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Vilaines chansons

Publié vendredi 22 août 2014
Dernière modification mercredi 28 mars 2018
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Par Mel

Rubrique Morceaux choisis
◀ Kat Songs
▶ Medley : Bombay Talkies

L’industrie du cinéma de Bombay produit chaque année environ 200 films, et la grande majorité d’entre-eux présente quelques chansons écrites par un ou plusieurs directeurs musicaux. Bien sûr, derrière ces compositeurs attitrés il y a des équipes fournies de musiciens qui participent activement à la création. Il n’empêche que les directeurs musicaux doivent signer bon-an mal-an près de 750 chansons qui se veulent originales.

C’est là que le bât blesse : les malheureux n’arrivent pas à suivre la cadence et certains se laissent aller à la facilité de « l’inspiration ». Il s’agit le plus souvent de quelques notes anodines, mais parfois, c’est un pillage en règle qui choque même les oreilles les plus compatissantes. En voici quelques-uns…

Hum Saath-Saath Hain

Titre : ABCD

Année : 1999
Chanteurs indiens : Udit Narayan, Hariharan, Hema Sardesai, Shankar Mahadevan et Saif Ali Khan
Compositeurs indiens : Ram-Laxman (musique), Mitali Shashank (paroles)
Compositeurs originaux : José Luis Perales (Paroles et Musique)
Chanteurs originaux : José Luis Perales puis Jeanette
Pourquoi ? : Cría Cuervos de Carlos Saura est un grand succès cinématographique de 1976. Il présente dans le Madrid franquiste des années 70, la petite Ana (Ana Torrent) qui essaye de recréer en rêve sa mère morte.

Le film nous fait entendre comme un leitmotiv Porque te vas (Parce que tu pars) interprété par Jeanette. Cette version est un triomphe qui tournera en boucle sur les radios pendant des mois. On a peu à peu oublié le délicieux minois de Jeanette, mais les immenses yeux bouleversants d’Ana Torrent sont restés dans toutes les mémoires. La voici alors qu’elle rumine contre sa tante Paulina.

Le duo Ram-Laxman s’est contenté de changer le rythme et l’orchestration de ce morceau qui a touché au cœur tant de gens. Bien sûr, ils se sont appropriés la paternité de la chanson au générique. Il fallait des paroles en hindi. Mitali Shashank s’y est attelé en produisant un sommet de niaiserie qu’il n’est même pas nécessaire de sous-titrer. Pour finir, Sooraj R. Barjatya a emballé le tout dans des images gorgées jusqu’à la nausée de bons sentiments. Voici donc le résultat honteux qu’ils ont produit :


Disco Dancer

Titre : Jimmy Jimmy Jimmy Aaja

Année : 1982
Chanteuse indienne : Parvati Khan
Compositeurs indiens : Bappi Lahiri (musique), Anjaan (paroles)
Compositeurs originaux : Daniel Vangarde et Jean Kluger (Paroles et Musique)
Chanteurs originaux : Ottawan
Pourquoi ? : L’euro-disco battait son plein à la fin des années 70. L’allemand Frank Farian crée Boney M, les français Jacques Morali et Henri Belolo inventent Village People, et le duo Daniel Vangarde - Jean Kluger lance Ottawan. Ce groupe antillais aura quelques succès, dont T’es Ok en 1980 qui ressortira peu après en version internationale sous le titre You’re Ok. Il est difficile d’être ébloui par la richesse musicale et la profondeur des paroles, mais ça ne l’a pas empêchée de devenir un incontournable des discothèques. La voici telle qu’elle était présentée dans les émissions de variétés de l’époque (malheureusement avec une qualité médiocre) :

L’Inde aussi a succombé à la folie du disco. Disco Dancer sort en 1982 et il lui faut des chansons. Bappi Lahiri ne trouve rien de mieux que de copier à tour de bras. Il s’approprie ainsi Video Killed the Radio Star des Buggles, et justement T’es Ok de notre Ottawan national. Voici donc ce copier-coller interprété par la charmante Kim Yashpal.


Pyaar Ke Side Effects

Titre : Tell Me Is This Love

Année : 2006
Chanteurs indiens : Kunal Ganjawala et Sunidhi Chauhan
Compositeurs indiens : Pritam Chakraborty (musique), Mayur Puri (paroles)
Compositeurs originaux : Jacques Revaux et Claude François (musique), Jacques Revaux et Gilles Thibaut (paroles)
Chanteur original : Claude François
Pourquoi ? : Claude François présente Comme d’Habitude en novembre 1967. Il raconte dans cette chanson triste l’histoire d’un couple qui se délite, et évoque en filigrane sa rupture avec France Gall. Le succès est important, sans être pourtant à la hauteur de l’immense vedette qu’il est à l’époque. Peu après, Paul Anka acquiert les droits et adapte la chanson en réécrivant les paroles. Il la propose à Franck Sinatra qui l’enregistre en décembre 1968. Ce sera My Way, un des plus grands tubes planétaires de la fin du 20e siècle. En attendant, voici Claude François lui-même, début janvier 1968, qui en fait la promotion en playback à la télévision dans son style si caractéristique de « chanteur à minettes » :

