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Dev. D


Bande originale

Emosanal Attyachar (Brass Band Version)
Duniya
Nayan Tarse
Pardesi
Saali Khushi
Paayaliya
Mahi Mennu
Aankh Micholi
Yahin Meri Zindagi
Dhol Yaara Dhol
Ek Hulchul Si
Hikknaal
Dil Mein Jaagi
Emotional Attyachar (Rock Version)
Ranjhana
Mahi Mennu (Sad Version)

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La critique de Fantastikindia

Par Jordan White - le 2 juin 2009

Note :
(7.5/10)

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Le retour d’Anurag Kashyap derrière la caméra deux ans après No Smoking et avant le prometteur Gulaal, sorti en salles mais pas encore en DVD. Le mythe Devdas revisité par le réalisateur le plus électrisant du ciné hindi.

Dev. D n’est pas l’énième adaptation du classique de la littérature Devdas qui a déjà fait l’objet de nombreuses adaptations au ciné, ne serait-ce que celle de 1955 avec Dilip Kumar, ou la plus récente et aussi la plus célébrée, celle de 2002 avec Shahrukh Khan, Aishwarya Rai et Madhuri Dixit. Certes, le scénario reprend les idées essentielles de la tragédie. Certes, on y retrouve les noms des personnages, Devdas donc (ici simplifié en Dev. D), Paro et Chandramukhi. Pour le reste, Anurag Kashyap dépoussière à sa façon le mythe de la tragédie classique et livre sa version à lui, beaucoup moins policée, moins grand public et d’un certain point de vue bien plus moderne. Ici, Dev observe sa copine Paro par webcam interposée depuis Londres en lui demandant si elle se caresse en son absence, avant de poser le pied des milliers de kilomètres plus loin en Inde à Chandigarh, tandis que Leni (Chandramukhi), elle, envoie ses facéties sexuelles d’adolescente par MMS. Fini les désirs évanescents d’une courtisane pour un héros alcoolique titubant avant de perdre la raison. Fini les larmes à n’en plus finir d’une Paro désemparée qui ne trouvera au final qu’une porte fermée devant elle. Kashyap choisit le conte moderne, entre Orange Mécanique, Irréversible et No Smoking, son précédent long-métrage, le tout mâtiné d’une sauce masala bien relevée. On connaît le goût pour la provocation du réalisateur, son envie de sortir des normes établies. No Smoking représentait déjà un sacré coup de jeune dans la production hindie et un pari fou tant sur le plan technique que commercial. Dev. D enfouce le clou et se montre moins opaque sur le plan narratif. La différence notable se retrouve dès le générique de début lorsque deux enfants jouant ensemble, se mettent en tête de mettre à l’épreuve leur amour. Ces personnages qui sont déjà décalés, grandiront ensuite, se sépareront puis se retrouveront. Paro croit aimer Dev. Mais celui-ci l’envoie bouler après des retrouvailles inachevées. Ils ne consomment pas leur amour et il la quitte. Bras ballants, Dev. D ravale sa honte et s’échappe dans un monde de paradis artificiels. Cela peut faire peur écrit comme cela. Pourtant Dev. D, à plus d’un titre, impressionne.

