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Black


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Haan Maine Chookar Dekha Hain

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La critique de Fantastikindia

Par Maya - le 10 juin 2005

Note :
(10/10)

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Une petite fille aveugle, sourde et muette, une enfant sauvage face à des parents dépassés, une vitalité brute qui semble impossible à endiguer, à raisonner. Un vieux monsieur au bout du rouleau, professeur aigri dans un établissement pour enfants sourds-muets, qui ne supporte plus grand-chose, mais va pourtant accepter cette ultime mission : aller dans cette famille éduquer cette petite fille, apporter de la lumière dans ce noir absolu. Mettre des mots sur des choses, donner un sens à ces mots.

L’apprentissage n’est pas facile, l’une ne se laisse pas dompter, l’autre ne se laisse pas attendrir, tous deux ont une forte personnalité. Et puis, un jour, le déclic se produit : l’enfant comprend que cette main est là pour la sortir du noir. Elle s’y agrippe et ne la lâchera plus, deviendra une adulte belle et exigeante, obstinée, toute entière tournée vers leur objectif commun, obtenir un diplôme universitaire.


Sanjay Leela Bhansali signe ici son oeuvre la plus personnelle. Le thème est inspiré de la vie d’Helen Keller, illustrée déjà dans plusieurs films (dont Miracle en Alabama, d’Arthur Penn, oscarisé en 1962) et téléfilms. Mais Black est hors norme en tout point. Hors norme, car il nous fait véritablement ressentir le handicap de Michelle, qui ne peut s’exprimer et communiquer qu’avec son corps, ce qui instaure une relation très physique avec le monde. Sa démarche, sa façon de parler avec ses mains, de solliciter l’autre, même sa manière d’apprendre en posant sa main sur celle de son professeur, de saisir sa canne, ont une force étonnante.

Son professeur arrive à communiquer avec elle en étant sur ce même registre où on ne peut pas suggérer d’un regard ou d’un demi-mot, où il faut se donner à fond pour passer la barrière du handicap. Le film doit beaucoup à la direction d’acteur de Sanjay Leela Bhansali, qui a littéralement fait exploser le talent d’Amitabh Bachchan et de Rani Mukherjee, les amenant sur de nouvelles rives. Bachchan est très loin de ses rôles de patriarche autoritaire, Rani a oublié ses sourires de fiancée haut de gamme. Ils sont véritablement habités par Michelle et « Teacher », ahurissants, incroyablement différents de ce qu’on leur connaît. La performance de Rani est évidente, tant son apparence, sa démarche, sont impactées par son rôle ; si elle ne peut articuler que quelques mots, de véritables dialogues s’instaurent pourtant, qu’elle sait nous faire partager. Amitabh Bachchan interprète un rôle très physique (même s’il n’y a pas le moindre « dishun » !), on reste sidéré devant la force, l’élan qu’il donne à son personnage dans la première partie du film et, comme Michelle, on ressent son vieillissement dans la seconde partie. Quant à Ayesha Kapoor qui joue Michelle enfant, j’étais persuadée qu’elle était réellement sourde et aveugle, que c’était sa démarche naturelle qui avait dicté celle de Rani, jusqu’à ce que je lise que cette petite fille joue un rôle, comme les autres acteurs. Impressionnante.


Black est hors norme aussi de par son univers extrêmement graphique, composé de tableaux aux tonalités symboliques, comme la sombre et vertigineuse maison des parents de la fillette, qui contraste avec l’appartement harmonieux et lumineux de l’université, les paysages très doux des nuits enneigées. Des ambiances très travaillées, qui ne cherchent pas à refléter la réalité, mais plutôt l’idée que Michelle se fait du monde qui l’entoure.

Black est hors norme encore, car il ne cède jamais à la facilité (sauf peut-être à la fin). Le handicap reste un handicap, rien ne viendra l’adoucir. Pourtant, on ne pleure pas en regardant Black, car les protagonistes ne veulent pas qu’on s’apitoie sur eux, jamais. Ce sont les autres qui larmoient, la mère, la sœur. Mais eux restent droits. Ce n’est pas sans rappeler Khamoshi The Musical, le premier film de Sanjay Leela Bhansali, qui mettait en scène des parents sourds-muets confrontés à la passion de leur fille pour la musique. On y retrouve la même impuissance devant le handicap, mais aussi la même dignité et le même effort à vivre dans la société avec ce handicap. La différence essentielle entre ces deux films réside sans doute dans la différence de moyens dont a bénéficié le réalisateur et dans sa maturité de metteur en scène.


Black est hors norme enfin, car il ne contient aucune chanson, aucune chorégraphie. La musique de fond, composée par Monty (créateur du thème musical de Devdas) est très présente, prenante. Originale, elle emprunte notamment au jazz.

Quand on lit dans Filmfare (avril 2005) un article sur Sanjay Leela Bhansali qui affirme que « les grands du cinéma indien sont Bimal Roy, A Asif, Guru Dutt, Raj Rakoor. Et Hrishikesh Mukherjee est le derniers des grands », on comprend que pour lui les suivants n’ont été que des « faiseurs de films » et on se dit qu’il est bien prétentieux, ce réalisateur (même si on a adoré Devdas). Mais après avoir vu Black, on voit les choses différemment. Black porte la patte d’un artiste, c’est indéniable. Il est le reflet du regard que cet artiste porte sur le monde. Il ne cherche pas à plaire, mais à créer, à inventer, à partager un univers qui lui est propre, même s’il est sombre, même s’il témoigne de souffrances. Il a une façon de filmer qui ne ressemble à aucune autre, qui ouvre des portes et des horizons pour les films à venir. Alors on pense à Pyaasa de Guru Dutt, notamment, et on réalise qu’effectivement il y a quelque chose de commun et de rare entre Guru Dutt et Sanjay Leela Bhansali, à la fois le travail de l’artiste, une certaine vision de la souffrance humaine et la volonté d’innover sans compromis. Black n’est que le quatrième film de Sanjay Leela Bhansali, après Khamoshi The Musical, Hum Dil de Chuke Sanam, Devdas… Jusqu’où nous emmènera-t-il ?!

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