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Ship of Theseus

Traduction : Le bateau de Thésée

LanguesHindi, Anglais
GenreDrame
Dir. PhotoPankaj Kumar
ActeursAida El-Kashef, Neeraj Kabi, Sohum Shah, Vinay Shukla, Amba Sanyal
Dir. MusicalNaren Chandavarkar, Benedict Taylor, Rohit Sharma
ParolierAnand Gandhi
ChanteursRohit Sharma, Neeraj Kabi, Mukthiyar Ali
ProducteursMukesh Shah, Sohum Shah, Amita Shah
Durée143 mn

Bande originale

Naham Janami Song
Batau Aaya Levan Ne

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La critique de Fantastikindia

Par Alineji - le 2 octobre 2014

Note :
(8.5/10)

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Présenté et primé dans de nombreux festivals à travers le monde l’an dernier, Ship of Theseus, avait été très apprécié lors de ses deux projections parisiennes de l’automne 2013, la première fois pendant le festival organisé par nos partenaires d’Extravagant India !, la seconde un peu plus tard, au cours de la manifestation du Forum des Images, Un état du Monde et du cinéma. Ce premier long métrage d’Anand Gandhi (rien à voir avec le Mahatma) est maintenant disponible en DVD, agrémenté de quelques suppléments sur lesquels nous reviendrons.

Il est bien difficile de résumer un film aussi contemplatif et cérébral que celui-ci. Un ovni dans le ciel du cinéma indépendant indien. Le titre, Ship of Theseus, annonce la couleur. En effet, le bateau de Thésée, connu aussi comme le paradoxe de Thésée, est une expérience de pensée sur l’identité et sa persistance dans le temps, énoncée d’abord par Héraclite, suivi par d’autres philosophes jusqu’à Leibnitz, à partir de la légende rapportée par Plutarque. Une fois Thésée revenu vainqueur de son combat contre le Minotaure, afin de l’honorer, les Athéniens conservèrent son bateau, remplaçant les planches au fur et à mesure qu’elles étaient abîmées. Plutarque pose la question suivante : est-ce toujours le même bateau que celui qui a porté Thésée ?

Ici, ce sont trois personnages étrangers les uns aux autres qui s’interrogent sur leur identité, à travers des voies et pour des raisons différentes, et qui partagent aussi une expérience commune, celle de la transplantation d’un organe. C’est d’abord Aaliya Kamal (Aida El-Kashef), une jeune photographe aveugle de Bombay dont le talent est déjà reconnu. Elle capte les images en se guidant grâce aux bruits qui l’environnent. Une greffe de cornée va changer son « regard » sur son environnement et sur son art. Elle va devoir remettre en questions non seulement sa façon de filmer, mais aussi sa façon d’être au monde et à la ville, jusqu’à sa relation avec son compagnon.

Le deuxième protagoniste que l’on suit dans sa quête spirituelle est un moine érudit, Maytreya (Neeraj Kabi). Militant contre les expérimentations animales, il appartient à une secte non-violente athée, tout vêtu de blanc et doté d’un long balai souple pour écarter les petits êtres vivants qu’il pourrait écraser en marchant, à la manière des Jaïns. Si l’ordre religieux auquel appartient Maytreya est purement imaginaire, pour donner corps à son personnage, le cinéaste s’est beaucoup inspiré à la fois du jaïnisme, du Mahatma Gandhi et de certains activistes militants comme Peter Singer. Une grave maladie nécessitant une greffe de foie va pousser le moine renonçant au bout de ses limites et de ses contradictions… Va-t-il se laisser mourir ou acceptera-t-il la greffe destinée à le ramener au monde des vivants ?

Le troisième acteur de cette longue méditation et en quelque sorte son pivot, est Navin (Sohum Shah), un jeune financier, courtier en placements immobiliers, qui vient de bénéficier de l’implantation d’un rein. Venu prendre soin de sa grand-mère, intellectuelle fantasque et utopiste, hospitalisée pour une fracture de la jambe, il est témoin d’une scène qui va bouleverser sa vie et le conduire, des bidonvilles de Bombay jusqu’aux paysages austères et froids de la Suède, à un engagement qu’il avait refusé avec acharnement jusque-là. Mais son combat contre le vol d’organes et pour rendre sa dignité au maçon qui en a été la victime n’aura peut-être pas le résultat escompté