D’abord parce que Kashyap ne cache rien du désir sexuel (refoulé, bouillonnant et/ou complexe) de ses personnages. Il adopte un langage cru qui enterre d’entrée tout sentiment d’hypocrisie. Ensuite, parce qu’il montre un Delhi interlope que l’on a peu l’occasion de voir dans une production dite mainstream même si l’on sent les velléités de cinéaste indépendant de Kashyap qui produit des films sous la bannière UTV (dont Screwvala est producteur et un des plus importants aujourd’hui dans le ciné hindi), tout en voyant les honneurs de la distribution sur pas mal de copies dans les multiplexes. Enfin parce que Dev. D, même s’il emprunte à deux occasions, et d’une façon pas tout à fait convaincante la caméra accrochée aux basques de son (anti-)héros à la façon de Seconds (1968) de Frankenheimer, mais aussi de Requiem for a Dream (2000), s’approche surtout du drame classique où l’amour fou se conjugue avec la violence de sentiments qui ont d’abord du mal à s’exprimer avant d’exploser. Le chaud et le froid soufflent de concert dans ce film qui est un maelström d’images et de sons, dans lequel chaque scène développe sa petite musique, chaque plan semble réinventer le film alors en plein déroulement. Et alors même que l’on peut anticiper la fin, chaque nouvelle scène apporte son lot de surprises et d’étonnement. Les couleurs, leur saturation, leur rôle visuel et narratif (le chaos dans la tête, le fouillis dans l’écriture calquée sur les murs vont de pair) s’imprègnent d’une atmosphère très travaillée tandis que la musique apporte une respiration et porte littéralement le film, enchaînant les moments les plus cocasses avec ceux qui frôlent la tragédie avant d’y plonger les deux pieds joints. Le réalisateur use d’un montage alterné (la présentation de Dev se fait intégralement en flashback par exemple), avec des chansons qui s’interrompent avant de reprendre cinq minutes après, une texture et une profondeur rarement entendues jusqu’alors, signe d’un gros travail de postproduction. Il ajoute des éléments, des petits détails qui prennent au fur et à mesure de l’importance ; il joue sur le temps, sur les effets sonores, son montage. Dev s’enferme dans son cloaque, une chambre tombée en quasi-décrépitude, alors que dehors, une lumière luit. Les personnages, eux font la jonction, forment le liant et parviennent sans mal à nous émouvoir dans leurs hésitations, dans leurs refoulements, dans leur hébétude, jusqu’à la délivrance.

Anurag Kashyap sait pertinemment qu’il ne plaira pas à tout le monde. Raconter l’histoire d’une lycéenne qui devient pute pour le compte d’un maquereau, tombe amoureuse d’un fils éperdu, fou de désir sans pouvoir l’exprimer, brinquebalant son mal-être avec sa barbe de trois jours tout en montrant une indéfectible envie de s’en sortir, nous ramène aux heures sombres et pourtant magistralement mises en scène de Seul Contre Tous. Sauf que Dev est riche. Mais rompt le schéma classique du fils prodige. Il y a, comme chez Gaspar Noé, autre cinéaste surdoué du cadre, l’idée que tout peut arriver après le pire, que la solitude mène aussi à la rencontre, parfois inespérée, toujours libératrice. Comme pour les aventures du boucher chevalin qui met tous ses espoirs dans l’amour filial (le seul, l’unique, le plus pur) tout en fantasmant sur une fin épouvantable avant de se relever, Dev voit en Chandra celle qui lui sauvera la vie, alors même que Paro est déjà loin, oubliée. Dev. D est un film sur la torpeur, sur les nuits glacées (hallucinantes séquences chantées de Saali Kushi et Pardesi), où le son d’abord agressif, se fait ensuite plus doux, où les lumières d’abord aveuglantes se font plus caressantes, où la violence cache une humanité, où la peau de l’être aimé apporte enfin douceur et réconfort. Alors que Sanjay Leela Bhansali mettait en scène la perte d’un homme avant tout, ses désillusions emportées avec lui, Kashyap fait sortir un homme de la nuit. Il y a pour cela la lumière et les chants du Punjab, mais aussi l’intimité d’une chambre sommairement décorée dans laquelle ses démons ne se tairont peut-être pas une fois pour toutes mais au moins pour un petit bout de temps. Dev. D est réservé à un public averti. Comme No Smoking il pourra laisser des spectateurs au bord de la route, comme son anti-héros d’abord déboussolé aux portes de Chandigarh. Cela dit, une oeuvre d’une telle ambition plastique, d’une telle effervescence, qui tourne la page à des années de bienséance sans pour autant tomber dans le cliché du trash pour le trash juste pour se la raconter, cela fait du bien. Abhay Deol trouve ici son meilleur rôle, en homme blessé et poupon à la fois, tandis que Mahi Gill et Kalki trouvent aussi des rôles d’importance, leurs premiers qui plus est. L’une avec un charme troublant, l’autre avec ses dialogues en français à tomber et son minois de femme-enfant. Anurag Kashyap est allé au fond de son idée, ne nous déçoit pas et réalise un film surprenant, touchant, nerveux et diablement ludique malgré son aspect initial un peu revêche. A regarder le son à fond.

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