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La critique de Fantastikindia

Par Musidora - le 13 septembre 2016

Note :
(7/10)

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Ah ! l’ayurveda… en voilà une notion aux sonorités « exotiques », connue, mais dont on parle peu, et qui a dernièrement piqué ma curiosité. Comment faire un premier pas, établir un lien et acquérir des connaissances au sujet de ce terme dont je ne sais strictement rien ? Avant de me lancer dans de nombreuses lectures, c’est à mon ami Google que je décide de m’adresser. Et là, bam ! apparaît sur mon écran, le documentaire Ayurveda, aux origines du bien-être, l’Inde ancienne, réalisé par Peter Bardehle et diffusé sur ARTE.

Le documentaire se propose de nous révéler les origines du bien-être, dont certaines ont été découvertes dans le cadre de fouilles archéologiques réalisées ces dernières années dans le nord de l’Inde.

Le film s’ouvre sur une reconstitution historique — peu convaincante, porteuse de clichés et dépourvue de références explicites sérieuses — nous plongeant 2000 ans avant notre ère, sur les bords de l’Indus. Un guérisseur (au nom bien choisi de « Lumière de la communauté ») et son disciple conservent et usent de plantes médicinales précieuses. Parmi les soins prodigués, le shirodhara — consistant à verser un liquide en continu sur le front du patient —, dont la pratique est toujours d’actualité.

Selon la doctrine ayurvédique « chaque être humain est un cosmos en miniature, constitué des éléments de la nature. » Le vent et l’air détermineraient la nature d’un être ainsi que sa prédisposition à certaines maladies. Le feu transformerait la nourriture en énergie et créerait des impulsions. L’eau, quant à elle, serait un élément vital qui caractériserait le changement.

Avant d’énoncer un diagnostic, le médecin/guérisseur établit l’équilibre de son patient selon ses doshas [1]. Ainsi, nous suivons — un court instant — Nadine et Sharon dans leurs soins. La première est une jeune allemande venue se ressourcer afin de fuir le stress destructeur du quotidien. Atteinte de troubles de l’audition son séjour en Inde est son dernier recours. Son but ? Rééquilibrer ses forces. Sharon, elle, souffre de psoriasis. Point de séances de shirodhara pour vaincre ce mal, mais plutôt un recouvrement corporel réalisé avec de la terre de termitière. Après un long moment passé à sécher au soleil, cette patiente se voit offrir un bain de lait et de plantes médicinales. Lait qui serait un excellent anti-âge, particulièrement bon pour le teint.

« Celui qui prend soin de son corps vit plus longtemps.
De ce principe est né l’ayurveda, il y a près de 4000 ans. »

L’ayurveda est considérée comme la « théorie de la longévité », c’est la médecine indienne par excellence. Elle aurait vu le jour grâce à la civilisation de l’Indus. On dit que seuls les êtres sages et vénérables avaient la chance d’en détenir le savoir, qui leur avait été transmis oralement — et au préalable — par leurs maîtres.
L’archéologue américain Mark Kenoyer, que l’on accompagne, s’intéresse de près à ce site devenu lieu de fouilles archéologiques ; afin d’en déceler les secrets.
Il a comme partenaire, un confrère indien, dont l’angle de recherches diffère du sien. En effet, ce dernier se penche sur les activités commerciales de la région, alors que Kenoyer se préoccupe de la médecine et des soins.
Très vite est découvert un système d’égouts et d’anciens bains publics, preuve que l’hygiène était une priorité pour les membres de cette société méconnue.
Parmi les trésors sortis de terre, de beaux miroirs en cuivre faisant partie du mobilier funéraire. Présents dans la plupart des tombes de femmes de l’Indus, ces objets étaient à priori pour elles le seul moyen d’y contempler le reflet de leur âme.

