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La critique de Fantastikindia

Par Laurent - le 13 octobre 2009

Note :
(7/10)

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L’histoire débute en 1948. Vengadam (Prakash Raj) est libéré de prison et se rend pour deux jours à son village, Kanchivaram, escorté par deux policiers. Sur le chemin, il se souvient…

Bien qu’étant un artisan hors pair, spécialisé dans le tissage de la soie, il était un homme pauvre avant la guerre, son zamindar (seigneur) payant chichement les saris confectionnés par les tisserands. Ainsi, ces derniers n’ont pas les moyens de se procurer la précieuse étoffe, et Vengadam n’a jamais pu offrir à sa femme le sari de soie qu’il lui avait promis pour leur mariage. Il a même promis la même chose à sa fille pour ses futures noces, lors d’une promesse rituelle quand elle était encore enfant, et ce serment irréaliste fait beaucoup jaser dans le village depuis… Vengadam a d’ailleurs laissé de côté depuis longtemps le sari de soie entamé qu’il n’a pu terminer.

Un jour, un écrivain arrive dans le village. En découvrant la misère des tisserands, cet homme, qui adhère aux thèses prohibées du communisme, les encourage à monter des pièces de théâtre où l’on raille violemment le zamindar, puis leur inspire de faire la grève pour réclamer de meilleures conditions de travail et une hausse de leur salaire. C’est Vengadam qui devient le meneur de cette longue grève, qui ne porte d’abord pas ses fruits puisque toutes les exigences ne sont pas satisfaites… Cependant, alors que la grève est toujours en cours, le fiancé de sa fille, soldat au front, rentre au village le temps d’une permission et souhaite que le mariage ait lieu. Vengadam ne peut refuser, mais un problème demeure : pour ne pas perdre la face et faire taire les mauvaises langues, comment fera-t-il pour terminer le sari de soie qu’il avait promis à sa fille ?

Priyadarshan est l’un des meilleurs réalisateurs indiens contemporains, il l’a définitivement prouvé dans les années 90 avec Kala Pani et Virasat. Après une décennie 2000 bien décevante, où il s’est spécialisé dans des comédies en hindi généralement peu inspirées (sauf, à la rigueur, Hera Pheri), le cinéaste malayalam revient enfin avec un drame se déroulant dans un village, un type de film où il a toujours fait preuve d’authenticité. Le sujet est également alléchant, le film traitant d’une grève de tisserands de la soie tamouls dans les années 40.

À la tête d’un ensemble d’acteurs parfaitement dirigés, on retrouve Prakash Raj, le méchant préféré des films commerciaux du sud de l’Inde ces derniers temps, qui s’est également déjà montré un très bon second rôle dans quelques uns des meilleurs films du cinéma tamoul (Bombay et Kannathil Muthamittal de Mani Ratnam) et même hindi (Khakee de Rajkumar Santoshi), aussi à l’aise dans des divertissements que dans un film réaliste comme celui-ci.

Contrairement à ce à quoi on pourrait s’attendre, Kanchivaram n’est pas vraiment un film militant fiévreux, l’histoire de la grève à inspiration communiste se limitant au deuxième tiers du métrage. Ce n’est donc pas seulement une œuvre politique, mais aussi et surtout un drame humain centré sur son protagoniste et sur le quotidien des tisserands de cette époque.

La symbolique de la soie joue aussi un grand rôle dans le scénario très fin de Priyadarshan : matériau de luxe, cette étoffe est même sacrée chez les tisserands, c’est elle qui les nourrit, qui les fait vivre (au sens propre : lors de la grève, certains, sans ressources, meurent de faim). Dans une belle scène, au début, la mort du père du héros, ce dernier résume en quelques phrases le sujet du film : il remarque en effet que, bien que les tisserands passent toute leur existence à travailler la soie, ils ne possèdent jamais ne serait-ce qu’un seul vêtement de cette étoffe pour leur servir de linceul sur leur lit de mort, tout juste quelques fils que l’on attache traditionnellement autour des gros orteils du défunt (c’est la superbe et morbide affiche du film)…

Le protagoniste a donc bien conscience du paradoxe, de l’injustice de sa situation, et la découverte des thèses socialistes sera pour lui un élément déclencheur, qui lui donnera le courage d’échapper à sa fatalité en défendant pacifiquement les intérêts des tisserands. À ce sujet, cela dit, le film est moins enthousiaste que ce que veulent nous faire croire les crédits au début du générique de fin, rendant un vibrant hommage aux sacrifices des ouvriers indiens qui, grâce à la constitution de syndicats communistes, ont pu améliorer considérablement leurs conditions de travail au cours du vingtième siècle ; car on peut légitimement se demander si l’engagement politique de Vengadam lui a été vraiment profitable au final. L’abnégation d’un petit nombre de pionniers de cette idéologie dans le monde du travail a conduit à un progrès général dans ce milieu, cela est certain, mais on sent tout de même que l’exaltation du communisme n’est pas passionnée ici, on se doute bien que ce n’est pas ce qui intéresse le plus le réalisateur, dont le protagoniste est plus proche de l’anti-héros, à la fois réaliste et tragique, que du grand orateur charismatique (le héros de Guru de Ratnam par exemple)… Cela rend au moins le film de Priyadarshan plus subtil, s’il n’est pas aussi puissant et bouleversant que ses grands films des années 90.

La poignante et violente séquence finale fait définitivement basculer Kanchivaram vers l’intimisme plutôt que vers le grand film historique, le film étant avant tout le portrait attachant d’un homme tiraillé entre son orgueil personnel et le bien-être de sa communauté — avec en toile de fond la montée du syndicalisme ouvrier en Inde. Ce personnage de héros en demi-teinte est même pour Prakash Raj l’un des plus grands rôles de sa vie (pour lequel il a reçu en 2009 le National award du meilleur acteur), et pour le prolifique Priyadarshan le film le plus exigeant qu’il ait réalisé depuis plus de dix ans, sur le fond comme sur la forme.

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