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Bollywood en chansons : 1960-1964

Publié jeudi 19 octobre 2017
Dernière modification lundi 11 septembre 2017
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Par Mel

Dossier Bollywood en chansons
◀ Bollywood en chansons : 1955-1959
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Mughal-e-Azam


Année : 1960
Réalisation : K. Asif
Avec : Madhubala, Dilip Kumar, Prithviraj Kapoor, Durga Khote et Nigar Sultana
Box-office : n°1, All Time Blockbuster

Le film : Mughal-e-Azam (« Le Grand Moghol ») est l’œuvre monumentale d’un homme seul, Kamuddin Asif, qui lui a consacré 16 années de sa vie. Les amours légendaires du prince Salim et de la danseuse Anarkali avaient déjà fait l’objet de trois adaptation au temps du muet lorsqu’il se lance dans l’aventure en 1944. Nargis est pressentie pour le rôle d’Anarkali et tourne même quelques bouts d’essai en 1946. Mais le financement est difficile à réunir pour le très exigeant K. Asif. Les affaires traînent et le tournage ne peut réellement débuter que six ans plus tard. À cette époque Nargis a des obligations avec Raj Kapoor et doit décliner le rôle. Chandra Mohan qui devait interpréter l’empereur Akbar est mort en 1949, il doit lui aussi être remplacé. Au final, c’est une toute nouvelle distribution qui investi les studios Mohan en 1952. Le coût extravagant des décors, ainsi que le soin extrême porté à la reproduction de la grandeur des Moghols, épuisera trois producteurs. Il faudra huit années d’efforts insensés pour qu’enfin le film soit présenté au public le 5 août 1960.

Si ce n’est par son dénouement original, le film suit la trame écrite par Imitiaz Ali Taj en 1922. Il raconte l’histoire de l’empereur Akbar (Prithviraj Kapoor) qui désirait ardemment un héritier. Ses vœux sont exaucés mais le jeune prince Salim est très turbulent. Pour tenter de l’assagir, Akbar lui fait suivre une éducation militaire et l’envoie à la guerre. Lorsqu’il revient 14 ans plus tard, c’est un jeune homme plus attiré par les femmes que par la perspective de devenir lui-même empereur. Il (Dilip Kumar) s’éprend d’une jeune suivante de l’impératrice qu’il a nommé Anarkali (Madhubala). L’empereur ne peut supporter que l’héritier du trône s’amourache d’une esclave et fait tout son possible pour séparer les deux amants.
Malgré les suppliques de l’impératrice (Durga Khote), il va jusqu’à déclarer la guerre à son fils. Mais rien n’y fait, il ne peut se résoudre à le tuer, et ce dernier refuse avec obstination d’abandonner Anarkali. La seule solution qui reste à l’empereur est de faire exécuter la jeune femme. Elle est condamnée à être emmurée vivante…

Les décors et les costumes sont d’une richesse époustouflante, les acteurs sont très investis, la bataille est ahurissante, la musique est brillante. S’il y a un regret à formuler, il se situe au niveau des ressorts psychologiques des personnages qui semblent très éloignés des réalités historiques.

La chanson : Teri Mehfil Mein de Naushad et Shakeel Badayuni
Bahar (Nigar Sultana) a organisé une joute chantée sur le thème de l’amour à laquelle elle a convié Anarkali. Espérant briller dans le qawwalî, elle ambitionne d’obtenir les faveurs du prince Salim tout en le détachant d’Anarkali.

Teri Mehfil Mein chantée par Lata Mangeshkar et Shamshad Begum


Dharmputra

Année : 1961
Réalisation : Yash Chopra
Avec : Mala Sinha, Shashi Kapoor, Manmohan Krishna, Nirupa Roy et Ashok Kumar

Le film : La partition de l’Inde a été probablement l’occasion du plus grand « nettoyage ethnique » de tous les temps. Plus de 10 millions de personnes ont été déplacées. On estime qu’environ 1 million sont mortes en chemin et dans les innombrables pogroms qui ont opposé les Musulmans aux Hindous et aux Sikhs. Peut-être 100 000 femmes ont été enlevées, violées, et pour certaines, tuées par leur propres familles pour éviter le risque du déshonneur. En juillet 1947, le Penjab était l’enfer sur terre.

