés par Pankaj Kapoor et Shabana Azmi, donnent vie à une histoire qui utilise les ressorts de la farce pour évoquer des sujets plus sérieux. Certaines scènes sont cocasses, d’autres plus émouvantes. Mais même si les dialogues sont très écrits, elles s’enchaînent sans nous laisser une minute de répit.

C’est un film à la fois si drôle, fin et raffiné que ce fut un grand plaisir de le revoir à l’occasion de cette critique. Quel dommage qu’il n’existe pas de version sous-titrée en français…



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