My Way a été a son tour adaptée, notamment en espagnol. Il semble que la première version soit de la grande chanteuse argentine Estela Raval, en 1972 sous le titre original A Mi Modo. Puis se sera au tour de Raphael, cette fois sous le nom de A Mi Manera. Enfin, les Gipsy Kings sortiront une nouvelle adaptation en 1994 sur un album de compilations. Ces trois versions espagnoles ont des paroles différentes. Elles seront interprétées au fil des années par un grand nombre d’artistes hispanophones, mais curieusement elles seront toutes chantées sous le même titre : A Mi Manera.

Pritam, la « photocopieuse de Bollywood » y va donc aussi de sa version pour Pyaar Ke Side Effects. En s’attaquant à une chanson aussi célèbre, il se devait d’être prudent. Il s’attribue certes la paternité de la chanson, comme d’habitude, mais cette fois, il ne la place pas sur l’album de la bande originale du film et fait écrire en petit au générique de fin « Basé sur A Mi Manera ». Il espérait certainement profiter de la confusion des droits régnant autour de cette version espagnole. Et c’est sans vergogne qu’il affaiblit cette chanson inoubliable en l’arrangeant comme une bluette insipide.


Besharam

Titre : Love Ki Ghanti

Année : 2013
Chanteurs indiens : Sujeet Shetty, Ranbir Kapoor et Amitosh Nagpal
Compositeurs indiens : Lalit Pandit (musique), Rajeev Barnwal (paroles)
Compositeurs originaux : inconnus
Chanteurs originaux : inconnus
Pourquoi ? : Bella Ciao (Salut ma belle) est au départ un air populaire italien qui pourrait trouver ses racines dans une ballade française du 16e siècle. Elle est devenue au début du 20e siècle, dans la plaine du Po, une chanson de protestation des mondine, les travailleuses saisonnières du riz. Puis pendant et après la seconde guerre mondiale, avec d’autres paroles, elle s’est muée en un équivalent italien du Chant des Partisans, accaparée par la suite par l’extrême-gauche. Il existe donc deux versions : celle des modine et celles des partisans, la seconde étant fortement connotée politiquement. Quoiqu’il en soit, Bella Ciao fait encore aujourd’hui chavirer le cœur des italiens et émeut très au delà de la péninsule.

Mais dans l’Italie de la fin des années 60, chanter à la télévision la version des partisans crée le scandale. C’est pourquoi, Milva, mélange habilement les deux versions en terminant par le dernier couplet des modine. Voici sa version interprétée en 1968 :

Des auteurs inconnus, c’est du pain béni pour un directeur musical en manque d’inspiration. Lalit Pandit, le « Lalit » du duo Jatin–Lalit qu’il constituait avec son frère, saute sur l’occasion sans réaliser ce à quoi il s’attaque. Il mélange le Bella Ciao original avec une de ses compositions et tente de faire passer le résultat indigeste comme une de ses propres œuvres. L’ânerie qu’il produit colle parfaitement avec le titre du film : Besharam (Éhonté). Je n’ai même pas eu le courage de sous-titrer les paroles ineptes…


Bodyguard

Titre : Teri Meri

Année : 2011
Chanteurs indiens : Rahat Fateh Ali Khan et Shreya Ghoshal
Compositeurs indiens : Himesh Reshammiya (musique), Shabbir Ahmed (paroles)
Compositeurs originaux : inconnus
Chanteurs originaux : inconnus
Pourquoi ? : La Viflaim Colo-n Jos (Là-bas à Bethléem) est un chant de Noël traditionnel roumain dont l’origine se perd dans la nuit des temps. C’est un peu un équivalent du Il est né le divin enfant français, les deux chansons abordant le même thème de la naissance du Christ entre l’âne et le bœuf. Naturellement, les roumains le chantent au moment de Noël et il n’est pas une chorale qui ne l’ait interprétée.

Pour vous en donner une idée, voici une ravissante version chantée par Diana Cazan, une candidate malheureuse du X-Factor roumain. Elle est très touchante avec sa timidité presque douloureuse et les grosses lunettes derrière lesquelles elle se cache. Sa voix d’ange fait mouche (et encore, sa voix parlée est renversante).

Note : Je l’ignorais en écrivant il y a trois ans les lignes qui précèdent, mais Diana est en réalité presqu’aveugle.

Recycler un chant de Noël traditionnel, pourquoi pas ? C’est un peu délicat, mais ça s’est déjà vu. Le problème ici, c’est que Himesh Reshammiya a vigoureusement nié l’emprunt en s’attribuant avec virulence la paternité de la chanson. Mieux, il se dit que Salman Khan a prétendu avoir inspiré la chanson à Himesh. Quand copie rime avec bouffonnerie…

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