Le cinéma indien reste muet sur ces événements atroces jusqu’à ce qu’enfin, 14 ans après ces horreurs, B.R. Chopra et son jeune frère Yash Chopra se lèvent et les évoquent avec Dharmputra (ce mot sanskrit signifie « Le fils gardien de la religion ». C’est également un des noms de Yudhishthira, l’aîné des Pandava dans le Mahabharata). Leur film raconte l’histoire de Dilip (Shashi Kapoor), l’enfant né hors mariage de Husn Bano (Mala Sinha) et de Javed (Rehman). Le docteur Rai (Manmohan Krishna) et sa femme (Nirupa Roy) l’adoptent à la naissance pour éviter que le déshonneur rejaillisse sur leur amie Bano. Musulman par la naissance mais ignorant son origine, Dilip est élevé comme un Hindou. Au moment de la Partition, il devient un intégriste enragé qui mène la foule à tuer tous les musulmans qui se trouvent encore du côté indien de l’Inde nouvelle. Sa folie meurtrière inclut ses parents biologiques jusqu’à ce que ses parents adoptifs s’interposent…

Si on peut faire des reproches à Dharmputra, il n’est pas possible de lui dénier sa totale sincérité. Il est d’une force telle que son message est toujours d’actualité aujourd’hui, par delà même les frontières de l’Inde. Le poète Akhtar-ul-Iman a écrit des dialogues par moments extraordinaires qui lui vaudront un Filmfare Award. Le film lui-même a obtenu le National Award du meilleur film hindi. Mais les plaies étaient toujours béantes lorsque le film est sorti en décembre 1961. Il a suscité des émeutes et les exploitants ont dû le retirer de l’affiche. Ce fut au final un échec commercial et Yash Chopra n’évoquera plus la Partition avant Veer-Zara en 2004.

On pourra remarquer que plusieurs acteurs ne sont pas crédités au générique. C’est le cas de Rajendra Kumar qui, en plus de Dharti Ki Sulagti Chhati Ke, incarne dans deux discours une vision gandhienne de la Partition. Mais il y a aussi Ashok Kumar qui joue le rôle du père de Bano, Leela Chitnis qui apparaît quelques secondes dans celui d’une mère, et surtout Dilip Kumar qui fait la voix-off.

La chanson : Dharti Ki Sulagti Chhati Ke de N. Datta et Sahir Ludhianvi
Rajendra Kumar interprète cette chanson, aussi connue sous le titre Yeh Kiska Lahu Hai Kaun Mara, après que Dilip ait enfin compris d’où il vient.

Les paroles très émouvantes ont pu susciter de sérieuses controverses, en particulier le vers yeh ved hata kuran utha (« Perds le Véda et adopte le Coran »). Le chanteur ne s’adresse pas au spectateur mais à Dilip, incarné par Shashi Kapoor, pour lui ordonner d’ouvrir enfin les yeux à la fois sur ce qu’il fait et sur ce qu’il est.

Dharti Ki Sulagti Chhati Ke chantée par Mahendra Kapoor pour Rajendra Kumar


Professor

Année : 1962
Réalisation : Lekh Tandon
Avec : Shammi Kapoor, Kalpana, Lalita Pawar, Parveen Choudhary et Pratima Devi
Box-office : n°3, Hit

Le film : Shammi Kapoor, le second fils de Prithviraj Kapoor, a percé sur le tard. Il a dû attendre d’atteindre 30 ans et Junglee pour devenir une grande vedette. Au tournant des années 1960, il s’est forgé un personnage très particulier qui a su toucher la jeunesse indienne de l’époque. Certes il portait les cheveux gominés, pouvait faire le fou et n’hésitait pas à se déhancher à la manière d’Elvis (beaucoup moins bien il faut le reconnaître), mais il était gentil, sensible et en accord avec la morale progressiste de son temps. C’est justement ce qu’il incarne dans Professor, un pur divertissement de 1962.