Lorsque la civilisation de l’Indus est menacée de disparition, l’ayurveda elle-même est en proie au même sort. Or, en l’an 300 avant notre ère, un médecin militaire empêche la dissolution de cette science. Contrairement à ses prédécesseurs, il décide de tout consigner par écrit. Ses textes (remèdes, interventions médicales, inspirations philosophiques) sont rédigés en sanskrit, sur des feuilles de palmiers.
Il découvre notamment que cent-sept points sur le corps sont plus sensibles et vulnérables que d’autres, une pression sur certains d’entre eux mèneraient même à la mort. Il s’agit des « points marmas » : « [Ce] sont des centres vitaux et énergétiques. Des points de jonctions et de croisements de vaisseaux sanguins, de nerfs, d’organes. »

Étant donné le grand pouvoir que leur confère cette science, les guérisseurs étaient souvent considérés comme des sorciers. Lors de la colonisation britannique, ils furent nombreux à être emprisonnés afin que la médecine occidentale s’impose en Inde. Malgré cela, elle y survivra et reprendra ses droits.

Bien qu’aujourd’hui il ne reste plus que des copies des originaux, ces récits sont toujours appris et appliqués.
Dans les régions marécageuses du sud de l’Inde est enseignée une forme particulière de l’ayurveda : « la marma théraphie ».

Les Occidentaux s’avèrent être relativement ignorants quant à l’ayurveda et ses principes. Depuis peu, des chercheurs tenteraient pourtant d’en observer les bienfaits. C’est le cas notamment en Allemagne, avec des études concernant le taux de cortisol. La pratique du yoga, durant au moins trois mois, aiderait-elle à diminuer le stress chez un individu ? Si oui, pourquoi ? Comment le stress se manifeste-t-il et s’élimine-t-il ?
Pour répondre à ces interrogations, des tests de résistance au froid sont appliqués sur deux échantillons de volontaires : l’un composé d’adeptes du yoga, l’autre de non-initiés. Les premières analyses montrent que les yogistes obtiennent de meilleurs résultats en termes de performances cardio-vasculaires.

La médecine dite traditionnelle se focalise généralement sur la partie du corps « souffrante », or l’ayurveda prend en compte et traite l’intégralité du corps.
Les théories indiennes sont en vogue dans le monde entier, nombreux sont les Occidentaux qui vont en Inde afin d’y faire une cure. On y dit d’ailleurs qu’on « ramène à la vie toutes les âmes européennes qui sont mortes. » Ce propos trouve écho dans le choix des patientes interrogées dans ce documentaire, qui ne sont autres qu’occidentales. Comme si, effectivement, il s’agissait d’un « attrape-touristes » participant à l’économie et au tourisme du pays.
C’est peut-être cette notion de « dernier recours » qui entache la réputation de l’ayurveda. Un ultime recours qui, là où la médecine occidentale aurait échoué, sonnerait déjà comme « vain » avant même de l’avoir essayé.
Il aurait été souhaitable et appréciable que le téléspectateur ait accès, par l’intermédiaire de cette production, à une multitude de témoignages — peu importe leurs origines — contant les bienfaits et les résultats concrets ressentis par chaque soigné. Ainsi, la légitimité de cette science médicale aurait été honorée.

Ce qui frappe dans ce documentaire, c’est la précision et la douceur dont font preuve les guérisseurs au cours de leurs soins. Jaillit une sensation de cocon cotonneux et délicat, dans lequel le soigné vivrait une sorte de résurrection, grâce à une maîtrise minutieuse des massages, des plantes et de leurs effets.

Malgré les résultats probants obtenus par l’ayurveda, rares sont les pharmacologues qui se lancent dans des études sur le sujet. Cela s’explique (entre autres) par le manque de soutien des groupes pharmaceutiques, préférant vendre leurs propres compositions brevetées et lucratives. Cependant, l’un d’entre eux, en Allemagne, teste actuellement un traitement contre l’arthrite à base d’encens. S’il s’avère probant, il s’agira là d’un tournant sérieux concernant la médecine ayurvédique. Un autre problème conséquent se posera alors : la préservation des écosystèmes, durement braconnés afin d’assurer l’existence de cette science.

