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Meenaxi, a tale of 3 cities


Bande originale

Yeh Rishta
Chinnamma Chilakkamma
Do Kadam
Dhuan Dhuan (Meenaxi)
Rang Hai
Noor-Un-Ala-Noor
Cyclist’s Rhythm
Potter’s Village

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La critique de Fantastikindia

Par Angus, le rédacteur de l’ombre
Publié le 12 octobre 2004

Note :
(6.5/10)

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Nawab (Raghubir Yadav), est un artiste, un écrivain… le plus grand écrivain indien, dont chaque livre est attendu par des millions de lecteurs comme une révélation.
Toutefois, sa dernière création remontant à cinq ans, le public s’impatiente et son éditeur plus encore. Si bien que ce dernier organise une conférence de presse afin d’annoncer que Nawab va se lancer dans l’écriture d’un prochain roman… mais un petit détail vient obscurcir le tableau : notre écrivain est malade, il souffre du syndrome de la page blanche.
Or, le soir-même de la conférence de presse, la jeune sœur de Nawab célèbre ses fiançailles. Et en un instant, comme dans un rêve, toute de blanc vêtue, une charmante jeune femme (Tabu) apparaît devant Nawab.

Qui est-elle ? Est-ce un rêve ? S’agit-il de l’inspiration tant attendue ?

Vierge, pure, blanche… c’est ainsi "qu’apparaît" la muse Meenaxi devant les yeux de l’écrivain Nawab, mais c’est aussi l’état d’avancement de son nouveau roman.
Voici donc le triple point de départ de cette histoire, puisqu’il s’agit non seulement du point de départ du film, mais aussi, à l’intérieur de celui-ci, du commencement de l’inspiration de l’écrivain (et de ses trois histoires), et enfin, par un effet de miroirs, c’est le début de l’analyse par le réalisateur du processus de la création artistique.
En effet, le thème principal du film Meenaxi ne réside pas dans une histoire d’amour, dans une lutte contre l’oppression ou pour la survie… non, car notre jeune réalisateur (qui réalise ici à près de 80 ans son second long métrage de fiction) n’est pas le premier venu, il s’agit en effet d’un des plus grands, si ce n’est le plus grand peintre Indien. Et lorsque ce Monsieur, cet artiste, décide de faire - de créer - un film, il s’intéresse justement à la création artistique en elle-même : comment naît-elle, comment se matérialise-t-elle, quelles contraintes pèsent sur le créateur, qu’advient-il de l’œuvre une fois celle-ci achevée ?

La réflexion prendra la forme d’un triptyque qui nous raconte, au travers d’un même personnage (Meenaxi), trois histoires se déroulant chacune dans une ville différente. Cependant, il ne s’agit pas de trois histoires différentes, ni d’une même histoire vue sous trois angles différents… il s’agit en réalité d’une seule et même histoire qui se prolonge à trois moments clés du processus de création, et qui nous est contée non par Nawab, l’écrivain qui crée le personnage de Meenaxi, l’héroïne de son prochain roman, mais directement par M.F. Hussain, le réalisateur, qui a créé Nawab.

Pour mieux cerner le film de M.F. Hussain et donc sa réflexion sur la création, il faut appréhender les trois niveaux sur lesquels le réalisateur joue, les 3 Meenaxi :

- Meenaxi le film, le support de réflexion de son réalisateur et créateur M.F. Hussain,
- Meenaxi la muse, que le réalisateur a placée comme par enchantement sur la route de Nawab,
- Meenaxi le personnage de roman créé par Nawab.

Aussi, suivons le schéma de réflexion qu’imprime M.F. Hussain à son film pour en saisir la teneur :
- Hyderabad, La naissance :
Dans la première partie le réalisateur nous fait part des affres de la création et des obligations pesant sur les artistes, qu’il s’agisse du public qui attend un résultat ou des contraintes financières qui mettent en péril le principe même de la création artistique (par exemple l’éditeur qui impose une conférence de presse pour annoncer une œuvre dont la création n’a pas encore été initiée, ou qui par deux fois met une arme à feu sous le nez de l’écrivain…).
En peintre qu’il est également, M.F. Hussain oppose les éléments fondamentaux, basiques, tel le noir et le blanc (les tenues de Tabu), l’homme et la femme, le créateur et sa muse, le créateur et sa création…
L’action est alors répartie entre Nawab et Meenaxi, la muse imaginaire que M.F. Hussain va créer afin d’aider Nawab à trouver l’inspiration, mais aussi Meenaxi le personnage de son roman… car l’écrivain ne cherche pas une histoire, mais un personnage auquel donner vie.
Cette phase, qui aborde le pourquoi et le comment de la création, si elle est plus approfondie en début de film, reviendra ponctuellement tout au long du film, tel un fil rouge, un ciment entre chaque étape, chaque ville, chaque Meenaxi.