La mère de Pritam (Shammi Kapoor) est atteinte de tuberculose. Elle requiert des soins de toute urgence mais le jeune homme est sans emploi et ne peut payer le traitement. Pourtant, une proposition lui conviendrait : enseigner à deux orphelines (Kalpana et Parveen Choudhary) élevées par leur tante (Lalita Pawar) à Darjeeling, dans les contreforts de l’Himalaya. Cependant, l’annonce est stricte, le précepteur ne peut être engagé que s’il a plus de cinquante ans.
La nécessité oblige Pritam à se déguiser en vieux professeur pour obtenir le poste. Il est immédiatement accepté et comprend rapidement pourquoi la tante acariâtre ne pouvait supporter l’idée d’un enseignant jeune. Elle craignait qu’il séduise ses deux protégées. Et qu’y a t’il de pire que des béguins adolescents ? Pritam s’acquitte de la tâche comme prévu mais ne peut vivre constamment grimé. Il se retrouve donc à incarner simultanément un vieillard et son jeune neveu. Le vieux professeur est aussi strict que paternel, tandis que le jouvenceau n’hésite pas à aller taquiner la jouvencelle…

La chanson : Main Chali Main Chali de Shankar-Jaikishan et Shailendra
Pritam (dans le rôle du neveu) a fait un petit chantage à Nina chez le tailleur. Il exige qu’elle le supplie pour récupérer ses vêtements neufs et le petit mot qu’il avait réussi à lui extorquer. Mais au lieu de s’exécuter, la belle le plante là…

Il est difficile de croire en voyant cette charmante ritournelle que n’auraient pas renié les « Yéyé » français, que Shammi avait le double de l’âge de Kalpana. Professor est en effet « presque » le film des débuts de la jeune femme. Presque, car ses deux premiers films Naughty Boy et Professor sont sortis à une semaine d’intervalle en novembre 1962. Et par un hasard curieux, les héros de ces deux comédies (Kishore Kumar et Shammi Kapoor) se prénommaient Pritam.
Malgré des débuts en fanfare, Kalpana a eu les plus grandes difficultés à poursuivre une carrière au cinéma. Elle a bien donné la réplique à Dev Anand et Shashi Kapoor mais aucun de ses sept films suivants n’a marqué les esprits. Elle quitte définitivement la scène en 1967.

Main Chali Main Chali chantée par Lata Mangeshkar et Mohammed Rafi


Bandini


Année : 1963
Réalisation : Bimal Roy
Avec : Nutan, Ashok Kumar, Dharmendra et Tarun Bose
Box Office : n°10 , Semi Hit

Le film : On raconte que Bimal Roy s’était brouillé avec Ashok Kumar pendant le tournage de Parineeta en 1953. Il l’engage pourtant dix ans plus tard pour interpréter le rôle de Vikash, un vieux freedom fighter qui se trouve dans l’obligation d’épouser Kalyani (Nutan), une jeune paysanne qui l’a soigné alors qu’il était malade.
Elle l’attend, il ne revient plus. Bien que promise, elle ne se marie pas. Désespérée et en butte au mépris de tout le village, la jeune femme est contrainte de fuir à la ville. Elle trouve là un emploi d’aide-soignante dans un hôpital où elle se trouve affectée à une malade paranoïaque insupportable.
Un jour, le mari de sa patiente vient rendre visite à son épouse. Kalyani réalise qu’il s’agit de Vikash, celui qui l’avait trahie et abandonnée. Folle de jalousie, elle empoisonne le thé de sa malade et la tue. Malgré la tentative de Vikash de faire passer la mort de sa femme pour un suicide, Kalyani est condamnée à 8 ans de prison. Après plusieurs années de détention, elle fait la connaissance du médecin de la prison (Dharmendra)…

