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Naan Kadavul

Traduction : Je suis Dieu

LangueTamoul
GenreDrame
Dir. PhotoArthur A. Wilson
ActeursArya, Pooja Umashankar, Rajendran, Azhagam Thamizhmani
Dir. MusicalMaestro Ilaiyaraaja
ParoliersVaali, Maestro Ilaiyaraaja, Bharath Achaarya
ChanteursShreya Ghoshal, Sadhana Sargam, Kunal Ganjawala, Madhu Balakrishnan, Vijay Prakash, Maestro Ilaiyaraaja, Madhumitha
ProducteurSivasri Sreenivasan
Durée135 mn

Bande originale

Maa Ganga
Om Sivoham
Kannil Paarvai
Matha Un Kovilil
Amma Un Pillai Naan
Oru Kaatril Alaiyum
Pitchai Paathiram

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Fiche IMDB
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La critique de Fantastikindia

Par Didi - le 27 juillet 2009

Note :
(9/10)

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Bénarès (Varanasi). Un père (Azhagam Thamizhmani), pris de remords, arrive à la recherche de son fils qu’il a abandonné, quatorze ans auparavant, à une communauté de sâdhus (ascètes), sur les conseils d’un astrologue qui lui avait prédit un destin funeste. Contre toute attente, étant donné le nombre d’ascètes que la ville abrite sur les berges du Fleuve Sacré, il le retrouve au milieu d’un champ crématoire. Le jeune garçon, devenu un homme, a, en effet, été recueilli par des sâdhus bien singuliers, les Aghoris. Ces ascètes composent une secte shivaïte qui cherche à transcender la personnalité humaine et à atteindre le divin par la pratique d’un renoncement extrême et de rituels tantriques (nécrophagie, méditation sur des cadavres, consommation d’opium). De ce fait, ils se sentent investis du pouvoir transcendantal de libérer une dépouille du cycle des réincarnations. Le père tente alors de convaincre son fils Aghori, nommé Rudra* (Arya) par son guru, d’aller visiter sa mère dans leur village natal au sud du Tamil Nadu. Rudra accepte, mais le retour du fils prodigue n’est pas sans poser problème…
Dans ce même village, dans les sous-sols d’une ruine, vit une communauté de mendiants infirmes, enfants ou vieillards pour la plupart. Elle est contrôlée par un mafieux local, Muthalali (Rajendran) qui exploite le handicap de ces malheureux — auxquels il impose des mutilations — pour servir un lucratif commerce de charité sur des lieux de pèlerinage. La dernière acquisition du mafieux est une jeune chanteuse aveugle, du nom de Amsavalli (Pooja), arrachée à une troupe de comédiens ambulants par un policier véreux. C’est alors que les destins de Rudra, Amsavalli et Muthalali vont se croiser pour le pire et pour le meilleur…

Révélé en 1999 par Sethu, film à petit budget atypique, mêlant originalité, exigence de cinéma indépendant et concessions au cinéma populaire, le réalisateur Bala n’a cessé de confirmer, avec ses réalisations postérieures, Nandha et surtout Pithamagan, la singularité de son cinéma : des drames sociaux se déroulant, en général, dans des milieux de marginaux et mettant en scènes des héros inhabituels. Naan Kadavul (Je suis Dieu) ne déroge pas à cette règle, puisque le réalisateur filme, à travers ses deux personnages principaux, le milieu des Aghoris, dont les usages et les supposés pouvoirs suscitent crainte et effroi dans la société indienne, et celui d’un gang, aux sordides procédés, spécialisé dans le trafic de mendiants. S’il pose sa caméra dans ces milieux particuliers, peu ou pas représentés dans le cinéma, quelle que soit sa nationalité ou son allégeance (commerciale ou artistique), c’est pour nous raconter une histoire émouvante mise au service d’un féroce réquisitoire contre la religion, en général et un système social corrompu.

Comme l’avait fait quelques années auparavant Satyajit Ray avec Sadgati, Bala questionne des pratiques habituelles de la religion hindoue, dont certaines, comme la charité, se retrouvent aussi dans d’autres religions. Le diktat d’un horoscope justifie-t-il l’acte immoral d’un père : priver volontairement son propre fils de sa famille, d’une enfance et d’une adolescence ordinaire ? Au nom de la charité, matérialisation de la compassion que l’on éprouve à l’égard d’un être nécessiteux, peut-on tolérer que des individus soient amputés de leur intégrité physique et de toute dignité humaine ? Quel dieu peut-il cautionner la souffrance humaine, volontairement imposée en son nom ? Aux pratiques normatives du point de vue religieux (quel hindou pratiquant ne se conforme pas aux dispositions de son horoscope ? Quel hindou, musulman, chrétien ne pratique pas la charité ?), le réalisateur oppose les pratiques extrêmes d’un Aghori, considérées comme déviantes par rapport à la norme, mais qui lui confèrent une lucidité et un jugement moral, quasiment divin, en tout cas au-dessus des lois du commun des mortels. En effet, c’est Rudra qui, palliant les défaillances de l’ordre social et divin, délivre la communauté des mendiants de leur tortionaire et la jeune fille de son funeste destin d’aveugle exploitée, alors que la police, représentante de l’ordre social, corrompue et complice du sordide trafic était incapable de le faire. Dans sa charge, Bala met aussi à mal la justice, garante de l’ordre moral et légal, puisqu’elle se trompe de criminel en tentant de juger, sans y parvenir, Rudra.