- Jaisalmer, La vie  :
Cette seconde étape est beaucoup plus colorée, plus vive… la création à pris forme.
Nawab a donné une texture à son personnage et peut donc lui faire vivre des aventures dans la magnifique cité-forteresse du Rajasthan… Meenaxi, le personnage du roman à qui Nawab a donné la vie, va prendre une place prédominante à l’écran, aux dépends de son créateur que le réalisateur met volontairement en retrait.
Du coup, il n’y a plus d’opposition, de création, de réflexion, mais un personnage, une œuvre qui vit… cet intervalle se veut plus léger, plus distrayant.

- Prague, La mort :
Toujours dans sa logique M.F. Hussain dessine une troisième et dernière partie à la fois plus sombre, aux couleurs mornes (une palette de tons gris) et plus tragique (on y répète une pièce inspirée du drame de Jeanne d’Arc). Cette ambiance est l’esquisse nécessaire à la mise à mort de l’œuvre de Nawab, Meenaxi.
De fait, nous sommes aussi plus proche de la réalité. Par exemple, Meenaxi travaille pour vivre… et justement, Meenaxi, le personnage de roman, la création de l’écrivain Nawab, souhaite s’émanciper de celui-ci afin de pouvoir vivre sa propre vie, ce que lui refuse a priori l’écrivain qui souhaite au contraire la faire disparaître.
Il va être question de destruction, de mort, mais nous sommes ici dans une conception hindouiste : la création est détruite avant de laisser place à une re-création. Ainsi dans le film, Meenaxi est bien anéantie, mais pour mieux laisser la place à Maria : la Meenaxi des deux première phases est ici matérialisée par M.F. Hussain en un personnage qui est l’égale de l’écrivain et non plus sa simple création, d’où la possibilité d’une rencontre physique entre Nawab et Meenaxi le personnage (et non plus la muse)… le créateur et sa création se trouvant au même niveau… car ceux-ci ne sont que les incarnations de la réflexion de M.F. Hussain. Par conséquent, là où Nawab refusait la vie à Meenaxi, M.F. Hussain lui offre une seconde chance… L’œuvre renaît de façon indépendante, autonome et échappe à tout contrôle de son créateur, à l’instar de Meenaxi qui renaissant à Prague en Maria refuse désormais toute ingérence de Nawab dans sa nouvelle existence et décide de vivre pour elle-même, par elle-même.
La mort dont il est question est donc la mort de l’œuvre pour son créateur, puisque l’œuvre une fois dévoilée au public cesse d’exister pour et par son auteur, d’être sa chose, mais va trouver sa propre existence, sa propre vie pour et par le public… l’œuvre va continuer de vivre par delà même son créateur.
Cette dernière partie permet ainsi à M.F. Hussain de s’interroger sur la relation existant entre un créateur et sa création.

Au-delà de ces trois stades de la vie, de la création, le film reste ancré dans la réalité représentée par les fiançailles qui constituent le prologue et l’épilogue du film et de la réflexion de M.F. Hussain. Mais tout cela est-il réel ou n’est-ce que le fruit de l’imagination de Nawab et de la réflexion de M.F. Hussain ? La question est posée par M.F. Hussain lui-même, qui invite le spectateur à la réflexion dans la toute dernière scène lors de la rencontre entre Nawab et la jeune femme toute de blanc vêtue qui s’avère être Meenaxi : les deux personnages se rencontrent sur un énorme et symbolique point d’interrogation, alors que la foule à disparu, comme dans un monde rêvé, idéalisé.
Et de fait, le spectateur s’approprie le film qui acquiert de la sorte sa propre autonomie, vie… la boucle est donc bouclée.

Que ceux qui, à la lecture des lignes précédentes, craignent de s’embarquer dans une aventure métaphysique ou des réflexions pseudo-intellectuelles ennuyeuses se rassurent : si Meenaxi joue avec votre intellect, ce n’en est pas moins un film qui ravira tous vos sens.

Et pour cause, M.F. Hussain nous dépeint une histoire certes complexe, mais d’une plastique irréprochable. La photo est magnifique et en parfaite adéquation avec les thèmes abordés, chaque étape étant envisagée comme un tableau, avec son histoire, ses thèmes, ses couleurs, sa dynamique propre.