Le documentaire de Peter Bardehle se révèle être une initiation à l’ayurveda, interrogeant à la fois l’histoire, la médecine et la recherche — occidentales comme indiennes. Toutefois, il mérite bien évidemment des approfondissements et des éclairages que le format audiovisuel ne permet pas.
En effet, le documentaire manque cruellement de références claires et concrètes pour le téléspectateur, d’images d’archives et de points de vue. Il ne s’agit là que de premiers pas, survolant certaines bases de l’ayurveda sans trop les creuser. J’y vois donc une invitation à d’autres lectures et d’autres visionnages, pour plus d’explications et de fond concernant cette science bien trop méconnue.

Et vous, vous laisseriez-vous tenter ? À moins que vous ne soyez déjà conquis(es) !


[1Humeurs biologiques, au nombre de trois.

Commentaires
5 commentaires
En réponse à Fabrizio - le 26/09/2016 à 17:43

On avait été habitués à des argumentaires plus raisonnés…

Je ne savais pas non plus que tu possédais une chaire en épistémologie t’accordant le pouvoir de distinguer, avec une telle aisance méthodologique, entre croyance et connaissance. Je suis impressionné. Husserl (un autre marabout ?) doit se retourner dans sa tombe.

Je ne sais pas quoi retenir du commentaire sinon une certaine pulsion démopédique (d’une condescendance que je ne te connaissais pas) ainsi qu’un raccourci des plus navrants : associer avec désinvolture l’ayuverda (système médical/savoir thérapeutique ça t’irais ?) à sa récupération par la droite nationaliste hindoue (sous l’impulsion des tarés du Sangh Parivar et cie) c’est particulièrement réducteur.

D’accord, entre deux séances de yoga Modi s’est fait le représentant commercial de produits ayurvédiques… ses rêves d’industrialisation et de commercialisation sont sans limites, mais l’institutionnalisation et la réinvention de l’ayurveda par l’État indien remontent au projet nationaliste indépendantiste et dépassent largement les « raisons politiques » d’aujourd’hui.

Quoiqu’il en soit, qu’est-ce qu’Arte et les rafales ont à faire là-dedans ?

P.-S.
Si le pluralisme médical — avec ou sans « papouilles » — fait peur à certains c’est une autre histoire.

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Mel le 26/09/2016 à 01:34

Comment Arte peut-il diffuser des âneries pareilles ?

L’ayurveda, "science de longévité", dans un pays où l’espérance de vie est significativement inférieure à celle de la France (et de tant d’autres pays). C’est si tristement grotesque.

43 mn de documentaire et il n’est même pas capable d’identifier une seule maladie soignée par un remède ayurvédique. En 4000 ans, les sorciers n’en ont pas trouvé un seul ? D’ailleurs, ça vient d’où la croyance que ça date de 4000 ans l’Ayurveda ? Le documentariste ne doit pas savoir que l’écriture de la vallée de l’Indus n’a pas été déchiffrée :)

Les papouilles pourquoi pas, mais ce n’est pas une science :) Ça fait du bien et en général et ça ne fait pas de mal ; mais de là à soigner quoique ce soit… En général car il semble qu’il faille quand même sérieusement encadrer les marabouts pour qu’ils évitent de tartiner leurs "patients" de métaux lourds. Au passage, je ne sais pas ce qu’ils ont en Inde tous ces hurluberlus nationalistes à être fascinés par le mercure.

Bref, les raisons politiques en Inde pour remettre au goût du jour ces pratiques d’un autre âge (et là on va chercher très loin dans le temps) sont transparentes. Il est très regrettable qu’Arte se prête à ce jeu qui ne nous concerne pas. C’était pour aider à vendre des Rafales ? Mais c’est fini maintenant, ils ont signé.

Fabrizio le 26/09/2016 à 17:43

On avait été habitués à des argumentaires plus raisonnés…

Je ne savais pas non plus que tu possédais une chaire en épistémologie t’accordant le pouvoir de distinguer, avec une telle aisance méthodologique, entre croyance et connaissance. Je suis impressionné. Husserl (un autre marabout ?) doit se retourner dans sa tombe.

Je ne sais pas quoi retenir du commentaire sinon une certaine pulsion démopédique (d’une condescendance que je ne te connaissais pas) ainsi qu’un raccourci des plus navrants : associer avec désinvolture l’ayuverda (système médical/savoir thérapeutique ça t’irais ?) à sa récupération par la droite nationaliste hindoue (sous l’impulsion des tarés du Sangh Parivar et cie) c’est particulièrement réducteur.

