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La critique de Fantastikindia

Par Angus, le rédacteur de l’ombre
Publié le 11 février 2005

Note :
(6/10)

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De nos jours, dans un petit village reculé du Bengale, Balaram (Shankar Chakraborty) et Nimai (Tapas Pal) exercent le métier de garde-barrière dans une petite gare où les trains, s’ils finissent par passer … ne s’arrêtent que très rarement. Aussi, dès qu’ils ont du temps libre (ce qui arrive souvent !), Balaram et Nimai s’adonnent à leur passion commune : la lutte.
Les jours s’écoulent ainsi lentement dans ce petit univers paisible, mais cet équilibre va être remis en cause par l’intrusion du monde extérieur, à savoir l’arrivée d’un petit groupe d’inconnus, et d’Uttara (Jaya Seal), une jeune femme que Balaram a épousé sous la contrainte…

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Balaram arrive avec Uttara


Documentariste, écrivain et poète, Buddhadeb Dasgupta nous livre un film réussi sur le plan esthétique et réaliste dans les thèmes abordés.
L’un des principaux thèmes abordés dans Uttara est celui de l’amitié entre Balaram et Nimai. Si le sujet n’est pas nouveau dans le cinéma indien (à Bollywood avec notamment Sholay ou Qurbani) et plus généralement dans le cinéma asiatique (souvenez-vous du mythique La rage du Tigre), l’approche du réalisateur est ici toute particulière puisqu’il ne pose pas la question des limites de l’amitié, comme souvent dans les films, mais nous immerge dans le quotidien de ces deux hommes isolés dans un environnement naturel, immense, désolé. Au fil du temps, Balaram et Nimai ont appris à se connaître, à coexister, à se compléter, tant et si bien qu’ils n’ont plus besoin de parler pour se comprendre… l’étape ultime d’une belle amitié.

Mais l’amitié entre ces deux grands enfants, ne vivant que pour leur passion commune, la lutte, va être mise à l’épreuve par un élément extérieur à leur petit univers : Uttara. Et si c’est une femme qui vient perturber leur sérénité, c’est le fait de perdre l’exclusivité d’une amitié qui sera le plus douloureux pour Nimai. La démarche de Buddhadeb Dasgupta n’en est que plus crédible, nous renvoyant inconsciemment à notre propre enfance (souvenez-vous du déchirement ressenti lorsqu’à l’occasion d’une rentrée scolaire votre meilleur ami s’étant fait de nouveaux amis, avait alors moins de temps à vous consacrer !). Ici la situation est identique, nos deux comparses ayant conservé toute l’innocence et la naïveté de l’enfance… innocence, voire même insouciance, qui prendra le dessus au moment le plus tragique de cette aventure.

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Nimai observe ses voisins


Outre le thème de l’amitié, Buddhadeb Dasgupta s’intéresse aussi dans Uttara aux minorités et à l’intolérance qui vont, hélas, souvent de pair.
Dans un pays comptant près de 70 % d’hindous et 20 % de musulmans, un prêtre catholique a décidé de s’installer dans ce petit village et d’y bâtir son église. Une manière pour le réalisateur de rappeler que l’Inde est un pays complexe, aux multiples facettes, où même dans un petit village, la différence reste possible… mais difficile. Comme un appel à la tolérance, Buddhadeb Dasgupta nous rappelle les divers affrontements religieux qui ont tristement assombri l’histoire récente du pays.
Le Père est assez apprécié par les habitants, surtout pour sa générosité : il a recueilli un orphelin, il offre le couvert aux plus démunis (qui traverseront le film à divers moments, apportant avec une touche d’humour, un témoignage désenchanté sur les rêves et les espoirs des plus pauvres). Mais cette présence et même cette bonté, ne sont pas du goût de tous. Une fois de plus, la bêtise humaine et la haine aveugle prendront le pas, sous le faux prétexte d’idéologies religieuses.
C’est pour échapper à cette agressivité qu’une autre minorité à décidé de vivre repliée sur elle-même : les nains de la région se sont regroupés dans un même village, illustrant le proverbe « Pour vivre heureux, vivons cachés ».

