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Interview de Ramesh Sippy

Publié vendredi 10 octobre 2014
Dernière modification mercredi 15 octobre 2014
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Par Brigitte Leloire Kérackian

Rubrique Entretiens
◀ Interview de Guneet Monga
▶ Interview de Kiran Juneja

L’inauguration du Village Indien au Festival de Cannes 2014 est un moment festif, une occasion de côtoyer des personnalités du monde artistique indien.
Une opportunité unique s’offre à moi lorsque j’ai la chance de photographier l’actrice Kiran Juneja, à la beauté remarquable, et son époux, Ramesh Sippy.
Présenter Ramesh Sippy, c’est comme parler de John Ford ou de Francis Coppola. Sa notoriété est légendaire car c’est le réalisateur du mythique film Sholay, inspiré des westerns américains et transposé en Inde. Ce méga blockbuster sorti en 1975 a lancé définitivement la carrière du non moins mythique Amitabh Bachchan. Des centaines d’articles ont été écrits sur Sholay que je ne peux résumer ici.
Fils du producteur G.P. Sippy, il est aussi le père du réalisateur Rohan Sippy. Après Mother India, Sholay participe à l’Histoire du cinéma indien avec un grand H en prenant un tournant décisif dans la narration, les personnages, à la fois film d’action et d’amitié, d’amour secret et de vengeance. Ses dialogues sont tellement renommés que des extraits entiers sont repris dans le langage courant ou les publicités.
Ramesh Sippy a aussi été reconnu pour sa réalisation de la série TV Buniyaad, cependant ses autres œuvres n’ont pas reçu un aussi grand succès. Ces dernières années, sa carrière de producteur a pris le pas sur celle de réalisateur.
Les cheveux grisonnants, très posé, on ne s’attend pas à ce qu’une personnalité aussi célèbre et couverte de louanges comme lui soit d’une telle simplicité, d’une telle modestie. Sa voix grave et très profonde en impose dès qu’il s’adresse à vous.

J’aimerais vous demander tout d’abord si vous imaginiez en 1974, au moment du tournage, que Sholay aurait ce succès immense, aussi qu’Amitabh Bachchan deviendrait une telle icône.
Ramesh Sippy : La fabrication de Sholay a été une formidable expérience. Nous étions confiants sur le fait que nous étions en train de faire un très bon film. Mais, bien entendu, nous ne savions pas que cela deviendrait un film que l’on se remémorerait 40 ans après, qu’il se maintiendrait dans le cœur et la mémoire de la population. Qui aurait pu savoir ?
Nous avions l’espoir que ce serait un grand succès mais pas qu’il serait encore connu 40 ans après sa sortie.

Maintenant, tant d’années plus tard, des phrases des dialogues sont encore sur les lèvres des spectateurs, n’était- ce pas aussi un tournant dans le cinéma indien ?
Ramesh Sippy : Il a apporté une nouvelle image du scénario et nous y avons participé. Sholay se maintiendra encore, je pense, comme un classique. La présence d’Amitabh Bachchan et celle des autres personnages ont fait son succès, sa technique narrative également. La production était totalement innovante pour l’époque et jamais vue sur un écran indien précédemment.

Qu’est ce qui vous a inspiré pour ce film avant de vous lancer ?
Ramesh Sippy : Beaucoup de longs métrages de l’époque et aussi des films occidentaux m’ont inspiré. Par exemple : Akira Kurosawa et les 7 Samourais, qui a permis de créer les 7 Mercenaires. Butch Cassidy and the Sundance Kid. Et pour quelques dollars de plus, Pour une poignée de dollars, de Sergio Leone.

Comment avez-vous convaincu votre producteur ?
Ramesh Sippy : Mon producteur était mon père. (Rires !) Il voulait aller sur d’autres territoires et était prêt à prendre des risques. C’était un entrepreneur donc il a partagé le rêve avec nous. Les dialogues étaient écrits par le duo Salim-Javed (Salim Khan et Javed Akhtar), ils l’ont d’abord écrit comme une pièce puis ils ont peaufiné l’écriture du scénario.

Comment avez-vous sélectionné vos acteurs ?
Ramesh Sippy : Je connaissais certains d’entre eux car nous avions déjà travaillé ensemble. J’avais déjà travaillé avec l’actrice Hema Malini dans deux films, Andaz et Seeta Aur Geeta. Dharmendra était aussi là dans des films précédents. Il y avait Jaya Bhaduri, qui était la petite amie d’Amitabh Bachchan à ce moment-là et qui était d’accord pour jouer le rôle de la veuve.
Il nous restait à distribuer le rôle de Jai. J’avais déjà beaucoup de stars prévues dans le casting et donc, si j’en prenais plus, cela allait me poser des problèmes. Donc le duo Salim-Javed m’a dit : " Connaissez-vous ce jeune homme ? " J’avais déjà vu deux de ses films. Anand, dans lequel il jouait avec une super star et un grand acteur, Rajesh Khanna, il y jouait un jeune homme sérieux. Et un autre film plus léger, Bombay to Goa, un voyage en bus avec le célèbre comédien de l’époque, Mehmood. Après avoir vu ces films, je sentais que M. Bachchan pouvait faire un des deux rôles, le plus léger tout aussi bien que le plus sérieux des personnages. Je voulais un acteur et non une star.
Après son premier succès, il a eu une période de six ou sept films qui n’ont pas marché. Dans l’industrie on me disait souvent : " Mieux vaut rester éloigné de lui ! Un porte-malheur !" Comme j’avais suffisamment de stars dans mon film, je n’avais pas besoin d’en avoir une de plus. On a donc avancé avec lui.
Au final, dans le rôle du méchant, nous avions signé avec Danny Denzongpa. En préparant le calendrier de tournage, il nous annonce qu’il est déjà pris sur un autre film. Il ne pouvait pas se rendre disponible pour les deux films. Que faire ?
On avait vraiment le meilleur méchant possible avec lui. Qui aurait pu incarner ce rôle ? J’avais vu Amjad Khan dans une pièce de théâtre, c’était un excellent acteur de théâtre. On manquait de temps et il fallait prendre une décision. Salim et Javed le connaissaient et l’ont amené au bureau. Quand il est arrivé, je me suis dit : "C’est mon personnage, il est Gabbar !" On l’a appelé quatre jours plus tard et on lui a demandé de se laisser pousser une barbe naissante, et de revêtir une tenue militaire. Après avoir lu son rôle, il a donné son accord et la suite, c’est de l’Histoire !

