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Ankhon Dekhi

Traduction : De visu

LangueHindi
GenresDrame, Films semi-commerciaux
Dir. PhotoRafey Mehmood
ActeursRajat Kapoor, Brijendra Kala, Namit Das, Sanjay Mishra, Seema Pahwa, Maya Sarao, Taranjit Kaur
Dir. MusicalSagar Desai
ParolierVarun Grover
ChanteursKailash Kher, Shaan, Ronkini Gupta, Mansheel Gujral
ProducteurManish Mundra
Durée108 mn

Bande originale

Aaj Laagi Laagi Nai Dhoop
Aayi Bahaar
Kaise Sukh Soyein
Yaad Saari Baari Baari
Hakka Bakka
Dheeme Re Re

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Fiche IMDB
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La critique de Fantastikindia

Par Mel - le 5 janvier 2016

Note :
(8.5/10)

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Toute la famille réprimande Rita (Maya Sarao) car elle est amoureuse d’un garçon à la réputation détestable. Son oncle Rishi (Rajat Kapoor) mène le réquisitoire à force cris et tapes sur la tête. Sa mère (Seema Pahwa) n’est pas en reste, au point que son père, le doux Bauji (Sanjay Mishra), est obligé d’intervenir. Mais il ne peut éviter les punitions qui s’abattent sur sa fille. Pourtant, elle n’en démord pas, c’est l’amour de sa vie. Comment lui faire comprendre qu’il y va de son honneur et l’empêcher de fréquenter ce voyou ?

Oncle Rishi propose la solution. Comme Rita ne veut rien entendre, il suffit de monter une expédition punitive contre la crapule, et le dissuader à coups de bâtons de lui compter fleurette. Oncle Rishi, Bauji, quelques amis et un policier bienveillant se présentent donc à l’appartement du garçon bien décidés à lui faire passer l’envie de penser à Rita. Mais le jeune homme n’est pas du tout comme Bauji l’imaginait. Il a l’air gentil et semble aimer sincèrement sa fille. Il est aux antipodes du dragueur invétéré qu’Oncle Rishi décrivait.

Bauji est troublé. Il a pris pour argent comptant ce qu’on lui avait dit. C’était à l’évidence une erreur qui s’est retournée contre sa fille. La cinquantaine passée, il réalise que c’est l’histoire de sa vie : il a toujours cru les autres sans avoir rien vérifié de ses propres yeux. Sa crédulité l’a plongé dans le mensonge. Il ne peut pas continuer ainsi…

Ankhon Dekhi est assurément un film particulier auquel on pense et repense très longtemps après l’avoir vu. L’histoire met en scène des personnages simples dans un New Delhi très réaliste. Elle se déroule doucement et hormis Bauji, tous adoptent des comportements ordinaires et très humains. On se reconnait dans la mère un peu matrone, dans la fille qui veut vivre sa vie avec le garçon qu’elle a choisi, dans l’oncle qui veut faire l’homme de la maison, dans la belle-sœur qui n’en peut plus des excentricités de son beau-frère. La maisonnée serait comme toutes les autres s’il n’y avait Bauji qui s’éloigne peu à peu.

Il quitte lentement le monde pour se retrouver lui-même avec l’argument de la Vérité. Au début, il s’agit de petites vérités qu’il cherche à expérimenter lui-même : la casserole est chaude, le fer à repasser brûle, le tigre feule… Mais refuser de croire ce qu’on ne peut voir soi-même rend difficile la vie en société. Sa famille est intriguée au début, puis elle prend peur au bout d’un moment. La mère va jusqu’à supplier le médecin de lui donner des pilules pour qu’il redevienne le Bauji qu’elle connaissait.

La grande finesse de Rajat Kapoor qui écrit et réalisé le film est de ne jamais poser la question de ce qui est vrai ou faux. Bauji ne cherche donc pas à connaitre la Vérité, il en cherche quelques-unes pour se libérer de la société. Certaines sont simples et amusantes. Il sombre en revanche dans l’abîme lorsqu’il s’aventure sur le terrain des mathématiques, car certaines vérités lui semblent inaccessibles alors même que tout est sous ses yeux [1]. Heureusement, Dieu parait plus simple que la géométrie. Rien ne prouve aux yeux de Bauji qu’Il existe. Donc Il n’existe pas. Bauji finit alors par transformer sa recherche de la vérité en une quête mystique centrée sur lui-même.

