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Rang De Basanti

Traduction : La couleur du sacrifice (jaune)

Bande originale

Ik Onkar
Rang De Basanti
Paathshaala
Khalbali
Tu Bin Battayein
Paathshaala (Be A Rebel)
Luka Chuppi
Lalkaar
Khoon Chala
Rubaroo

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La critique de Fantastikindia

Par Suraj 974 - le 29 mars 2006

Note :
(7.5/10)

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Sue McKinley (Alice Patten), vient en Inde tourner un documentaire-fiction basé sur les mémoires de son grand-père, qui sous la colonisation britannique a côtoyé les premiers freedom fighters, ces hommes qui enclenchèrent le mouvement de rébellion qui aboutira à l’indépendance de l’Inde.
A la recherche d’acteurs amateurs pour interpréter ces rôles, elle auditionne des étudiants de la Delhi University. Elle est aidée par sa correspondante Sonia (Soha Ali Khan) qui lui fait rencontrer ses amis étudiants : Karan (Siddharth), Sukhi (Sharman Joshi), Aslam (Kunal Kapoor), Laxman Pandey (Atul Kulkarni), DJ (Aamir Khan), le meneur de la bande, et enfin Ajay (Madhavan), pilote dans l’armée de l’air, le seul jeune homme sérieux du groupe.
Peu à peu ils s’imposent à elle comme les seuls interprètes possibles… même s’ils n’ont aucun intérêt pour leurs glorieux ancêtres, ni le moindre sentiment patriotique : pour eux l’Inde est un pays pourri de l’intérieur, qui ne vaut pas qu’on se batte pour lui. Ils n’ont d’autres ambitions que de s’amuser ou de partir aux USA pour vivre une vie meilleure.
Pourtant, incarner ces personnages va changer à jamais leur vision du monde, et la mort tragique de leur ami pilote va les réveiller et les amener à prendre en main leur destin de manière radicale.

Rang de Basanti fait partie de ces films à message caractéristiques du côté « éducatif » assumé des films indiens : ils ont souvent utilisé leur popularité massive pour essayer de faire changer les mentalités - Swades en est un exemple récent.
Rien n’a vraiment changé en Inde depuis la colonisation, après s’être libérée des Britanniques l’Inde est tombée sous le joug d’autres oppresseurs : les politiciens et la corruption qui gangrènent la société tellement profondément qu’il semble impossible de s’en débarrasser. Une situation aggravée par l’apathie d’une jeunesse désabusée qui se laisse vivre.
Le film se divise en deux parties bien distinctes. La première suit la conception du documentaire, la seconde montre ses effets sur les jeunes qui y jouent. La première nous décrit la vie des jeunes de Delhi, pleine d’humour : le spectateur suit les frasques de ces jeunes délurés qui ne pensent qu’à s’amuser. Puis passé l’entracte tout s’inverse, et du même coup on bascule dans l’inconnu. La première partie peut charmer mais paraît très prévisible, la seconde étonne d’autant plus et se révèle plus dramatique et polémique.

Les qualités de Rang De Basanti tiennent au fait qu’il innove de bout en bout, que ce soit dans la réalisation, la narration, l’esthétique, les thèmes abordés ou les personnages, il fait preuve à chaque fois d’inventivité - difficile d’y trouver la moindre trace de classicisme.
On pourrait dire qu’il y a trois récits imbriqués, celui du documentaire, celui de la première partie et celui de la seconde, les trois se croisent à un instant crucial où, fiction et réalité se rejoignant, le film bascule. C’est une innovation narrative audacieuse de la part du réalisateur, qui sort des sentiers linéaires des films hindis.
On se trouve ici à la croisée de thèmes aussi différents que le film de mœurs, le film patriotique et le film de campus, le tout relié par un humour omniprésent jusque dans les moments les plus graves - ce qui peut déconcerter.

Rang De Basanti s’inscrit dans la lignée des films sociaux indiens qui s’étaient un peu fait oublier ces dernières années. Récemment Yuva / Aayutha Ezhutu de Mani Ratnam ont rallumé la flamme de ce cinéma engagé - on en retrouve d’ailleurs ici deux acteurs, Siddharth qui reprend un rôle similaire à celui qu’il tenait dans le film de Ratnam, et Madhavan dans un long caméo. Rang De Basanti emprunte d’ailleurs beaucoup à ce film (message de fond, acteurs, idées visuelles).

Le film repose sur les prestations des acteurs qui sont tous irréprochables. Leur complicité transparaît tellement à l’écran qu’on adhère aisément à leur amitié et du même coup à l’histoire. A la différence des personnages du film de Mani Ratnam, qui étaient violemment ancrés dans la réalité, ceux-ci sont tout autant crédibles mais vivent dans leur propre monde, avec une certaine candeur qui leur fait d’abord refuser le monde des adultes, puis s’y engager plus à fond que les autres, sans jamais se prendre au sérieux malgré l’énormité de leur geste. Tous les personnages sont remarquablement écrits et dotés d’une vraie profondeur.