Il y a eu une pause de cinq ans avant la sortie de votre film suivant Shaan n’est ce pas ?
Ramesh Sippy : Pas exactement, plutôt deux ans. 1975, c’est la sortie de Sholay. En 1977, on a commencé le tournage de Shaan. Nous avions besoin d’une période de gestation et le film est sorti en décembre 1980. Le tournage était complexe car c’était un film à la manière de James Bond, pour lequel nous avions d’immenses plateaux. Il y avait des scènes sous-marines, ce qui prenait beaucoup de temps pour tourner. Ensuite j’ai tourné Shakti avec Amitabh Bachchan et Dilip Kumar, qui fut un grand succès critique et commercial.
Puis, j’ai fait Saagar, une romance avec Dimple Kapadia et Kamal Hassan.

Donc vous connaissez Kamal Hassan, présent au Festival, depuis de nombreuses années ?
Ramesh Sippy : Depuis presque 30 ans bien sûr ! Il a gagné un prix de meilleur acteur pour ce rôle, en jouant face à Rishi Kapoor.

Vous êtes passé du film d’action à la comédie romantique, pouvez-vous nous dire ce qui vous a guidé ?
Ramesh Sippy : J’ai tourné pour la télévision une série Buniyaad, (1987) sur la partition de l’Inde et ses conséquences.
Pendant le tournage de Buniyaad, j’ai rencontré mon épouse et une nouvelle vie a commencé. Ma femme Kiran continue la peinture et sa carrière d’actrice quand de bons rôles lui sont proposés. Elle préfère attendre les personnages qui lui plaisent. Elle m’aide beaucoup.
J’ai aussi réalisé le film Bhrashtachar avec Rekha et Mithun Chakraborty.
Puis un film avec A. Bachchan, Akayla qui est sorti en 1991. Et Zamaana Deewana avec Shah Rukh Khan mais il n’a pas très bien marché. A ce moment-là, j’ai eu envie de faire une pause pour une courte période et finalement, cela s’est transformé en une pause bien plus longue. Mon fils Rohan commençait sa carrière de réalisateur. Le fils d’Amitabh Bachhan, Abishek, a joué le rôle principal de son film, Kuch Na Kaho. C’est ainsi qu’il a démarré, il a fait quatre films jusqu’ici.
Maintenant, je suis sur le point de reprendre ma carrière de réalisateur. Malheureusement, je ne peux pas trop en parler pour l’instant.

C’est un scoop pour nous ! Ce retour est-il lié à une histoire particulière qui vous motive ?
Ramesh Sippy : En réalité, j’ai simplement le sentiment qu’il est temps pour moi de retourner à la réalisation. Même si j’ai produit pendant de nombreuses années et j’ai fait de la télé, j’ai aussi lancé la carrière de mon fils. Il continuera celle-ci de son côté. Au plus profond de moi-même, je suis un réalisateur depuis toujours.

Qu’est-ce qui vous motive maintenant ?
Ramesh Sippy : J’ai cherché un sujet. Cependant je ne souhaitais pas me lancer dans un gros film. J’ai envie d’une idée originale et cela ne peut se faire rapidement. Ce sera original et assez léger, tout en étant un peu expérimental.

Nous aimerions connaître l’objectif de votre présence à Cannes car vous avez participé aux différentes interventions sur le stand du Village indien ici.
Ramesh Sippy : Je suis le Président de l’organisme National Film Development Corporation et co-Président de Tiki, Media and Entertainment Committee. C’est une responsabilité sociale puisque je suis dans l’industrie cinématographique depuis plus de 50 ans. Pour encourager de nouveaux cinémas, aider des cinéastes, soutenir les rencontres entre les gens du métier de différents pays. Cannes est le centre du monde dans le cinéma international. C’est un endroit unique pour le cinéma de qualité, un lieu particulier pour des créations artistiques et aussi pleines de sens.

Pensez-vous à des co-productions, par exemple avec la France ou des pays européens ?
Ramesh Sippy : En fait, j’ai acheté les droits d’un film français que je voudrais adapter. Mais je ne peux pas le révéler pour l’instant. Nous retenons l’idée et nous la transposerons en Inde.


Interview recueillie par Brigitte Leloire Kérackian
Festival de Cannes 2014, 18 mai.

Notes : Salim Khan est le père de Salman Khan. Javed Akhtar est le père de Zoya et Farhan Akhtar et l’époux de Shabana Azmi.

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