Le montage linéaire, une histoire après l’autre, ne laisse aucune place au hasard et conduit le spectateur vers la seconde interrogation du paradoxe énoncé en préambule : est-ce qu’un nouveau bateau, qui serait construit avec les planches retirées les unes après les autres serait le vrai bateau de Thésée ? Les trois histoires ne se rejoignent qu’à la toute fin… et n’apportent bien entendu aucune réponse. Mais Ship of Theseus est un film militant qui, outre la question initiale, aborde beaucoup d’autres sujets, comme la création artistique, la justice, l’écologie, la mort, l’éthique et la responsabilité. A l’énoncé d’un tel programme, on pourrait craindre une lourdeur de plomb et un ennui mortel. Il n’en est rien. D’abord parce que la profondeur n’empêche pas la légèreté. Et le film est beau ; l’image est très soignée, une véritable épure. On a l’impression que chaque plan est millimétré, tracé au cordeau. Ensuite, il est habile dans son exposition et dans la juxtaposition des trois récits qui le composent.

Enfin, il est bourré d’inventions, intellectuellement stimulantes, à l’instar de la façon dont Aaliya se sert de l’appareil photo avant de retrouver la vue, ou de la doctrine de Maytreya et de la prière athée des moines, inventée — pour une scène très forte du film — dans une des plus vieilles langues vernaculaires indiennes, utilisée notamment par l’empereur Asoka. A noter !, parmi les suppléments du DVD, figurent dans le livret de présentation la retranscription de cette prière et sa traduction en anglais. Elle a été interprétée, sans doute très judicieusement, tant le film est parsemé d’indices, comme étant un pied de nez aux créationnistes. On peut ajouter que le rythme lent, musical, quasiment hypnotique, ajoute encore au plaisir que l’on prend à le visionner.

La performance des comédiens, pour certains amateurs, est à saluer particulièrement. La jeune cinéaste égyptienne, Aida El-Kashef, très impliquée dans première révolution de la place Tahrir en 2011, a accepté d’incarner le personnage d’Aliya. Sa propre pratique de l’image a certainement beaucoup contribué à rendre son interprétation si juste. L’acteur Neeraj Kabi, issu du monde du théâtre, s’est astreint à un régime strict et a perdu près de 17 kilos pour tenir le rôle du moine agonisant. Il est bouleversant de vérité et d’humanité. Sohum Shah, pour finir, qui prête si naturellement ses traits au jeune trader, s’est impliqué personnellement dans le soutien du film et a créé sa propre maison de production Recyclewala Films qui a financé le long métrage d’Anand Gandhi.

Après cette avalanche de compliments, quelques bémols toutefois. Si l’œuvre mérite amplement l’intérêt que lui ont porté des personnalités aussi diverses que l’acteur Hugo Wavin, l’écrivaine Arundhati Roy, ou encore le cinéaste vétéran Shyam Benegal, sans parler d’Aamir Khan et de Kiran Rao, cette dernière ayant distribué le film, Ship of Theseus n’est pas sans défauts . Brillant, Anand Gandhi se laisse parfois surprendre à en faire trop, à « enfoncer le clou » de sa démonstration. Son film aurait gagné à être raccourci d’une bonne vingtaine de minutes. Rassurez-vous on ne vous refait pas le coup de « Mon cher Mozart, il y a trop de notes ! », le réalisateur donne juste l’impression d’avoir voulu trop dire, d’avoir voulu ajouter de temps en temps un argument supplémentaire à sa démonstration philosophique au risque de l’affadir. En quelque sorte de s’être un peu trop regardé être virtuose, en ouvrant des pistes de réflexion aussitôt abandonnées, et qui auraient mérité d’être des sujets en soi.

En conclusion, ce film militant, intelligentissime, souvent déroutant et parfois trop démonstratif, vaut largement un détour hors des sentiers de Bollywood ou même du cinéma de nouveaux cinéastes indiens qui tentent de s’en échapper. Un dernier mot sur la distribution. Au lieu d’une sortie étriquée dans les salles obscures du pays, l’œuvre a été mise en ligne gratuitement pour le public indien le 15 janvier 2014. Le double DVD proposé au public international, dans un élégant emboîtage marron, est d’une qualité parfaite et tout aussi généreux en matière de suppléments : un double poster, deux courts-métrages, des interviews, les scènes coupées et la chanson citée plus haut, Naham Janami Song, la prière athée composée par Rohit Sharma.

La bande-annonce

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