Tout est pensé dans les détails, qu’il s’agisse du cadrage, du travail exceptionnel fait sur la lumière ou sur la palette de couleurs (tant pour les décors que pour les costumes), on sent le touché inspirée du peintre passé derrière la caméra. Ainsi, lors de certaines scènes le symbolisme prend le pas sur la réalité, c’est particulièrement le cas des scènes chantées et dansées, où le plaisir des yeux et des oreilles ne font qu’un, les magnifiques percussions d’A.R Rahman jouant la carte de la séduction.

Les festivités, et c’est le cas de le dire, puisque nous sommes conviés à des fiançailles, sont ouvertes par Noor-Un-Ala-Noor un sublime qawwali, dont l’auteur des paroles est M.F. Hussain lui-même. Et ce n’est pas un hasard, si c’est lors de cette interprétation non figée, née de l’émotion du chanteur, que Nawab rencontre sa muse, née des émotions de M.F. Hussain.

La poésie continue avec une mise en image plus symbolique, abstraite : si Rang Hai nous offre une explosion de rythmes, de couleurs et d’animaux sauvages (interprétés par des figurants entièrement costumés et maquillés, ce qui donne un coté surréaliste mais poétique à la scène), Yeh Rishta nous berce de sa douce mélodie et nous ouvre littéralement les portes de l’imaginaire de M.F. Hussain.
Bref, de magnifiques chansons, des percussions entraînantes, des mises en scène et chorégraphies originales, envoûtantes, qui s’intègrent bien dans le film (à l’exception peut-être de Chinnamma Chilikkamma, une très belle chanson, dont on se demande toutefois quel est l’intérêt dans l’intrigue, d’autant que Meenaxi n’y apparaît même pas…).

Pour donner vie à sa réflexion, le réalisateur a fait appel à de grands acteurs comme à des acteurs débutants.

A tout Roi, tout honneur… commençons les présentations par le Créateur : Raghubir Yadav (que l’on a pu voir entre autres dans Salaam Bombay !, Bandit Queen, Dil Se ou encore Lagaan) interprète de façon très crédible Nawab, un écrivain quelque peu déconnecté des réalités matérielles vivant seul dans son univers, au milieu de ses livres, et au look (veste à col Mao et lunettes) rappelant étrangement un autre artiste, créateur, mais dans l’univers de la musique cette fois : Sir Elton John.

Le personnage clé du film, Meenaxi, est interprété par la sublime et talentueuse Tabu (vue notamment dans Kandukondain Kandukondain et Chandni Bar). Resplendissante de naturel à Jaisalmer et à Prague, elle semble pourtant moins à son aise, moins naturelle lors des scènes situées à Hyderabad, du moins dans celles où elle interprète la Muse, une différence de jeu qui peut paraître étrange dans un même film, à moins que cela ne soit délibéré… laissant supposer que la muse que rencontre l’écrivain n’existe pas mais est le fruit de son imagination… La question reste d’ailleurs ouverte lors de la scène finale.

Pour ce qui est des autres acteurs… quels acteurs ?
Raghubir Yadav et Tabu étant quasi omniprésents à l’écran et de surcroît parfaits dans leurs rôles respectifs, ils en éclipsent les autres acteurs (et c’est sans regret en ce qui concerne Kunnal Kapoor qui interprète sans grande crédibilité Kaameshwar, le personnage de roman amoureux de Meenaxi).

C’est en gardant à l’esprit à la fois les trois niveaux d’histoires et les trois étapes du processus créatif, que le film Meenaxi prendra toute son ampleur, tout son intérêt, faute de quoi le spectateur fera face au vernis d’une œuvre à la plastique remarquable mais hermétique, qui pourra alors lui sembler incohérente ou déshumanisée.

P.-S. : Pour ceux qui souhaiteraient prolonger hors cadre Bollywood cette réflexion sur les affres de la création, je ne saurais que trop vous conseiller de vous ruer sur les œuvres du King (Stephen), La part des ténèbres, Vue imprenable sur jardin secret ou encore Misery, ainsi que sur un petit chef-d’œuvre cinématographique de 1996 hélas passé inaperçu, Des nouvelles du bon Dieu (dans lequel deux personnes, mécontentes de leur existence et persuadées d’être les personnages d’un roman, décident de rencontrer Dieu qui pour elles serait l’homme qui a écrit le roman de leur vie).

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