Ram-Leela
Langue | Hindi |
Genre | Drame |
Dir. Photo | Ravi Varman |
Acteurs | Deepika Padukone, Ranveer Singh, Abhimanyu Singh, Gulshan Devaiah, Supriya Pathak, Sharad Kelkar, Richa Chadda, Barkha Bisht |
Dir. Musical | Sanjay Leela Bhansali, Monty Sharma |
Parolier | Siddharth–Garima |
Chanteurs | Shreya Ghoshal, Arijit Singh, Aditi Paul, Shail Hada, Aditya Narayan, Osman Mir, Bhoomi Trivedi |
Producteur | Sanjay Leela Bhansali |
Durée | 154 mn |
Deux familles s’affrontent depuis des temps immémoriaux dans la petite ville — fictive — de Ranjaar au Gujarat. Les deux clans sont si remontés que les balles sifflent à la moindre occasion. On pourrait même croire que la ville entière est peuplée de francs-tireurs collectionnant armes et munitions. Ram (Ranveer Singh) est le fils du chef de la tribu des Rajadi. Contrairement aux hommes de famille, il est bien plus porté sur la bagatelle que la vendetta. De l’autre côté, nous avons Leela (Deepika Padukone), la fille de Dhankor Baa (Supriya Pathak) qui mène les Sanera d’une main de fer.
Lors de la fête de Holi, Ram aperçoit Leela. Leela remarque Ram. Elle n’est pas farouche, il n’est pas timide, ils se plaisent instantanément. Leur amour serait peut-être possible sans leurs frères belliqueux. Meghjibhai Rajadi (Abhimanyu Singh) comme Kanjibhai Sanera (Sharad Kelkar) ne rêvent que d’en découdre. Inconsciente de l’étincelle qui pourrait déclencher la déflagration, Baa prépare le mariage de sa fille. Il semble qu’un prétendant venant de Londres ait été déniché. Mais Leela n’est pas intéressée, car elle ne pense qu’à son meilleur ennemi, Ram.
Dans l’ombre, le cousin fourbe, Bhavani Sanera (Gulshan Devaiah), attend son heure…
L’Inde est si attachée à son cinéma que la sortie de la plupart des films est scrutée avec la plus grande attention, dans l’idée bien sûr de protéger la population. Cela commence avec le bureau de censure qui a usé ici de ses ciseaux aiguisés pour tronquer une scène de baiser trop passionnée. Et puis les groupes autoproclamés défenseurs de toutes sortes de choses, sur la foi de rumeurs, n’hésitent pas à attaquer les producteurs en justice pour changer les dialogues, le scénario, ou encore simplement empêcher la projection. En général, seuls quelques mots sont modifiés ou effacés en postproduction. Mais Ram-Leela a eu a souffrir d’une interdiction de diffusion à deux jours de sa sortie en salle.
Le problème réside dans le titre même du film. Ramlila est une représentation théâtrale populaire du Ramayana. Il n’en fallait pas plus à des intégristes hindouistes pour crier au blasphème. Sanjay Leela Bensali a eu beau argumenter que son Ram et sa Leela n’étaient inspirés que de Roméo et Juliette, rien n’y a fait. Pour tenter d’apaiser les tensions, le titre a été transformé dans l’ urgence en Goliyon Ki Raasleela : Ram-Leela, ce qui peut se traduire par « Une divine danse de balles : Ram-Leela ». Pour être certain d’être compris, une annonce indiquant qu’il ne s’agit en aucun cas de la vie de Rama a été ajoutée en préambule au film, qui comporte donc quatre messages pour : calmer les religieux, bien dire que c’est mal de fumer, en rajouter sur le fait que c’est une œuvre de fiction, et enfin rassurer les amis des animaux.
Finalement, le film a réussi à sortir à la date prévue, le 15 novembre. Il n’est pas certain qu’il puisse être vu partout en Inde, mais par la magie du format numérique, il a voyagé à la vitesse de la lumière pour atterrir sur les écrans français le même jour. Et par chance, nous sommes même exemptés des deux premières annonces.
Comme Vishal Bhardwaj, Sanjay Leela Bhansali réalise des films dont il a la maitrise totale : la réalisation, la production, la musique et l’écriture. Ici, il a même poussé la mainmise jusqu’au montage de Ram-Leela. Il s’agit donc d’une oeuvre totalement personnelle, dans la lignée de Guzaarish et de Saawariya. Il nous propose une fois de plus ce qui constitue un de ses signes distinctifs, des décors baroques très raffinés aux couleurs flamboyantes et extrêmement appuyées. Le rouge, le vert et le bleu se mêlent très harmonieusement pour le plus grand plaisir des yeux. A la différence de ses œuvres précédentes, en particulier Devdas, les scènes d’extérieur sont suffisamment nombreuses pour que l’on n’ait pas l’impression d’être enfermé en studio. Nous sommes plongés dans un univers féerique où la respiration est possible.