Rang De Basanti est porté par Aamir Khan. Avec son look rajeuni, le quadragénaire se fond étonnamment bien dans un groupe d’acteurs deux fois plus jeunes que lui, sans pour autant oublier de justifier intelligemment sa présence plus mature.
Siddharth dans un personnage similaire à celui qu’il tenait dans Aayutha Ezhuthu est tout simplement remarquable en fils à papa négligé par son père businessman, qui trouve refuge auprès de ses amis. Il interprète avec classe et charisme ce personnage blessé à fleur de peau.
Atul Kulkarni, qui joue Laxman Pandey, le militant hindou, est comme toujours excellent. D’abord présenté comme un intégriste il entre peu à peu dans le groupe et se fait accepter. Mention spéciale également pour Soha Ali Khan, qui parvient à imposer son personnage tout en douceur dans cet univers exclusivement masculin.

Ce groupe est comme un microcosme de l’Inde, il réunit des jeunes de milieux et de religions différentes : hindous, sikhs, musulmans, fils de businessman et enfants des quartiers pauvres, Indiens du nord et Indiens du sud, illustration de la dimension universelle dont il veut se doter, sans se limiter à l’Inde car son message peut aisément s’appliquer aux jeunes de tous les pays du tiers-monde étouffés par la corruption et l’apathie. A la manière de Lagaan, où Bhuvan invitait à la tolérance entre les castes et à l’union face à l’ennemi anglais, pour sortir l’Inde de l’ornière Rang De Basanti prône clairement l’unité entre les différentes religions, au travers de l’amitié progressive entre l’hindou (Atul Kulkarni) et le musulman (Kunal Kapoor), et avec Aamir Khan qui est musulman et interprète ici un sikh.

Esthétiquement le film alterne différents types de photographies. L’une mettant en avant la vie urbaine et nocturne de Delhi, l’autre en sépia pour les scènes de documentaire. Les deux alternent régulièrement jusqu’à se confondre. Beaucoup de scènes dans la première partie se déroulent de nuit sous les éclairages publics ou à la lumière de phares de voiture ce qui donne un ton particulier aux images, au contraire de la seconde toujours en extérieurs et en plein jour, comme pour mettre en lumière ce réveil.

Les principales réserves qu’on pourrait émettre tiennent précisément à ce qui peut rendre le film efficace. Rang De Basanti repose en grande partie sur l’effet de surprise, si bien qu’il supporte mal une deuxième vision dans son intégralité. Toute la première partie sert à préparer la seconde, et perd de son intérêt si l’on connaît déjà la fin. Rétrospectivement le plus intéressant se concentre à la fin, surtout pour un public occidental qui ne se reconnaîtra pas forcément dans les jeunes de la première partie, qui peut du coup paraître bien longue.
Avec un tel sujet on se serait attendu à un rythme plus nerveux et efficace, mais il est inégal et peut faire lâcher prise.
La musique a un rôle à part entière dans le film. Dans la première partie elle colle très bien avec la description de la vie des jeunes de Delhi, qui s’amusent, dansent et aiment une musique à l’occidentale. Dans la seconde elle se fait plus sérieuse - elle accompagne leur changement - mais elle est aussi beaucoup moins utile dans la narration et, en s’enchaînant de manière un peu répétitive, elle rallonge le film.

Rang De Basanti est donc un film audacieux, surprenant et novateur. Son message radical et polémique est pour le moins courageux dans une industrie à rêves coupée de la réalité sociale du pays : il n’essaye pas de vous emmener vers les étoiles, il ramène promptement sur terre.
Rang De Basanti a fait en Inde l’effet d’un véritable choc. Il a reçu un accueil dithyrambique de la part de critiques impressionnés par son audace, et un succès public énorme qui en fait le plus gros succès d’Aamir Khan et le classe aux côtés des plus grandes réussites du cinéma hindi de ces dix dernières années. C’est d’ores et déjà un film-culte.
Dans le contexte actuel de mutation de Bollywood, où les films ont trop tendance à viser les Indiens expatriés fortunés ou les publics occidentaux, il est encourageant de voir un film indien qui parle de l’Inde, et destiné à un public indien - peut-être même trop pour être aprécié à la même mesure par un public occidental. Il faut probablement être indien et avoir vécu en Inde pour saisir dans toute son ampleur le message qu’il veut faire passer.
C’est d’une certaine façon une illustration de la puissance du cinéma. Rang De Basanti montre comment un documentaire peut réveiller des individus et les amener à se prendre en main… tel une mise en abîme, c’est également ce que le film espère des spectateurs qui iront le voir, réveiller leur conscience politique tout en les divertissant. Pour cela, tous les moyens sont bons tant que le message passe, et ici, malgré ses imperfections qui n’en font pas un chef-d’œuvre, on peut dire qu’il y parvient.

Note sur le titre du film : rang de basanti signifie « peins-moi en orange ». L’orange est la couleur du sacrifice, on peut donc traduire le titre par « donne-moi le courage de me sacrifier »,
« donne-moi le courage de donner ma vie pour mon pays »…
Merci à Sewa pour l’éclairage.

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