Voilà Bauji devenu gourou avec une petite troupe de fidèles qui boivent ses paroles. Sa bizarrerie fait de lui un sage respecté. Rajat Kapoor se livre à une critique à la fois touchante et acerbe de la religiosité indienne où les maîtres à penser pullulent. P.K. ou OMG-Oh My God ! moquaient cruellement les charlatans cupides et leurs faux dévots. Ankhon Dekhi nous présente au contraire un Bauji totalement sincère. Nous le voyons inexorablement sombrer. Il ne se trouve personne pour remettre en cause sa recherche. Personne ne lui montre que le savoir est beaucoup trop vaste pour un homme seul. Pire même, ses adeptes le suivent aveuglément et le confortent dans sa chute.

Ce questionnement métaphysique est l’œuvre d’un homme simple qui se lance à l’assaut de l’Everest chaussé d’une paire de sandales. Cela le rend particulièrement touchant. Si les plus matérialistes pourraient avoir du mal à se retrouver en lui, ils comprendront par contre parfaitement la réaction de son entourage. À l’inverse, les plus idéalistes pourront s’identifier à ce vieux fou. Ankhon Dekhi est de ces rares films qui n’enferment pas le spectateur dans un point de vue unique. On peut aussi le voir à plusieurs niveaux sans qu’il s’agisse réellement d’un conte philosophique. Il n’y a pas (trop) d’invraisemblances. L’histoire simple et émouvante parait ancrée dans le réel et se trouve par là même accessible à tous.

Certains devront cependant faire l’effort de se laisser prendre par la main. La remise en cause existentielle d’un homme de 50 ans est aux antipodes du cinéma que Bollywood nous donne habituellement à voir. Il n’y a pas ici de jolies filles, pas de héros musclés, pas de méchants vaincus à la fin. L’amour est très présent, mais il passe par des regards, par des non-dits, par des reproches parfois. S’il est impossible, ce n’est pas pour des raisons morales, de conventions ou de pouvoir. Il s’efface tristement devant le désir irrépressible d’un homme de se retrouver lui-même.

Sanjay Mishra dans le rôle de Bauji porte littéralement le film sur les épaules. Cet acteur extraordinaire qu’on cantonne habituellement dans des rôles comiques grotesques comme celui d’un policier dans Kick, est ici merveilleux de naturel et de sincérité. Sa performance lui vaudra le prix du meilleur acteur décerné par la critique aux Filmfare Award 2014. Seema Pahwa qui joue sa femme est encore plus touchante. Elle obtient le Star Screen Award du meilleur second rôle féminin. À vrai dire, tous les acteurs sont formidables au point que pour louer leurs mérites il faudrait égrener toute la distribution.

Rajat Kapoor a réuni pour ce film très personnel une famille d’artistes qu’il connait bien. Des amis tels que Ranvir Shorey ou Saurabh Shukla font même une petite apparition amicale. En grand acteur, il s’efface derrière ceux qui incarnent ses personnages. Son texte est finalement très court. L’essentiel passe par son regard et lui aussi, lors du mariage qui devrait être heureux mais où tout le monde pleure, arrive à être extrêmement touchant.

Ankhon Dekhi n’est pas une farce. Il y a bien quelques passages drôles, mais on sourit tout au plus. Ce n’est pas un film triste non plus même s’il pourrait plonger dans la mélancolie quand on finit par comprendre. C’est une œuvre sérieuse qui fait tout son possible pour le cacher. Elle délivre un message philosophique fascinant avec une économie de moyens qui laisse pantois.

Mais on pourrait tout aussi bien se contenter de suivre ces personnages comme si nous faisions partie de la famille. Ils nous attachent à leur histoire très inhabituelle en nous empêchant de voir le temps passer. C’est une réussite.


Bande-annonce


[1Le problème posé est celui de deux droites parallèles qui se rencontrent à l’infini. Comment peuvent-elles se rencontrer, fut-ce à l’infini, si elles sont parallèles et que donc par définition, elles ne se rencontrent pas ? Ce paradoxe se résout simplement avec un petit bagage mathématique. Pour Bauji, la difficulté est insurmontable montrant qu’il ne suffit pas de voir pour savoir. Sans les acquis des anciens, certaines vérités se dérobent à jamais.

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