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Rab Ne Bana Di Jodi

Publié vendredi 21 novembre 2008
Dernière modification mardi 3 mars 2015
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Par Jordan White

Rubrique Albums
◀ Yuvvraaj
▶ Asoka

Une nouvelle sortie pour Salim/Sulaiman et surtout le retour derrière la caméra pour Aditya Chopra, qui huit ans après Mohabbatein, revient sur le devant de la scène après avoir produit l’intégralité des productions Yash Raj de ces dernières années. Jatin-Lalit ne sont plus de l’aventure comme ils avaient pu l’être sur les deux réalisations précédentes. Aditya approche de la quarantaine, et le souvenir de Dilwale Dulhania Le Jayenge est toujours vivace tout comme celui de Mohabbatein, à tel point que certains contradicteurs pensent qu’il s’agit d’une erreur d’avoir engagé ce nouveau duo. L’attente est en effet très grande, mais que vaut cette BO justement si attendue ?


Une grande partie des BO actuelles s’appuie sur une dynamique reprise des beats électro/dance qui font fureur dans les boîtes de nuit et autres clubs. Himesh Reshammiya s’y est essayé de la façon la plus grotesque avec sa BO de Karzzzz, Salim et Suleiman avec déjà plus de bonheur pour Fashion Ke Jalwa et surtout Ashiyana. On ne parle pas tant de musique lounge, mais de musique fait pour cartonner et se retenir facilement. Depuis quelques années l’accent est mis sur les rythmes binaires qu’une expression courante et péjorative résume par deux mots : boum tchak. Conscients sans doute d’être attendus sur cette question précise de la tradition et de la modernité, Salim et Sulaiman vont à la fois à contre-courant de la tendance d’aujourd’hui tout en proposant une continuité certaine avec ce qui fait grosso modo la pluie et le beau temps du BO. Aditya Chopra a dû leur répéter qu’il attendait d’eux du traditionnel tout en collant au monde musical de l’Inde moderne qui peut très bien remixer un morceau de bhangra pour un mariage punjabi ou s’aventurer dans l’aspect le plus traditionnel voire ancestral de sa culture mélodique (Ek Vivah Aisa Bhi). Entre deux, Rab Ne Bana Di Jodi ouvre grandes les portes des possibilités : mixer la jungle, l’électro avec les sitars, les synthés et les tablas. Faire du neuf avec du vieux, recycler et proposer aussi des nouveautés. Rendre hommage et inspirer de futurs créateurs. Le tout en moins de 30 minutes.

L’attente est donc énorme. On se souvient de Dilwale Dulhania Le Jayenge comme Kuch Kuch Hota Hai, des succès monstres qui reposaient sur la mélodie. Salim et Suleiman s’en imprègnent tout en marquant leur griffe, en montrant qu’ils sont aussi là pour soigner les compositions. L’air d’intro de Tujh Mein Rab Dikta Hai, une formidable chanson populaire et intimiste à la fois démontre donc cet art consommé de parler de la musique dans toute chose. L’emprunt ici fait à la célèbre maxime de Verlaine peut résumer cette chanson : l’instrumentation d’ouverture au santoor avec l’ajout des perles rappelle irrésistiblement l’intro de Tujhe Dekha To ou comment permettre à des millions d’auditeurs de se replonger dans les délicieux souvenirs cinéphiles du film de 1995 qui porta aux nues Aditya Chopra à seulement vingt-quatre ans. La mélodie est ici reine contrairement à certains disques qui ont comme ouverture ce fameux boum tchak qui n’est là que pour lui-même sans laisser à aucun moment les respirations se réaliser. La voix mûre de RoopKumar Rathod la fait entrer directement dans le cercle des plus belles chansons de l’année. Une voix caressante inoubliable comme pouvait l’être celle d’Udit Narayan, et comme pouvaient l’être aussi celles de Mohammad Rafi ou Kishore Kumar. Oui, rien de moins. La mélodie mid tempo met à l’honneur les tablas tout comme la flûte de pan et les violons subtilement utilisés en arrière-plan pour amener une légèreté supplémentaire et une touche poétique. Il n’y avait pas d’ouverture plus idéale que celle-là, qui vient tutoyer une forme de splendeur. Mais surtout, ce morceau inaugure une suite logique et une cohérence de composition que l’on retrouve par la suite, laquelle va crescendo.

Haule Haule interprété par Sukhwinder Singh démontre une fois de plus les talents vocaux incroyables de ce chanteur qui est à l’aise à la fois dans le style punjabi et dans la dance. La mélodie qui ne souffre d’aucun arrangement par trop flamboyant à l’inverse de certains titres de Yuvraaj (BO par trop emphathique) étonne par sa tranquillité et frappe l’auditeur en allant à l’essentiel, au plus près du coeur. Après avoir vu les images de la BA de la chanson on ne se surprend plus à être ému par ses belles paroles et un refrain imparable. Le titre dont l’ouverture se fait grâce à un très joli air d’harmonium est magnifié par un pont particulièrement inspiré à 2’45 avec une très belle utilisation des violons. Et encore la présence enveloppante de l’harmonium et des tablas en appui pour les percussions. Catapulté single, Haule Haule n’a aucune difficulté à démontrer sa puissance et sa facilité d’être retenu et chantonné. Un beau titre porteur et populaire.