Comme la plupart des films de Bimal Roy, Bandini (« Prisonnière » ou « Détenue ») donne l’impression d’un film bengali égaré à Bollywood. L’esthétique est aux antipodes de ce que montrait Bombay en cette fin de « l’âge d’or », les douleurs sont intériorisées et les acteurs sont moins expansifs. Mais on est frappé avant tout par l’extrême importance des conventions qui écrasent les personnages. Ainsi, l’effleurement accidentel d’un doigt vaut autant qu’une déclaration d’amour et le fait d’être vus seuls pour deux personnes de sexe opposée signe une promesse de mariage. Et pour son dernier film, Bimal Roy semble enfin se rebeller en montrant clairement la cruauté du corps social qui n’hésite pas à chercher à détruire Kalyani à coups de ragots et de moqueries.

La chanson : Mat Ro Mata Lal Tere de S.D. Burman et Shailendra
Le quartier des hommes de la prison s’agite car un freedom fighter va être pendu. Sa veuve et sa fille sont bloquées à la grille tandis que le condamné avance vers l’échafaud. Au travers des barreaux de leurs cellules, les prisonnières assistent à la longue marche du supplicié.

Matro Mata Lal Tere chantée par Manna Dey pour Rajdeep


Dosti

Année : 1964
Réalisation : Satyen Bose
Avec : Sudhir Kumar, Sushil Kumar, Leela Chitnis et Sanjay Khan
Box-office : n°3, Super Hit

Le film : Dosti (« Amitié ») est une rareté dans le cinéma de Bombay totalement dépendant du succès commercial. Le film ne présente aucune vedette connue à l’exception de Leela Chitnis dans un court rôle secondaire. Il ne contient aucune histoire d’amour dont le public est pourtant si friant. Pire, il se passe dans des lieux très loin de susciter la rêverie comme les trottoirs ou un bidonville. Même l’histoire était connue car c’est un remake de Lalu Bhulu, un film bengali sorti en 1959. Pourtant, les spectateurs se sont précipités dans les salles.

Le film raconte l’histoire de Ramu (Sushil Kumar), un adolescent dont la vie bascule en un instant. Faute d’argent, il est renvoyé de l’école et se trouve sur le point d’être expulsé de sa maison. Sa mère (Leela Chitnis) malade meurt brusquement et le jeune homme est victime d’un accident de voiture. Quand il sort de l’hôpital, Ramu est orphelin, handicapé et condamné à la mendicité dans la rue.
Il y rencontre Mohan (Sudhir Kumar), un jeune aveugle, orphelin lui aussi, à la recherche de sa sœur. Les deux jeunes se lient d’une amitié fusionnelle et subsistent en jouant de l’harmonica et en chantant. Leur succès d’artistes de rue leur laisse espérer économiser assez pour payer à Ramu les droits d’inscription à l’école. S’il pouvait faire des études, peut-être pourrait-il un jour financer l’opération qui redonnerait la vue à Mohan…

Malgré ce synopsis noir de suie, Dosti invite à l’espoir et propose un regard attendri sur les gamins des rues. De plus, le public indien est pour la première fois entré en résonance avec le thème central de l’amitié. Par la suite, Bollywood proposera avec succès d’autres couples masculins soudés comme par exemple Jai et Veeru dans Sholay en 1975.

La chanson : Jaanewalo Zara de Laxmikant-Pyarelal et Majrooh Sultanpuri
Jusqu’à présent, seule l’harmonica de Ramu permettait d’attirer les badauds. Un jour, Mohan se met à chanter…

Le duo Laxmikant-Pyarelal avait fait ses débuts l’année précédente mais c’est avec Dosti qu’ils ont acquis la célébrité. Toutes les chansons du film ont fait date et leur ont permis de recevoir un des six Filmfare Awards décernés au film. Il est également à noter que la partie à l’harmonica est jouée par l’alors tout jeune R.D. Burman.

Jaanewalo Zara chantée par Mohammed Rafi pour Sudhir Kumar

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