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No Smoking


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Phook De
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Jab Bhi Ciggaret (Jazz)

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La critique de Fantastikindia

Par Jordan White - le 2 décembre 2008

Note :
(7/10)

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K (John Abraham) ne souhaite pas arrêter de fumer malgré les remontrances de sa femme (Ayesha Takia). Il fait un rêve récurrent dans lequel il se voit poursuivi par des tireurs. Après que sa femme lui a laissé un mot annonçant qu’elle le quittait, il accepte de suivre un programme de désintoxication orchestré par un inquiétant gourou (Paresh Rawal). Il ne sait pas ce qui l’attend…

No Smoking, sorti en octobre 2007, il y a un peu plus d’un an, proposait un soupçon d’inédit dans le genre codifié du ciné hindi. Certes les chorégraphies sont bien présentes (quoique peu nombreuses), certes, il y a une histoire d’amour, mais No Smoking demeure une oeuvre atypique dévoilant peu à peu ses zones d’ombre alors que d’autres films livrent toutes leurs clés à la première lecture. Bide au BO et massacré par la presse spécialisée, No Smoking réalise à l’automne de sa sortie un score désastreux, pire encore que celui qu’avait rencontré Aag de Ram Gopal Varma, Eros International ayant mis le paquet sur la promo. Personne ne va voir le film suite à un bouche-à-oreille pas fameux. Dans ce cas de figure, le DVD est sans doute le support le plus adapté voire indispensable à sa découverte. Le réal qui n’est pas un débutant (réalisateur de Black Friday) décide de raconter une histoire faisant énormément appel à la psychologie clinique, laquelle répond à une addiction au tabagisme incarnée par un John Abraham sidérant dans un rôle de cynique blasé et imbu de lui-même, quoique finalement en perte totale de repère(s). D’abord arrogant mais toujours fringant (costard tiré à quatre épingles), le jeune homme, barbe de trois jours finement entretenue, se la joue mec à qui on ne le fait pas, répétant à tue-tête que personne n’a rien à lui dire. Mais rupture sentimentale engagée oblige, il décide de se remettre en question et accepte l’impensable pour lui : arrêter de tirer sur des clopes qu’il considère comme une raison de vivre.

Le contexte environnemental de K, personnage-mystère que l’on pourrait rapprocher de l’univers de Kafka surtout dans la deuxième partie, est décrit avec réalisme et surréalisme. A l’instar de l’énigme que représentait Lost Highway de David Lynch, formidable film sur la quête d’identié, No Smoking se propulse dans l’imaginaire tourmenté d’un homme à priori propre sur lui qui cache des démons intérieurs indicibles. Les amis et proches de K sont attachés à lui apporter l’aide dont il a besoin pour sa désintoxication alors même que ce dernier semble être entouré d’êtres devenus fantomatiques, distants ou manipulateurs. C’est le premier paradoxe d’un film construit sur la singularité de rapports devenus impossibles symbolisés par des fantômes (visibles à l’écran par l’utilisation d’effets spéciaux), ou par K se perdant dans des cauchemars épouvantables et se liguant contre ceux-là même qui l‘aiment. L’image d’abord très colorée, très vive, décline peu à peu dans la déliquescence avec une dominante jaune/marron en pleine décrépitude. Le plus fort réside dans le fait de filmer une projection mentale via une caméra qui se met dans la tête du héros en lui faisant endurer des épreuves de plus en plus hallucinogènes. Sur la question du script et de sa cohérence, il paraît assez clair que le film peut lâcher une grande partie de ses spectateurs en route, même s’il contient des fulgurances quasiment inédites dans le ciné hindi.

Lors de l’arrivée du protagoniste dans le laboratoire qui évoque l’idée d’un chemin de croix, lui-même renforcé par le manque d’enthousiasme de son principal témoin, l’image est triturée non pas par des filtres mais par un recadrage, du freeze (la boule que l’on met dans la bouche de K pour l’empêcher de parler) instantané ainsi qu’une gestion du son qui augmente le volume des infra-basses et des aigus. Résultat : une sensation de cloisonnement de plus en plus étouffante. Mais au lieu de tomber dans le piège de l’oeuvre qui se regarde elle-même se filmer, No Smoking concentre ses efforts sur l’aspect ludique de son entreprise. On peut être décontenancé comme fasciné. John Abraham apparaît tantôt complètement largué (ses rencontres avec le gourou), tantôt très coléreux, à la limite du pétage de plombs. On le voit régulièrement à bout de souffle, reprenant conscience avant de la reperdre. Un travail sur la perte d’identité, sur le doublon (le reflet de son image dans le miroir, le complexe narcissique, etc.) qui étonne. Son travail sur la gestuelle et le regard est phénoménal.
Ayesha Takia dans un double rôle est aussi très convaincante (un double rôle à l‘image de celui de Patricia Arquette dans Lost Highway, la teinture de cheveux en moins), à la fois femme brisée et secrétaire amoureuse transie qui flashe totalement sur un mec dont elle ne connaît en apparence rien. Car après tout qui est K ? Pourquoi porte-t-il ces appareils auditifs ? Pourquoi ces secrets ?

Troublant mensonge cinématographique, jeu sur les faux-semblants, No Smoking a tout du film atypique, avec un scénario, une ambiance, un mixage à peu près inédits dans la production actuelle. La belle et angoissante musique de Vishal Bhardwaj parvient elle aussi à créer une ambiance très particulière. Faut-il rechercher là à tout prix la vraisemblance, la cohérence structurelle ? Le film part dans douze directions différentes, tente beaucoup de choses, sur le son, avec cette incroyable séquence où la vitre de la voiture explose laissant tout le monde le souffle coupé. On pense souvent à Lynch. On se pose des questions, sans avoir envie de tout comprendre, le mystère s’épaississant, mais le mystère c’est très bien ainsi quand il ne faut pas nécessairement avoir besoin de tout interpréter. Un voyage dans la tête d’un homme qui tente de se libérer d’une addiction, un film curieux, absorbant, confondant de maîtrise qui demande plusieurs visionnages pour en capter toutes les subtilités et références (les bagues, l’omniprésence de l’eau, le couloir, les prénoms des amis, etc.), qui cite ouvertement un vrai cinéaste (Abbas Tyrewala, prénom de l’un des personnages). Avec un léger mou dans la seconde moitié, mais au final très ironique. Ne serait-ce que pour l’étrangeté exquise de Ranvir Shorey, parfait en homme-mystère, No Smoking mérite d’être vu et revu. Il y a même une référence à Spielberg, à une scène elle-même très polémique à l’époque, et bien sûr comme bon nombre d’oeuvres au ciné hindi, comme une citation de Beedi dans Omkara de Vishal Bhardwaj qui produit et compose la musique ici. A noter que la chorégraphie maîtresse de Phonk De Remix apparaît dans le générique de fin. Chaudement recommandé. Pour public averti certes, mais c’est bien aussi de se perdre et de se poser des questions sur un film tout sauf facile.

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