Montant crescendo, la BO se permet ce que d’aucuns considèreront comme un écart dance, que l’on peut aussi considérer comme un exercice de style abouti et entraînant avec son synthé vintage, le déjà célèbre Dance Pe Chance. Sunidhi Chauhan se livre à une de ses spécialités : démarrant doucement, avec un phrasé très articulé, elle monte ensuite dans les aigus à la fin du premier couplet pour s’emporter dans le refrain en laissant traîner la fin des mots. Cette façon de chanter peut autant charmer qu’irriter. Les détracteurs peuvent parler d’une voix de chanteuse de bar, il n’empêche qu’elle est à l’aise et si elle n’émeut pas autant que sur la BO de Dor, elle montre qu’elle a encore (relativisons tout de même, elle est très jeune) du potentiel pour surprendre et mieux émouvoir. Dance Pe Chance vous emporte sur le dance floor avec une invitation qu’il est difficile de refuser. Mais à laquelle on peut aussi légitimement être insensible.

Dans l’idée d’une invitation à la fête, Phir Milenge Chalte nous permet de retrouver Sonu Nigam, grand habitué des productions Yash Raj et souvent chanteur de playback pour Shah Rukh Khan. Un peu moins chaleureux que d’habitude (il était très fort sur Kal Ho Na Ho par exemple, la chanson-titre), le chanteur ne se prive cependant pas pour nous offrir quelques subtiles variations sur un titre qui rend hommage à tout un pan du ciné classique hindi avec reprises de paroles originales et un visuel qui invitera à la fête Kajol, Rani Mukherjee, Priyanka Chopra et Preity Zinta. Le refrain est en tout cas excellent. On croirait aussi entendre une BO datée de la fin des années 80 avec le débutant Aamir Khan. Tablas, trompettes, sitars se mêlent dans un petit feu d’artifice sonore. On attend de voir les images.

Le morceau le plus court du disque, la reprise de Tujh Mein Rab Dikta Hai en est aussi l’un des plus émouvants, et l’un des plus emblématiques de l’année. La voix de Shreya fait la différence avec les chanteuses actuelles. Il s’en dégage un parfum de sérénité et une force remarquable. Seule au monde dans son domaine, la plus grande chanteuse indienne livre encore ici une interprétation mémorable. Ses dernières paroles, susurées, son ultime "Rab Ne Bana Di Jodi" vous fait monter les larmes aux yeux en moins de temps qu’il ne le faut pour l’écrire.

Dancing Jodi est une reprise, un remix inégal mais pas désagréable. Ce n’est pas le dernier des titres pour surprendre et ses prises de risques sont à souligner avec sa volonté de jouer sur une mélodie en boucle.

Six morceaux, est-ce au final trop peu ? Si l’on excepte le dernier, on se retrouve à cinq. Celles et ceux qui attendaient du Soni Soni en pagaille risquent d’être déçus. Ce n’est pas un chiffre si limité que cela. Cinq morceaux qui emportent tout sur leur chemin, qui accompagnent le spectateur dans un voyage peu ordinaire, c’est aussi ce que l’on peut espérer d’Aditya et de son film. Cinq morceaux c’est aussi l’assurance d’une concision certaine. A l’heure de la mode des remix et des albums de dix-douze titres dont la moitié ne reste pas en mémoire, ce n’est finalement pas une si mauvaise nouvelle que ça. On peut même tomber amoureux de cette BO, apprendre à la connaître, à l’apprécier, puis à l’aimer comme une promesse mais aussi comme l’illustration d’un talent singulier qui vient s’ajouter à la liste des triomphes artistiques de Dor, Iqbal ou encore Om Shanti Om, si l’on s’en tient à la filmographie de Shah Rukh. On a demandé au duo de décrocher les étoiles et de viser la perfection. On lui a demandé de livrer un chef-d’oeuvre car il ne pouvait en être autrement. Rab Ne Bana Di Jodi est une BO d’une beauté rare, justement parce qu’elle semble ne pas tout donner de suite. Elle mûrit et s’apprécie d’autant plus de cette façon. Une BO qui se savoure au fil des écoutes, non pas comme un coup de foudre mais comme une musique offrant lentement mais sûrement sa poésie. Aditya a sans aucun doute eu raison en demandant au duo de composer pour lui, car il a vu en eux une énergie, une vitalité qui fait de la BO de Rab Ne Bana Di Jodi la nouvelle preuve de leur talent atypique. Nul doute qu’elle divise et divisera, mais les choses les plus discutées font aussi naître les grandes oeuvres et en inspirent d’autres à leur tour. Il est fort possible qu’en votre for intérieur, une mélodie comme Tujh Mein Rab Dikta Hai vous saisisse d’émotion pendant un bon moment…

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La pochette holographique du CD, qui révèle les 2 facettes du couple

Année : 2008

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