D’accord, entre deux séances de yoga Modi s’est fait le représentant commercial de produits ayurvédiques… ses rêves d’industrialisation et de commercialisation sont sans limites, mais l’institutionnalisation et la réinvention de l’ayurveda par l’État indien remontent au projet nationaliste indépendantiste et dépassent largement les « raisons politiques » d’aujourd’hui.

Quoiqu’il en soit, qu’est-ce qu’Arte et les rafales ont à faire là-dedans ?

P.-S.
Si le pluralisme médical — avec ou sans « papouilles » — fait peur à certains c’est une autre histoire.

Mel le 27/09/2016 à 03:06

Il n’est pas besoin d’avoir une chaire de quoique ce soit pour sauter de sa chaise tellement de fois en regardant ce documentaire que la seule conclusion qui vaille est que le documentariste cherche à arnaquer la chaland. Et je n’aime pas qu’on veuille m’empapaouter.

Non, système médical/savoir thérapeutique ça ne me va pas car cela suppose qu’il permet de guérir une maladie avec une efficacité significativement meilleure qu’un placebo. Le documentaire ne propose aucune maladie clairement identifiée pour laquelle l’aryuveda puisse proposer un remède. En regardant un peu plus loin, c’est normal, il n’y en a pas.

Ce n’est pas pour ça que ça ne peux pas faire du bien. La thalasso non plus ne guérit rien visiblement. Les clients ont l’air d’en sortir contents. S’il n’y avait pas eu de prétention scientifique, je n’aurais rien dit. Après tout, chacun est libre de se faire tripoter/recouvrir de trucs gluants/enterrer etc.

Mais au fait, les 4000 ans totalement exagérés, la civilisation tellement fantasmée qu’on dirait l’Atlantide, l’absence totale de preuve, les méchants anglais qui ont tout fait pour que le savoir ne soit pas révélé au monde, la passion irrationnelle pour les métaux lourds… je connais ça déjà. C’est l’avion de Talpade (voir Hawaizaada) !

Modi n’est pas le premier à promouvoir ces bêtises même s’il les favorise largement aujourd’hui (avec plus de succès que l’aviation). Visiblement, ça date de la lutte pour l’indépendance et des mouvements nationalistes de l’époque, les anglais n’y sont pour rien.

A leur sujet d’ailleurs, ils n’ont bien sûr pas fait grand chose pour lutter contre ces pratiques. Ils les ont juste considéré comme du charlatanisme potentiellement dangereux (ce qu’elles sont à l’évidence) à partir de 1835. Malgré cela, l’aryuveda a continué à être pratiqué et même enseigné. Il ne s’est trouvé que deux médecins à être rayés de l’ordre pour avoir promu "la chose" en 1915-1916. Il y avait 57 facs qui enseignaient l’aryuveda aux Indes britanniques en 1947.

Fabrizio le 27/09/2016 à 07:12

Je ne partage pas cette vision productiviste et presque martiale d’une médecine qui doit guérir. Cette conception instrumentale ouvre des portes à une thérapeutique dangereuse.

Par ailleurs, je te rappelle que la méthodologie médicale fondée sur des preuves scientifiques et cliniques (evidence based medecine) ne remonte qu’aux années 1990…

Corine le 25/09/2016 à 19:35

Pas vu le documentaire… mais c’est très important d’en parler avec tous les erreurs de la médecine occidentale, qui a beaucoup de défauts, mais attention je ne la dénigre pas, mais l’industrie pharmaceutique avec tout son argent ne s’intéresse pas aux patients. L’ayurveda c’est s’intéresser à l’autre et à son bien être, c’est accompagner l’autre pour vivre mieux et longtemps, vous le dites vous même. L’ayurveda c’est aussi le respect de l’homme dans son environnement, vous dites il est un cosmos miniature constitué des éléments de la nature. Je ne comprends pas pourquoi vous parlez qu’il braconerait l’environnement ? C’est faux.