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Uttara fait tourner la tête de Nimai


Si un équilibre existe entre les minorités, c’est aussi parce que le village est loin du monde, au point que le temps semble avoir suspendu son envol (voir les scènes assez drôles où les habitants tentent d’utiliser les moyens de communication). L’intrusion de la réalité, du monde extérieur, va faire voler en éclat cet équilibre. Tout arrive par le biais d’un petit groupe d’hommes somme toute ordinaires. A sa façon, Buddhadeb Dasgupta nous montre que la tolérance, le respect et la compassion sont peu de choses face à l’indifférence, la haine et la violence qui sont devenues la règle de la vie en société.
Mais, si le réalisateur semble promouvoir comme idéal, comme solution aux maux de la vie moderne, un mode de vie reclus voire communautariste, il se contredit lui-même lorsqu’il fait avouer à l’un des nains ses rêves de domination du monde (et ce pour le bien général… prétexte si facile et bien intentionné repris par tout dictateur !!!)… à moins que ce ne soit le simple constat que personne n’est parfait et que tout le monde possède une face cachée, obscure.

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Le nain conquérant


Et Uttara dans tout cela, me demanderez vous ?
Et bien, cette charmante jeune femme se retrouve coincée entre ses deux doux rêveurs, les nains (qui, bien que bienveillants, ne sont pas ce qu’ils paraissent être), et des hommes d’une cruauté sans nom. Impuissante, plongée dans un monde qui lui est étranger et dont elle ne comprend pas les mécanismes, elle aura beau vouloir lutter, elle restera, tout comme le spectateur, désarmée.

Si les thèmes ne sont pas nouveaux, Buddhadeb Dasgupta les traite néanmoins de façon très sobre et avec une belle "inventivité visuelle".
En effet, le réalisateur a fait un travail original sur le cadrage en accordant bien souvent une grande d’importance à l’environnement dans lequel évoluent les personnages (ce qui, j’en conviens, peut ne pas être du goût de tous). Il n’est pas rare que les trois-quarts d’un plan représentent le désert, ou bien que les personnages soient filmés dans un plan d’ensemble les rendant minuscules face à leur milieu naturel.

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Le travail des femmes


La réalisation rend ainsi hommage à la région dont est originaire le réalisateur : le Bengale. Cependant, Uttara n’est pas pour autant un film expérimental, Buddhadeb Dasgupta sait aussi poser sa caméra sur les personnages aussi souvent que nécessaire.

Avec ces cadrages particuliers, ces personnages inhabituels, cette bande-son faisant la part belle à un silence pesant (et à quelques bruitages étranges), et ce rythme assez lent (ce qui encore une fois ne va pas attirer les faveurs du plus grand nombre), on plongerait presque dans une ambiance comme David Lynch en a le secret… bizarrerie et fantastique mis à part.
Ambiance confirmée par les quelques passages chantés, qui apparaissent comme une bulle d’air dans un climat parfois pesant, notamment lorsque surgit de nulle part une troupe de musiciens, chanteurs, danseurs, portant des masques traditionnels Tchao, et dont les paroles des chansons viennent appuyer des idées, des sentiments présentés lors des scènes précédentes.

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Bas les masques


Une idée intéressante qui rythmera le film (à la manière des saltimbanques racontant l’histoire dans le dessin animé Robin des Bois de Disney, ou dans la comédie Marie à Tout Prix).

Des thèmes classiques mais abordés de façon intelligente, une réalisation fraîche et inventive (qui pêche toutefois par un léger manque de dynamisme), valurent à Buddhadeb Dasgupta de recevoir les honneurs de ses pairs. Ils lui ont décerné pour Uttara le Prix de la mise en scène au Festival de Venise 2000. La même année, le public lui a, quant à lui, attribué à Nantes le Prix du public au Festival des 3 continents.
Ajoutez une très belle musique de fond, des acteurs misant plus sur la sobriété que sur les effets faciles… et vous obtiendrez une alternative qui devrait intéresser ceux qui se demandent aujourd’hui si Bollywood peut encore leur offrir de bons moments.

PS : A noter la sortie nationale le 17 novembre 2004 des Chroniques Indiennes (Mondo meyer upakhyan), le dernier film de Buddhadeb Dasgupta.

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