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Eklavya : The Royal Guard

Traduction : Eklavya : le garde royal

Bande originale

Chanda Re
The Revelation
The Killing
The Gayatri Mantra Theme
The Theme of Eklavya
The Love Theme
Jaanu Na
Sonu Kahani (The Legend of Eklavya)

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Fiche IMDB
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La critique de Fantastikindia

Par Laurent - le 28 novembre 2007

Note :
(7/10)

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Dans l’Inde contemporaine, la citadelle de Devigarh, au Rajasthan, semble se situer en dehors du temps : Eklavya (Amitabh Bachchan), un vieux garde à demi-aveugle, ne vit que pour la protection du raja Jayawardhan (Boman Irani). D’une loyauté inébranlable, il appartient à une longue dynastie de gardes royaux qui toujours défendirent les souverains de Devigarh. Mais après la mort de l’épouse du raja, un sombre secret est mis au jour. L’honneur d’Eklavya en sera mis à rude épreuve, et il devra faire face à un cruel dilemme : la voie du devoir ou la voie du cœur ?

En l’an 2000, Vidhu Vinod Chopra, l’un des plus grands cinéastes de Bombay, avait signé l’excellent Mission Kashmir, un ambitieux mélodrame d’action à l’américaine qui réunissait Sanjay Dutt et le jeune Hrithik Roshan. Ce film n’avait rien à envier à des films occidentaux du même style comme Léon de Luc Besson (qui a d’ailleurs inspiré plusieurs films hindis, dont un remake, Bicchoo, avec Bobby Deol et Rani Mukherjee). Le film n’ayant pas rencontré le succès escompté, V.V.Chopra a attendu six ans et demi avant de repasser derrière la caméra, une période durant laquelle il s’est essayé à la production (le diptyque-culte Munnabhai, Parineeta), devenant en peu de temps l’un des plus grands producteurs de l’industrie.

Pour sa nouvelle réalisation, Eklavya, il choisit de réunir un casting prestigieux, dominé par Amitabh Bachchan. A près de 65 ans, ce dernier est encore une fois le personnage principal d’une production importante, comme c’était le cas pour Sarkar et Black. Et comme ces films-là, atypiques pour Bollywood, Eklavya ignore la majorité des conventions du masala : aucune scène de comédie surjouée, une seule chanson minimaliste, une durée extrêmement courte (1 h 45)… Le scénario assez complexe, sur lequel le cinéaste a travaillé pendant cinq ans, fait même penser à une pièce de théâtre aux petits accents shakespeariens, avec son lot de complots, de secrets, de meurtres, de noeuds oedipiens et de coups de théâtre. L’hommage à Shakespeare est d’autant plus pertinent que le dramaturge britannique est en vogue à Bollywood ces derniers temps, avec les adaptations de Vishal Bharadwaj, Maqbool et Omkara, transpositions respectives dans l’Inde contemporaine de Macbeth et Othello. Sans être un pur film d’auteur comme l’austère Maqbool, Eklavya est donc une œuvre semi-commerciale plutôt originale, très « théâtrale », mais dans le sens élisabéthain du terme !

Eklavya mérite avant tout le détour pour quelques séquences mémorables disséminées tout au long du métrage, plus particulièrement celles qui utilisent l’image et le son pour refléter la solitude du héros, dont l’ouïe s’aiguise au fur et à mesure qu’il perd la vue. Dans l’une d’entre elles, le personnage d’Amitabh montre son habileté au lancer de couteau, parvenant, les yeux bandés, à frôler de son arme une colombe en plein vol. Dans une autre scène, filmée dans le noir total, notre héros réussit à tuer un ennemi rien qu’en percevant le halètement de sa respiration, une tension que le réalisateur retranscrit uniquement par la bande sonore.

Le film se distingue d’ailleurs par ses qualités techniques, la majesté des mouvements de caméra et de la photographie allant de pair avec celle des décors, puisque Eklavya a été tourné dans un véritable palais. Mais V.V.Chopra a été tout aussi perfectionniste pour la réalisation des séquences d’action, notamment celle qui met en scène un troupeau de chameaux pendant le passage d’un train : après avoir repéré un lieu de tournage adéquat en Egypte, il a même failli tourner là-bas, ayant même prévu d’y « exporter » des chameaux indiens parce que ces derniers sont très différents des chameaux d’Egypte ! Il trouva finalement un passage à niveau satisfaisant au Rajasthan, mais le tournage des scènes d’action à cet endroit mit les courageux acteurs à rude épreuve : Jackie Shroff manqua de se faire renverser par le train, Amitabh Bachchan, courant au milieu d’une horde de quatre cents chameaux, reçut un violent coup à la tête et ne fut sauvé que par son épais turban.

Côté casting, le film donne l’un de ses meilleurs rôles récents à Amitabh, assez attachant en vieux garde du corps sikh atteint de cécité, les yeux rouges. Sa dignité et son attachement à sa fonction de protecteur du roi, devenue désuète dans l’Inde contemporaine, rappellent la noblesse d’âme du majordome Anthony Hopkins dans Les Vestiges du Jour de James Ivory, un autre film à l’ambiance très british et pourtant réalisé par un cinéaste d’un tout autre continent (Ivory est américain). V.V.Chopra retrouve aussi dans Eklavya le couple de Parineeta, Saif Ali Khan/Vidya Balan ; cette dernière est son égérie depuis ce film, mais on peut préférer son rôle un peu plus étoffé dans Lage Raho Munnabhai. Quant à Saif Ali Khan, un amateur d’ambiances shakespeariennes puisqu’il jouait dans Omkara un personnage inspiré de Iago, il est convaincant sans nous toucher vraiment, on aurait aimé que son rôle soit plus développé ; même chose d’ailleurs pour le goguenard Sanjay Dutt, que l’on voit trop brièvement, ce qui est surprenant, surtout quelques mois seulement après le succès de leur collaboration dans Lage Raho Munnabhai. Quant aux personnages ambigus de Jackie Shroff (déjà méchant dans Mission Kashmir) et de Jimmy Shergill (un bon comédien vu dans les Munnabhai), ils comptent parmi les plus intéressants du film. Seul Boman Irani déçoit un peu dans son rôle de souverain insignifiant, auquel il insuffle un peu moins de personnalité que d’habitude… il faut dire qu’il est meilleur dans des rôles plus excentriques !

S’il y a un reproche que l’on pourrait faire à ce film soigné, c’est qu’il aurait pu être plus long : car sans qu’il déçoive vraiment, on s’attendait à une véritable fresque de la part d’un cinéaste habituellement si ambitieux ; alors qu’ici, on a l’impression qu’il s’est refusé à développer davantage ses personnages afin de mieux coller à son intrigue et d’éviter les digressions. Cette intention est louable, voire atypique à Bollywood (surtout quand le film dure moins d’1 h 50), mais on a moins de temps pour s’attacher aux protagonistes, qui paraissent distants et ne parviennent pas vraiment à émouvoir. Il n’y a donc plus qu’à espérer la sortie hypothétique d’un director’s cut du film enrichi de scènes supplémentaires !

En somme, Eklavya n’est pas le chef-d’œuvre technique qu’était Mission Kashmir, mais c’est un film plus fin, plus mesuré, et nettement moins commercial. Ce n’est pas non plus la tragédie poignante que l’on pouvait espérer, mais une œuvre sobre et concise, un beau petit hommage aux drames shakespeariens par l’un des meilleurs conteurs du cinéma de Bombay.

A noter que le film a été projeté au Festival de Cannes 2007, ainsi que Lage Raho Munnabhai, la meilleure production de Vidhu Vinod Chopra à ce jour.

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