Si Naan Kadavul est un bon drame social, qui dérange, questionne et interpelle, ce n’est pas, ce qu’on pourrait appeler, un film agréable à regarder. En premier lieu, parce qu’il montre, sans concessions esthétiques, l’infirmité humaine dans tous ses états. La communauté de mendiants qui compose une véritable cour des miracles peut parfois donner l’impression d’une foire aux monstres. Cependant, la caméra porte sur eux un regard bienveillant en faisant d’eux les héros du film et en leur réservant le même traitement cinématographique qu’aux valides. En effet, dans la séquence chantée Pichaipaathiram, qui sert à présenter la communauté des mendiants, la caméra est en hauteur (le point de vue d’un valide, notre point de vue) sur les plans d’ensemble, ensuite dans les plans rapprochés, elle descend à leur niveau, pour nous faire comprendre leur point de vue, leur façon de voir le monde (on ne voit que des bas de saris ou de lunghis, des pieds de gens pressés qui déposent de temps à autre une piécette dans leur sébile). Puis, la caméra remonte, par exemple dans le train où on voit une fillette mendier du point de vue d’un passager, puis elle redescend au niveau d’un infirme qui se traîne entre les allées. Bala reprend le code classique de la séquence chantée de présentation du héros et le détourne pour nous présenter cette cour des miracles de la même façon qu’il l’aurait fait avec des héros plus typiques du point de vue cinématographique. Ce détournement du code visuel est une des caractéristiques du cinéma de Bala. Il l’avait déjà exploité dans la séquence d’ouverture de Pithamagan. Clins d’œil aux classiques et aux vedettes du cinéma tamoul sont aussi des signes reconnaissables du cinéma de Bala. Par exemple, la séquence qui présente la troupe de comédiens ambulants, à laquelle va être arrachée Amsavalli, est composée de sosies des frères Ganesan (Gemini et Sivaji), de la superstar Rajini et même de la très glamour Nayanthara, ici incarnée par un travesti. La petite troupe interprète des hits, des classiques, les mêmes d’ailleurs qui avaient servi à la séquence du medley de Pithamagan. Cette séquence est d’ailleurs l’une des plus réussie du film et agit comme une soupape de décompression dans le drame qui se construit tout au long du film.

Naan Kadavul doit beaucoup de son authenticité à la performance de ses acteurs complètement investis dans leur rôle. En premier lieu, il faut signaler celle d’Arya, qui confirme tout le bien qu’on pensait de lui depuis Pattiyal. Il a transformé son apparence physique, n’ayant crainte d’égratigner le glamour pour ressembler à un véritable yéti ; il a pratiqué du Hatha Yoga pour tenir les asana (positions) les plus complexes et nous donner l’impression qu’il a toujours vécu parmi les Aghoris. Il en va de même pour Pooja qui parvient à nous émouvoir jusqu’au tréfonds et qui, dans ses tirades et implorations, porte l’essentiel du discours et du questionnement du réalisateur. Quant à la communauté des mendiants, interprétés en grande majorité par des acteurs non-professionnels, ils sont l’âme et le réalisme du film. C’est avec eux que nous tissons des liens empathiques : nous souffrons quand ils sont maltraités, nous rions dans les rares moments heureux qu’ils peuvent dérober à leurs bourreaux et exploiteurs.

La musique du maestro Ilayaraja est le diamant qui vient couronner le film. Cependant, on ne peut que regretter que le réalisateur n’ait mis en images que deux titres (Om Shiva Om et Pichaipaathiram) sur les six que comptait la BO et que le magnifique bhajan (chant dévotionnel) qui illustre musicalement la séquence d’ouverture sur Bénarès n’y soit pas inclus. Amma Un Pillai dont les paroles expriment la douleur d’une mère de se voir séparée de son fils, aurait mérité une picturisation comme disent les anglophones.

En dépit de son contenu dramatique, parfois sordide, Naan Kadavul n’est pas un film tire-larmes, il n’y a pas de surenchère dans le pathos. Il suscite chez le spectateur tantôt la compassion tantôt l’indignation ou le rejet. Cependant, le réalisme avec lequel sont dépeints la communauté des mendiants et les supplices qui leur sont infligés peuvent heurter un spectateur sensible ou mal préparé au drame néo-réaliste tamoul. Si certains avaient été choqués par la scène de mutilation du petit garçon dans Slumdog Millionaire, Naan Kadavul offre des séquences bien plus pénibles de ce point de vue. A recommander aux âmes aguerries ou averties.

* Rudra est l’un des noms de Shiva. Il représente son aspect agressif et personnifie la colère. Dans les Veda-s, Rudra est un dieu puissant et dangereux, il est le seigneur des larmes provoquées par la destruction, son nom ne doit pas être prononcé et ses formules magiques sont des interdictions. Bhairava (le terrible) est l’aspect le plus effrayant de Rudra (Cf Alain DANIELOU, Mythes et Dieux de L’Inde, le polythéisme hindou, éd. Champ-Flammarion, 1994).

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