Ce monde d’une beauté à couper le souffle n’a rien de réel. Il est intemporel avec des objets actuels comme les téléphones portables, mais aussi des voitures des années 50. C’est un écrin où évoluent les amants tragiques, Ram/Roméo et Leela/Juliette. L’histoire est en effet inspirée de William Shakespeare avec toutefois des variations importantes. Les auteurs nous laissent par exemple entrevoir à un instant un dénouement analogue à celui de Pyrame et Thisbé, mais ils bifurquent au dernier moment. La trame est cependant conservée, nous donnant droit à une magnifique scène du balcon, aussi drôle qu’émouvante, sur des images dans des tons verts incroyables. On pourrait penser à un pur exercice de style, mais c’est bien plus que cela.
Ram-Leela fait une place très importante aux femmes. Leela est plus forte que Ram, plus intéressante aussi. C’est elle qui le choisit en l’embrassant à bouche que veux-tu, et elle n’est pas en reste dans les allusions fines qui fusent à peu près autant que les balles. Lorsqu’ils se retrouvent à la tête de leur clan respectif, elle assume ce rôle que Ram refuse. Ce personnage féminin très fort fait écho à celui de Baa, la matriarche des Serana, bien plus énergique et décidée que le Don des Rajadi qui abdique. Plus encore que dans Ishaqzaade, les hommes sont des brutes prêts à aller jusqu’à l’ignominie, et l’espoir ne peut venir que des femmes.
Le film va plus loin encore dans la modernité en ne faisant pas de ces femmes des personnages transgressifs. Leela n’est pas enfermée dans un univers masculin, et elle peut trouver de l’aide parmi les autres femmes de la famille. Ce n’est pas le cas de Ram, totalement isolé, perdu, qui n’a personne vers qui se tourner. Il commence comme un joli cœur arrogant, sûr de sa virilité, pour finir en marionnette d’un ordre établi qui le dépasse. Tout comme Devdas qui meurt de ne pas pouvoir surmonter la perte de Paro, Ram n’est plus rien lorsque Leela s’éloigne. Sanjay Leela Bhansali nous montre une nouvelle fois la défaite des hommes. Il aurait peut-être été mieux inspiré d’appeler son film Leela-Ram.
Les deux acteurs principaux sont merveilleux de complicité. Leurs scènes comme leurs danses sont délicieuses. Deepika Padukone, la vraie tête d’affiche, est d’une beauté ahurissante au point qu’elle éclipse l’item-number de Priyanka Chopra. Ranveer Singh n’est pas en reste avec un physique impressionnant et une moustache très élégante. Les personnages secondaires sont tous parfaits. Supriya Pathak est un des meilleurs Don qu’on ait vu depuis longtemps. Richa Chadda et Barkha Bisht, les deux belles-sœurs sont très émouvantes. Pour être juste, les personnages masculins sont également impeccablement rendus. Gulshan Devaiah incarne une nouvelle fois un salaud abject à souhait, tandis que Abhimanyu Singh et Sharad Kelkar font deux beaux-frères engoncés dans leur certitude de devoir prendre leur part dans la haine pluriséculaire.
D’où vient-il alors que l’émotion peine à nous envahir ? Le film est formellement très beau, mais il est clairement beaucoup trop long. À l’inverse, certains raccourcis, comme celui de la mort du frère de Leela, rendent la compréhension difficile. Enfin, les moments comiques avec des paroles à double sens sont si fréquents qu’on en perd le sentiment qu’il s’agit en réalité d’une tragédie. Et puis, Ram-Leela contient aussi trop de passages musicaux qui hachent et ralentissent la narration.
Toutes les chansons sont agréables à l’oreille, mais les chorégraphies sont parfois quelconques comme Ram Chahe Leela dansée par une Priyanka Chopra incongrue. En revanche, Ishqyaun Dhishqyaun, emblématique de l’alchimie des deux héros, est aussi plaisante à voir qu’à entendre.
Sanjay Leela Bhansali nous propose avec Ram-Leela un film personnel aux images étourdissantes. L’histoire de Roméo et Juliette qu’il revisite nous plonge dans une histoire d’amour intense incarnée par deux acteurs éblouissants. Les thèmes abordés s’éloignent de Shakespeare pour plonger au cœur de la modernité. Mais quelques longueurs, des ellipses malheureuses et un humour trop présent pourraient presque faire oublier par moments qu’il s’agit d’une tragédie intemporelle.
Le film est néanmoins si riche qu’on sort de la salle de cinéma avec le sentiment d’avoir eu
le privilège d’avoir assisté à une œuvre importante d’un des plus grands cinéastes de notre temps.
C’est surtout qu’on croit moins à leur amour, du coup, et donc on est moins ému.
Bhansali avait déjà franchi un pas en mettant des baisers alors qu’il avait juré ses grands dieux que jamais il ne le ferait. Il suffisait de franchir le deuxième pas…